Neuropath


C'est Laurine de chez nos voisins virtuels de Fractale framboise qui est responsable de cette lecture. Sa critique m'a intrigué et j'ai cédé à l'appel de la curiosité.

Neuropath est un thriller qui se déroule dans un futur proche, le genre de futur pessimiste où l'Europe connait des émeutes suite à une période de froid provoquée par le réchauffement de la planète, Moscou a été à moitié rasée par une catastrophe et les USA sont dirigés par un Démocrate. Tandis que les médias et les forces de l'ordre sont à la poursuite du Chiropracteur, un tueur en série sanguinolent, le FBI vient frapper à la porte d'un professeur en psychologie pour lui demander de l'assistance sur un autre dossier. En effet, un individu ayant des connaissances en neurologie s'amuse en forçant d'innocentes victimes à faire des choses... étranges. L'agresseur entre littéralement dans la tête de ses victimes. Et ce n'est pas bien.

Disons-le franchement, l'intérêt de ce livre n'est pas dans son récit. Ce n'est pas un thriller particulièrement efficace. La narration n'est pas très enlevée, les relations entre les personnages sont très clichés (l'attraction entre le professeur et l'agente du FBI est insupportable de prévisibilité) et les révélations sont un brin téléphonées par endroits. Ce n'est pas mauvais en soi, c'est juste très classique, comme souvent avec les enquêtes du FBI romancées. J'ai tourné les pages pour avoir l'explication finale (avec un dénouement décevant par rapport à l'attente créée) mais je n'ai pas été happé par le récit ou hanté par l'horreur des situations.

Mais l'immense qualité de ce roman réside dans ses explications et extrapolations cognitives. Scott Bakker adopte une vision particulièrement sombre du fonctionnement du cerveau. Il balaye d'un revers de la main des notions comme le libre arbitre ou l'amour. C'est d'un cynisme consommé assez succulent pour peu qu'on apprécie ce genre de point de vue sur la nature humaine. L'Argument du livre est que tout ce que nous prenons pour de la conscience n'est qu'influx électriques, stimulis et réponses automatisées à des inputs. Et le pire, c'est que cette soi-disant conscience n'a aucune perception des mécanismes du cerveau impliqués. Autant les scènes de torture du livre ne sont pas particulièrement ignobles (enfin, pas pire que d'autres livres), autant cette approche très informatisée des processus cognitifs est dérangeante. Réduire les échanges sociaux à des outputs/inputs, l'amour/le plaisir/la morale à des réactions programmées dignes d'un programme en Basic, c'est paradoxalement plus angoissant que la description écrite d'un viol.

Bref, le thriller n'est qu'un prétexte pour philosopher sur la psychologie. Du coup le roman prend la forme d'une introduction au cognitivisme. Bien évidemment, tout ceci est un jeu intellectuel pour l'auteur qui ne prétend pas que ses théories (basées sur des recherches actuelles) soient réalistes. Et le fait que Scott Bakker soit professeur de philosophie crédibilise un peu ces jeux de l'esprit.

Du coup, j'ai acheté les trois volumes de Prince of Nothing, sa série fantasy qui est très estimée par son compatriote Steven Erikson.

Edit : Scott Bakker étant ontarien, il a glissé une petite remarque dans son histoire qui se déroule aux USA. Ainsi, il décrit les Canadiens comme étant "des Américains qui se croient supérieurs aux autres". Une définition qui nous sied bien.

Commentaires

  1. Anonyme7/9/08

    tout ce que nous prenons pour de la conscience n'est qu'influx éléctriques, stimulis et réponses automatisées à des inputs.

    Ben oui:) Pourquoi pas croire à l'immatérialité de l'âme tant qu'on y est ?

    Quand je te dis que ça fait un certain temps que je suis cynique :)

    RépondreSupprimer
  2. Anonyme7/9/08

    «The Prince of Nothing» n'est pas une trilogie facile. Elle ne ressemble pas du tout à la fantasy qu'écrit Erikson (l'approche est plus intello) et ne rappelle pas non plus le style de Neuropath. Elle a ses qualités, mais elle demande un effort certain de la part du lecteur. Amuse-toi bien.

