Das Boot


Marcher dans les souliers d'un autre pour partager son point de vue, même pour un court instant. Parce que la guerre filmée par les Alliés, la resistance racontée par les maquisards ou l'horreur documentée par Claude Lanzmann, c'est bien, mais montrer le point de vue allemand, c'est pas mal non plus.

Il a fallu attendre 1981 pour que le réalisateur Wolfang Petersen (qui est capable aussi bien de réaliser des épisodes de Tatort que le film Une histoire sans fin) enfante Das Boot, l'adaptation d'un livre autobiographique. Et paradoxalement, c'est le public allemand qui critiqua sévèrement le film à sa sortie pour oser dépeindre positivement des soldats allemands.

Das Boot raconte en longueur (293 minutes) la vie de dingue de sous-mariniers allemands enfermés dans une carcasse de fer. Oh, ce ne sont pas des scouts, ils torpillent les bâtiments anglais ou américains, mais surprise, ce ne sont pas des nazis pour autant. Ce sont des marins allemands, envoyés au fond des mers pour couper le ravitaillement adverse par une hiérarchie qu'ils ne comprennent pas et qu'ils rejettent. Pas de SS, pas d'idéologie nauséabonde, ce sont des hommes à part qui sont à des postes de combat extrêmes, enfermés avec leurs propres faiblesses d'humain. Intimité oblige, les rapports humains sont exacerbés : la folie d'un seul homme suffit à mettre tout l'équipage en danger, car chaque sous-marinier est un rouage vital. Chaque mine qui explose secoue le spectateur comme un prunier. Rien qu'à regarder ses hommes vivre les uns sur les autres, on sent la sueur qui colle, l'odeur de pet du voisin, l'insoutenable tic nerveux du collègue d'à côté. Tout comme la série Oz rendait le spectateur captif l'espace d'un épisode d'une heure, Das Boot vous rend claustrophobe pendant 293 longues minutes d'une apnée qui n'en finit pas de durer.


La presque totalité du budget du film est allée dans la construction d'un vrai sous-marin d'époque. Ce n'est donc pas un jeu d'écran vert ou un décor de studio savamment construit : c'est du réel. Les vagues vicieuses qui claquent contre la coque sont celles de la mer du Nord. Et donc les acteurs sont restés très longtemps enfermés dans ces quelques mètres de promiscuité. Ils ont le tein blafard d'une endive enduite de crème Nivéa. Dans leurs yeux, le ras-le-bol de ces conditions de tournage donne au spectateur une idée de la folie du regard des hommes qui ont réellement vécu ces scènes de guerre. Ça craque de partout, les joints sont sur le point de lacher, tout comme les nerfs de l'équipage. Et les ordres qui déboulent de Berlin sont de plus en plus fous, de plus en plus éloignés de la réalité de la mer. Mais on oublie vite qu'ils sont allemands : ce sont des sous-mariniers, avant tout.

C'est au final un huis-clos bien plus efficace que l'éternel combat entre cowboys et indiens. Et surtout, ça vient douloureusement souligner le lent supplice des 118 hommes d'équipage du Koursk.


Commentaires

  1. C'est un excellent film et on n'en voit pas le temps passer. Faut se mettre dans le noir, prévoir quelques rations de survie, éteindre le téléphone, et se plonger (si possible en 5.1) dans ce film dur et définitivement marquant.

    "Octobre Rouge", à coté, c'est un film Disney.

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  2. Très bon film en effet.

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  3. Tiens, au fait, je tiens à parler d'une BD de Dimitri sur exactement le même sujet : KALEUNT (1988)
    http://www.bedetheque.com/serie-3152-BD-Kaleunt.html

    Dimitri y parle donc d'un U-Boot et de la vie des marins qui y travaillent. C'est dur, c'est sale, c'est psychologiquement violent. Une très très bonne BD.

    Dans cette série de one-shots par Dimitri (l'auteur du "Goulag" ), il y a aussi une excellente BD sur les prisonniers allemands de Stalingrad (Raspoutitsa), à lire absolument.
    http://www.bedetheque.com/serie-3153-BD-Raspoutitsa.html

    A noter que Dimitri est aussi l'auteur, sous un autre pseudonyme, du très bon et très dur "Le Soldat Oublié".

    Bon courage si vous décidez de lire tout cela.

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  4. Merci pour cette inspi, Loris.
    Je ne savais pas que Dimitri avait dessiné autre chose que la série "Goulag" (qui était une de mes lectures coupables quand je fréquentais la bibliothèque de province de mon adolescence).

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  5. Ca vaut la peine de lire la page wikipédia sur Dimitri (Guy Mouminoux de son vrai nom), ce type a eu une drôle de vie... Le Soldat Oublié est pour ainsi dire auto-biographique.

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