Les enquêtes du commissaire Brunetti


J'attends d'un polars 3 ingrédients de base :
- un personnage central avec des pleins et des déliés, torturé entre son travail et sa vie amoureuse, un type avec des dilemnes moraux, des squelettes dans ses placards et un sens de la répartie plus mordant qu'un pit-bull affamé.
- un décor (souvent urbain) découpé au scalpel, peuplé de figurants qui sentent bon le réel. L'âme de la ville doit avoir son écho dans la psyché du personnage central.
- une intrigue qui me fait me poser des questions, une enquête qui progresse en montrant l'absurdité de la hiérarchie, les instincts du flic, les fausses pistes que l'on aime désamorcer. La procédure policière peut être plus ou moins mise en avant, mais ça doit me happer.

On peut bien évidemment faire varier la recette en y ajoutant de l'Histoire, une approche ethnique particulière ou même y foutre de la SF, mais j'ai besoin des trois ingrédients de base pour prendre du plaisir à avaler un polar en une nuit ou deux.

Les enquêtes du commissaire Brunetti s'articulent ainsi :
- le personnage central est un bon père de famille. Il rentre manger chez lui tous les midis pour retrouver sa femme (prof de littérature américaine) et ses deux enfants. Ne comptez pas sur un quelconque rebondissement domestique : le maximum d'intensité dramatique familiale auquel vous aurez droit dans cette série est quand sa fillette s'écrase le gros orteil sur le pied de la table. Son chef est bien évidemment un authentique connard : raciste, bête et arriviste. Brunetti est lui sympathique, ouvert d'esprit, intelligent et désintéressé. Sa personnalité est aussi lisse qu'une toile cirée recouverte de vaseline.
- Venise est à l'honneur. Le commissaire Brunetti passe tellement de temps à marcher dans ses rues ou à voguer sur un vaporetto que l'auteur s'amuse à nommer par le menu détail chaque rue qu'emprunte son personnage. Ne vous attendez pas à une description architecturale évocatrice, à un tableau social réaliste ou une plongée dans les strates de la population locale : c'est un Venise de carton-pâte. Le Palais des Doges, l'opéra, la place St-Marc... ce n'est pas un décor urbain, c'est une carte postale. Bien évidemment, Donna Leon (l'auteur) a vécu non loin de Venise quand elle travaillait à la base militaire américaine du coin, donc elle connaît les us et coutumes des italiens et se permet quelques piques cyniques sur les vénitiens. Donc ses personnages sont beaux parleurs, un peu fourbes, mentent aux impôts... Rien de tel qu'un point de vue américain pour vous donner le goût d'un pays.
- les enquêtes... Ce n'est pas compliqué : les notables sont tous plus ou moins pourris et les seconds couteaux ont de grandes chances d'être siciliens. Vous n'entendrez jamais parlé de l'appareil judiciaire, c'est à croire que les commissaires italiens n'ont aucune loi à respecter. Le nec plus ultra, c'est quand la secrétaire du commissariat claque des doigts et obtient les relevés de comptes des suspects ou la liste de leurs appels téléphoniques. Le mieux que l'on puisse dire, c'est que les enquêtes sont simplistes.

Alors oui, c'est plus mou qu'un tiramisu. J'y retrouve le manque de souffle narratif des épisodes des 5 dernières minutes de mon enfance. J'ai souvent envie que les personnages de Gomorra débarquent et qu'il arrive des choses horribles à Brunetti, juste pour qu'il se passe des choses intéressantes. Parce que le meutre mystérieux du chef d'orchestre allemand de l'opéra de Venise, ce n'est même plus un cliché, c'est une honte. Le tout est bien évidemment servi avec une écriture aussi inspirée que la notice de montage d'un meuble Ikea. On enchaîne les lieux communs sur Venise (oh, la place St-Marc est innondée... oh, il y a un bal masqué dans un hôtel particulier... oh, une soprano lesbienne qui joue les primas donnas...) et on se dit que finalement la réputation de cette série est entièrement basée sur la marque de commerce qu'est devenue Venise.

Commentaires

  1. Les 3 ingrédients que tu cites m'ont immédiatement fait penser à un auteur de polar : Lawrence Block. Son héros, Mathew Scudder est un ancien flic, alcoolique notoire, qui a tué, naguère, une gamine par accident. Rien du héros lisse. Il bosse à New-York dont on visite à l'envi tous les bars et les réunions des alcooliques anonymes. On y croise une foule d'alcoolos, de dealers, de putes, de paumés. Quant aux enquêtes, elles sont l'occasion de nous montrer que, non, un flic n'est pas une machine. Il suit son instinct, se plante, recommence, mais tel le pit-bull moyen, il ne lâche pas le morceau.
    Le style de Block est fluide et ses romans se lisent avec une rapidité et un plaisir remarquables.
    Au cas où tu ne connaîtrais pas essaies-en un. Tu me diras ce que tu en penses. Les premiers bouquins sont très courts.
    Le premier de la série est Le péché des pères.

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  2. Ca donne envie ce polar vénitien ;-)

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  3. Merci pour la référence, arutha, ton pitch est très alléchant pour moi.

    Ceci dit, je reconnais que j'ai été uniquement à décharge dans mon billet. Dans les 6 enquêtes de Brunetti que j'ai lues, il y en a un assez sordide qui cible les putes, les gays et les immigrés d'une petite ville industrielle limitrophe de Venise. C'est celle que j'ai trouvée la plus intéressante (sans doute parce qu'elle ne se déroule pas à Venise) car Brunetti se met en danger, travaille avec ses subordonés... mais au final, c'est encore un salopard de notable qui a fait le coup.

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  4. Je crois qu'il faut que tu arrêtes définitivement toute lecture qui tourne autour de Venise... D'où te vient cette fascination pour la Cité des Doges ? Après tout, c'est juste une ville décrépite bâtie sur un égout à ciel ouvert, non ? ;)

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  5. Que veux-tu, j'ai du sang italien, je suis en quête des mes origines à travers ces livres...

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  6. Tiens, encore un livre qui m'intéressait vaguement sur lequel je n'irai pas perdre mon temps. Merci Hu&Mu!

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  7. On va finir par ne plus critiquer que des mauvais ou médiocres bouquins, et devenir ainsi d'utilité publique. Les éditeurs vont trembler rien que de voir les titres qu'ils publient référencés chez nous ! Des hurlements de désespoir retentiront dans leurs locaux du 6e chaque fois que Cédric mettra à jour les vignettes "Philippe lit" et "Cédric lit" !

    "Hugin & Munin : le blog qu'on lit pour savoir quoi ne pas lire"

    Ceci dit, ça nous condamnerait à ne lire que des merdes. Je ne sais pas si ça vaut le coup... :)

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  8. Bien vu pour la description des romans de Donna Leon. Après le deuxième livre, je conclu également que c'est insupportablement insipide.

    Par ailleurs, les clichés abondent : les gentils sont gay ou lesbiennes et ceux qui ne pensent pas comme eux sont des affreux fascistes friqués.

    De plus, les américains se reconnaissent à leur physique avantageux athlétique (mort en terre étrangère) ou encore à leurs soins dentaires bien meilleurs que ceux des italiens.

    L'auteur sans style se révèle n'être qu'une pauvre amerloque arrogante et bien formatée.

    quand aux bouquins, purs jus d'ennui, directe à la poubelle.

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