Le cimetière des bateaux sans nom


Coy est un lointain reflet de Corto Maltese. Un marin éternellement coincé dans sa vareuse qui lui sert d'armure. Exilé sur terre après avoir perdu son titre d'officier à cause d'un accident, le voilà qui traine son ennui un peu partout jusqu'à croiser une femme aussi mystérieuse que calculatrice. Avant d'avoir eu le temps de dire ouf, Coy est amoureux et prêt à tout pour coucher avec elle, y compris s'embarquer dans une chasse au trésor hasardeuse. Car elle ne lui dit pas tout. Car d'autres veulent être riches. Car la mer vous garde toujours un chien de sa chienne.

Le cimetière des bateaux sans nom emprunte à plusieurs styles. On a tantôt l'impression de se promener dans une Dan Brownerie quelconque avec un trésor jésuite et des méchants prêts à tout pour arriver à leurs fins (la preuve, ils tuent même un chien pour bien montrer qu'ils sont méchants). Puis le duo de la femme-fatale et du solitaire ténébreux un brin bagareur donne des airs de Sam Spade coupé à l'eau salée. Ce qui fait que la sauce prend, c'est qu'Arturo Pérez-Reverte possède une réelle assise littéraire. Ce n'est pas un plumitif, c'est un écrivain. Son Coy n'est pas une coquille vide qui erre d'énigme en traquenard mais un marin hanté par une garce et par l'appel de la mer. Le trésor est presque un McGuffin. C'est plus une histoire de nostalgie, le regret d'une époque perdue où la navigation se faisait au sextant et non avec un GPS. Une marine plus aventureuse, plus poétique. C'est du bon Thalassa en roman (et là, je ne suis pas sarcastique, pour une fois).

Avec Corsaires du levant, je savais déjà qu'APR était passionné par la mer. Ce roman-là est la confirmation qu'il est dans le sillage d'un Melville ou d'un Verne. Comme toujours avec les romans marins, le vocabulaire est parfois vide de sens pour un marin d'eau douce comme moi, mais il participe à l'immersion. Mon seul regret est que de nombreux passages où les chercheurs de trésor imaginent la vie sur le bateau qu'ils recherchent auraient gagné à être de vrais passages narrés à la première personne par le capitaine ou un mousse. J'aurais adoré alterner entre l'histoire ancienne et la modernité de la chasse au trésor, un bon moyen d'accentuer le clivage entre les deux périodes.

Autre point d'agacement : la convention littéraire qui veut que les héros ténébreux et solitaire écoutent du jazz. Je n'en peux plus des mecs qui écoutent du Coltrane en regardant la lune et en ruminant le blues qui leur fend le coeur. C'est comme le cliché du gars intelligent qui joue aux échecs : ça devrait être punissable ce genre de procédé.

Le cimetière des bateaux sans nom, donc. À lire en écoutant My lady blue d'Éric Serra. Ou pas.

Commentaires

  1. Je ne sais pas si c'est volontaire, mais ça ne me donne pas envie :-)

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  2. Ce n'est pas mon APR préféré mais franchement c'est une lecture quand même bien agréable.

    Cédric, "une marin d'eau douce", c'est un coming out ou une coquille (St Jacques) ? ;-!

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  3. Bah moi, ça me tente assez. D'abord j'aime bien ce que fait APR et ensuite j'aime beaucoup les récits maritimes. Deux bonnes raisons. Non ?

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  4. @ Gromovar : Je sais, c'est mon apologie de Thalassa qui t'embrouille. Il faut accepter le Georges Pernoud qui sommeille en toi.

    @ Narbeuh : Erreur corrigée, merci.

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  5. Ce n'est pas non plus mon préféré mais j'ai aimé. Et je suis d'accord pour le jazz. Ou parfois, ce sont les flics qui aiment le classique, ça m'énerve aussi. Les flics écoutent Johnny Halliday, il faudra bien finir par se faire à cette idée même si c'est difficile.

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  6. J'en garde une impression mitigée aussi, il y avait une sorte de langueur qui ne m'a pas enchanté.

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  7. ce n'est effectivement de loin pas son meilleure roman (perso j'adore "la reine du Sud" et "El Asedio" son dernier roman), mais pour ceux qui aime la mer je suis sur qu'il est parfait.

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  8. J'avais aussi été très mitigé (j'aime beaucoup ce que fait APR, même quand il se plante).
    J'ai gardé le bouquin parce que j'avais bien aimé l'énigme. J'espère en faire un scénario de JdR, un jour, un jour...

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  9. J'ai trouvé ce roman d'un plat et d'un convenu à mourir d'ennui, et je l'avais passé au hachoir dans un billet saignant.
    Et le film qui en a été tiré est pire que le roman.

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  10. Bien vu et bien dit ! Rien à redire en effet à la partie de technique marine. Pour le reste c'est un polar, dont on tourne sans effort les nombreuses pages. "Roman de port", comme on dit "roman de gare". Mais reste une belle célébration de la Méditerranée, des marins et des bateaux, et aussi l'hommage constant aux grands écrivains de la mer.

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