Les années club (3ème partie)

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Où l'on apprend que le jeu de rôles est une panacée pour le brassage social

Quand on dansait son tout premier slow à l'occasion d'une boum en colonie de vacances, la partenaire importait peu, ce qui comptait le plus c'est le fait que la fille ait accepté l'invitation. Il en était de même pour les premières parties de jeu de rôles : les collègues de donj' n'étaient pas nécessairement les personnes avec qui vous partagiez le plus de points communs, mais il y avait entre les membres de la table de jeu une certaine fatalité qui nous unissait : nous étions obligés de jouer ensemble malgré nos différences car nous étions les seuls intéressés par ce hobby à part. Certes, tel joueur n'était qu'un gamin encore au collège, mais on avait absolument besoin d'un prêtre capable de faire des impositions des mains quand le braquage du donj' du coin se passait mal.

Le temps passant, nous nous retrouvions liés à cette tablée par une forme d'amitié ludique des plus étranges : nous avions conscience qu'untel était vraiment bizarre (il parlait aux filles, ce con), mais il faisait partie de la fratrie rôlistique, il était donc accepté ipso facto. Une table de jeu de rôle au lycée, c'était la seule manière de faire cohabiter un fan de Ludwig Von 88 avec un défenseur de Dead Can Dance, un footballeur avec la tête aussi vide que son ballon et un dévoreur de SF américaine, un gobeur de champignons mexicains et un membre de la chorale catholique, un punk aux cheveux longs et un militant du FN... On ne se serait normalement pas adressé la parole dans la cour du lycée, mais le fait de lancer des dés ensemble le week-end transcandait parfois nos solitudes respectives. Copains de jeu de rôles, quoi.

Miguel ne connaissait qu'un seul jeu : AD&D. Il appliquait les règles avec autant de souplesse qu'une barre d'acier. Capable de pinailler plus de deux heures sur une valeur de CA ou la portée d'un fléau d'armes, il pensait que le respect des règles du jeu était plus important que l'amusement que nous pouvions retirer de la partie. Ces décisions étaient aussi implacables que le diagnostic d'un cancérologue : « Tu prends 17 points de dégâts. T'es à combien ? -13 ? Bon, ben tu peux partir de la table, tu retireras un perso samedi prochain. » Notre acharnement à parcourir ses donjons ne tenait pas tant du masochisme qu'au fait qu'il était le seul à posséder AD&D et qu'il refusait de le prêter.

Ludo était un joueur Grosbill jouant systématiquement des bourrins. Il dormait pendant les phases de diplomatie ou d'enquête mais se réveillait systématiquement dès qu'il entendait le MJ prononcer le mot « initiative ». C'était le Solo en pleine cyberpsychose dans Night City, le Tueur de Troll qui gaspille ses points de Destin dans le Vieux Monde, le Brujah 13ème génération qui s'essaye sur un Ancien avec Célérité et Puissance, celui qui vous prouvait par A+B qu'il est tout à fait logique qu'il incarne un ninja dans Nephilim... Sa grande qualité, c'était qu'il liait tout le groupe contre lui par ses actions inconsidérées. Il suffisait de lui demander ce que son personnage faisait pour obtenir une situation catastrophique qui occupait tous les joueurs pendant l'après-midi entière. Sa tendance à tricher avec les dés était décuplée dans les jeux d'ambiance où l'éclairage à la bougie permettait tous les abus. On ne comptait plus le nombre de fois où son investigateur annonçait des critiques en utilisant son fusil de chasse sur tout ce qui bougeait dans le scénario.

Abdul était un suiveur. Il venait jouer au JdR parce que ces potes y allaient mais n'était pour autant pas un boulet. Suivant toujours l'avis de la dernière personne qui avait parlé, c'était la girouette du groupe, partant pout tout mais sans aucune idée personnelle. Sa légendaire malchance aux dés faisait de ses personnages des éternels Pierre Richard, capables de réellement obtenir un résultat de 1 avec 2D6. Le diceless a sans doute été inventé pour lui. Les rares fois où il s'est retrouvé derrière un écran, c'était pour des parties de Torg involontairement lynchiennes avec un groupe de personnages incompatibles : un super-héros, un ours-garou, un ninja de la cyberpapauté...

Franck avait des idées très arrêtées sur la France et ses composantes ethniques qui le poussaient à voir en chaque immigré un ennemi de la nation mais qui ne l'empêchait pas de rire de bon coeur avec Abdul. Ses parties de Bloodlust étaient donc le théâtre de son racisme : tout ce qui était basané ou bâtard mourraient d'en d'atroces souffrances et ne dépassaient que très rarement la première heure de jeu. Cette sélection naturelle créa une table entièrement composée de Piorads dont les rires gras lors des viols des sekekers résonnent encore dans une certaine Maison des Associations.

Commentaires

  1. Il te reste encore à raconter les tournois de JdR, et mes souvenirs de jeunesse seront à peu près tous représentés. Je suis sûr que là aussi nos expériences sont similaires. :)

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  2. Anonyme19/1/07

    Rôô c'est bôô! J'avais pas tilté le déménagement du blog en gros naze que je suis, ça fait du bien de lire la suite des années club!

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  3. c'est magnifique et sonne très juste

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  4. Ben ça donne envie :)

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