Tokyo


Grey a dans la vingtaine. Elle est obsédée par le massacre de Nankin en 1937. Quand je dis obsédée, c'est un euphémisme : son attirance pour cette période noire de l'histoire asiatique est viscéralement gravée dans sa chair. Le jour où elle apprend qu'un survivant du massacre possède un film tourné lors de la prise de la ville, elle prend ses cliques et ses claques, direction Tokyo, où le témoin, bien que Chinois, travaille comme professeur. Sauf qu'avant de lui permettre de voir le film, le survivant confie à Grey une mission pratiquement impossible : infiltrer l'entourage d'un vieux yakuza afin de déterrer un lourd secret du chef mafieux. Grey devient donc hôtesse dans un bar fréquenté par ce yakuza afin de graviter autour de lui.

Grey est en quelque sorte une cousine lointaine de Lisbeth Salander dans la trilogie Millénium (le génie du piratage informatique en moins). Son éducation très encadrée l'a rendue ignorante dans certains domaines. Elle n'est pas animée de mauvaises intentions, elle agit en fonction de son cadre de référence un peu étriqué dans le domaine du sexe. Ce qui la pousse dans une relation très étrange avec une sorte de maquereau à la belle gueule, avec qui elle joue un jeu dangereux. Et plus elle creuse dans les secrets du yakuza, plus l'horreur ambiante dévoile les squelettes que Grey transporte dans sa valise.

Le roman alterne entre l'enquête de Grey à Tokyo et le journal intime daté de 1937 du survivant chinois qui consigne le massacre en temps réel. On glisse de l'horreur du sac de Nankin à l'irréel voyage de Grey dans sa vie d'hôtesse. Cette alternance est très efficace pour faire peser un poids lourd sur la lecture.

Un conseil : ce n'est sans doute pas le meilleur bouquin à lire de retour de la maternité. Sans dévoiler la fin du roman, qui devient assez vite prévisible dans son inéluctabilité, les thèmes de ce thriller sont très malsains et assez dérangeants. Reste que le livre de Mo Hayder m'a incité à en apprendre un peu plus sur le massacre de Nankin. Le bilan officiel est de "quelques morts" selon les Japonais, mais des études parlent plutôt de 200 000 à 300 000 morts. Et 20 000 viols. Les raisons de cette boucherie sont complexes, mais la théorie selon laquelle la bataille de Shanghai avait été difficile pour les Japonais et que Nankin ait servi d'exutoire semble dominer.

Pour ce qui est des raisons qui font que le massacre de Nankin reste peu évoqué quand on aborde la seconde guerre mondiale, il y en a deux :
- le front asiatique, ce n'est pas assez concernant pour les Européens,
- les USA auraient eu des intérêts diplomatiques, après la guerre, à ne pas trop culpabiliser le Japon. D'où un regard discret sur cette action punitive de grande envergure.

Commentaires

  1. Un épisode de notre histoire récente qui reste effectivement assez mal connu. Merci pour cette présentation je verrai à me le procurer pour en faire la découverte, ta chronique éveillant indéniablement l'intérêt.

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