    RépondreSupprimer
  3. En fait, Neuropath décrit l'homme que tu risques de devenir si tu continues à triturer le cerveau pour le compte d'intérêts corporatistes.

    C'est déjà assez cynique de se rendre compte que notre libre arbitre n'est qu'une illusion, mais l'idée même que l'homme sera capable à l'avenir de modifier la mécanique interne du cerveau est encore plus angoissante. Et je ne parle pas de procédés comme dans Eternal sunshine of a spotless mind mais de modification du comportement humain en profondeur. Le jour où les délires de Neuropath seront possibles, la post-humanité va commencer.

    Je pensais naïvement que les psychologues qui s'auto-analysent en permanence étaient les plus à plaindre, mais finalement la lucidité d'un neurologue me fout encore plus le blues...

    RépondreSupprimer
  4. Merci pour ces précisions sur "Prince of Nothing", Laurine. Ce que tu me décris correspond parfaitement à mes attentes en fantasy.

    Et je vais m'intéresser à Blindsight pour approfondir les questions soulevées par Neuropath.

    RépondreSupprimer
  5. "Ainsi, il décrit les Canadiens comme étant "des Américains qui se croient supérieurs aux autres". Une définition qui nous sied bien."

    Ben oui, c'est pour ça qu'on dit aussi parfois "français d'amérique"... :-)

    RépondreSupprimer
  6. Prince of Nothing... C'est Martlet qui nous le suggérait, il n'y a pas si longtemps (sous "Le Trône de Fer-blanc"). Je serai preneur de ton feedback !

    RépondreSupprimer
  7. Anonyme8/9/08

    En fait, Neuropath décrit l'homme que tu risques de devenir si tu continues à triturer le cerveau pour le compte d'intérêts corporatistes.

    Honnêtement plus ça avance et plus je comprends à quoi je vais avoir accès, et plus je flippe. C'est cyberpunk, mais c'est aussi Fight Club pour le côté vie quotidienne en entreprise. Le jour où tu me croises et que je me présente sous le nom de Tyler Durden, appelle les urgences psychiatriques :)

    RépondreSupprimer
  8. Anonyme9/9/08

    Ah, zut. La référence aux Canadiens m'a échappé. Mais y a-t-il une nation qui ne se croit pas supérieure aux autres? Eh.

    Ça me rappelle l'un des principes évoqués dans le bouquin, qui veut que chaque personne a tendance à se croire supérieure aux autres (valeurs morales, intelligence, etc.). Autant on porte un jugement sévère sur son entourage, autant on se regarde avec des lunettes roses. J'en vois des exemples tous les jours, à commencer par moi-même. Heureusement, grâce à ma grande perspicacité, je m'en rends compte tout de suite. C'est pas comme les autres... :-)

    RépondreSupprimer
  9. Une telle arrogance ne m'étonne pas de la part d'une femme de Longueuil. ;o)

    Ce n'est pas parce que je suis arrogant que ça ne veut pas dire que je suis le meilleur...

    Quand à Thomas B., tu es un Mengele pour les souris de laboratoire. Mais tant que tu me parleras plus d'urban fantasy que de tes stock-options que, ça ira. Ceci dit, c'est dommage que tes clauses de confidentialité t'empêchent de nous dire quel genre de dystopie tu magouilles dans ton labo...

    RépondreSupprimer
  10. Tu as bien raison d'essayer The Prince of Nothing. Il est vrai que Scott Bakker se regarde un peu écrire, mais cette trilogie est incroyable. Je ne comprend pas les critiques qui trouvent que c'est dur à lire. Je l'ai lu en VO avec beaucoup de plaisir: c'est beaucoup moins difficile que Gene Wolfe (par ailleurs génial)...

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire