Le royaume blessé


Au contraire de Philippe, je n'ai aucune sympathie pour Laurent Kloetzer, pas le moindre a priori favorable. Il avait décrit son univers dans Casus Belli ? La belle affaire : n'importe qui pouvait écrire dans ce magazine, j'en suis la preuve vivante. Il a déjà été publié chez Mnémos ? Ça ne m'étonne pas, ils ne publient que de la fantasy de supermarché dans cette boite. Il a un blog ? Ne me faites pas rire, les blogs sont la quintessence de la vacuité de cette génération de rôlistes qui se prennent au mieux pour des lecteurs éclairés et au pire pour des plumitifs.

On va donc laisser de côté le copinage bisounours qui fait de chaque auteur français de fantasy un nouveau prodige (comme cette propagande imbécile qui fait passer Jean-Philippe Jaworski pour un auteur) et dire la vérité vraie. Quelqu'un doit dire que le roi est nu.

C'est quoi, Le royaume blessé ? Déjà, c'est pas loin de 800 pages. Ça ne s'avale pas comme de la petite bière, c'est une traversée au long cours. Dans une espèce d'Europe distordue et légendaire, un peuple alterne les grandes heures et les moments moins glorieux. Ce sont les Keltes. On pourrait les croire en fin de race tant la civilisation des Atlans, le peuple qui a le dessus dans la valse de l'Histoire, est bien plus moderne. Mais ce sont finalement la gloire des Atlans qui est en train de partir en lambeaux alors que leur empire vole lentement en éclats sous l'action de l'érosion du pouvoir. Alors les Keltes ont une certaine marge de manoeuvre. D'où des soubresauts tumultueux, des guerres de clans, des tentatives désespérées pour réanimer la flamme d'une fierté entière. Dans cette espèce de renouveau kelte, des hommes de légende se forgent une immortalité constituée de faits d'armes racontés dans les auberges et d'un trône souillé du sang de l'ennemi et des alliés.

Or un jeune homme simple, fruit de la culture atlan, se met en tête de raconter la vie d'un de ces Keltes dont l'existence dépasse l'entendement. Au fil de ses pérégrinations, il rencontre des contemporains de cet homme, des amis, des parents, qui lui racontent des tranches de vie, des moments charnières de sa destinée. De plus en plus obsédé par cette histoire qu'il a l'impression de pouvoir toucher du bout des doigts, notre homme va finir par s'aventurer en terre kelte pour en apprendre plus. Et en marchant dans les pas de cet homme qui l'obnubile, il va prendre la mesure de ce peuple tout en vivant ses propres tribulations.

Je reproche souvent à la fantasy de manquer de contenu. Ce sont souvent des personnages sans nuances qui vivent des quêtes censément initiatiques dans des univers aussi complexes que celui de Placid et Muzo. C'est souvent le festival du cliché tant dans la narration que dans le propos. Comme il y a la malbouffe, il existe une sorte de malfantasy composée de cycles (inter)minables, de recettes éculées et d'effets de mode. Et bien c'est peu dire que Laurent Kloetzer est à l'opposé de cet écueil.

Le royaume blessé m'est resté longtemps dans les mains. Ça respirait bon la lente construction d'un mythe. Pas le truc où un jeune paysan découvre en 6 chapitres qu'il est le fils du roi et qu'il doit mener son armée pour reprendre la couronne injustement spoliée par l'infâme oncle du héros. Non, je parle de mythe dans ce que ça comporte de symbolique, d'idolâtrie et d'allégorie. À mesure que le héros collecte les fragments de la vie de son héros, on mesure le parcours d'un homme extraordinaire qui, à l'image de son peuple, alterne grandeur et décadence. Chaque anecdote façonne un peu plus la glaise de ce portrait et affine ses traits. Ici, une blessure due à une jeunesse désinvolte. Là, une ride pour un amour trop souvent perdu. Le récit à deux niveaux fait s'opposer la vie hors du commun d'un Kelte qui veut marquer son temps et celle, plus simple, d'un témoin qui vit par procuration.

C'est long parce que le roman ne se contente pas de raconter que les bons moments. On s'attarde au contraire sur des choses en apparence futiles mais qui participent elles aussi à la mue de cet homme en gloire. Bien évidemment, les rencontres fortuites du narrateur qui a la chance de se trouver au bon endroit au bon moment pour rencontrer les bonnes personnes peuvent sembler artificielles. Elles font partie du jeu.

Mon seul regret tient à la nature de cet univers qui est un écho déformé de notre passé. Les Atlans romains, les Keltes celtes, ce héros qui ne s'appelle pas Alexandre, c'est efficace, mais ça ne rend pas justice au talent de l'auteur. Il pourrait tisser un univers réellement différent et cohérent sans s'appuyer sur ce faux-semblant, à mon sens.

Pendant 800 pages, j'ai marché dans les chaussures de cet être mémorable qu'est Eylir Ap'Callaghan. J'ai senti le poids de ses regrets, l'usure de son épée, la colère qui cogne dans ses tempes. Dans les passages les plus puissants, il m'a semblé entendre la voix de Lisa Gerrard chanter Summoning of the Muse en superposition à la plume de l'auteur. Je ne peux pas dire ça de beaucoup d'auteurs qui prétendent écrire de la légende.

Bref, ce n'est pas sorcier de comprendre que la petite gloriole de Laurent Kloetzer est totalement infondée. Ce n'est rien qu'un de ces trentenaires qui a trop de temps libre. J'espère pour lui qu'il a un emploi alimentaire car il n'est pas prêt d'avoir sans place dans un catalogue France-Loisir. Alors ne comptez pas sur moi pour chanter ses louanges avec les autres. C'est favoritisme et renvoi d'ascenseur dans ce milieu.

Commentaires

  1. Ce roman prenait la poussière dans la bibliothèque depuis quelques temps, il vient d'avoir droit à un dépoussiérage et trône fièrement dans la partie réservée "à lire d'urgence" !

    RépondreSupprimer
  2. Le Royaume Blessé c'est bon, mangez en !

    RépondreSupprimer
  3. ben moi franchement j'ai pas aimé du tout....

    ok.. ok.. on s'en fou... j'ai pas aimé cette aspect livre d'histoire. j'aime bien vivre a travers le personnage et non pas à travers son scribe ou son biographe....

    RépondreSupprimer
  4. Tu sais, moi, si j'en disais du bien, c'est uniquement à cause de la valise de petites coupures qu'il m'avait remise.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire