Le disque de jade


José Frèches est une drôle de petite bête. Conseiller à la Cour des comptes, directeur adjoint à la communication de la ville de Paris sous Jacques Chirac, c'est un énarque dont on attend plus la rédaction de rapports technocratiques que de sagas historiques. D'autant qu'il est responsable de la privatisation de TF1, qu'il a dirigé Canal+ et qu'il a rejoint le clan Sarkozy aux affaires. Et pourtant... Il a également été conservateur de musée et est sinologue. Comme quoi, il ne faut pas mettre trop vite des étiquettes aux gens.

Et donc, Frèches a écrit deux trilogies se déroulant dans la Chine antique, mais je ne vais vous parler que de la première : Le disque de jade. Il y a très très longtemps, dans un lointain pays qui ne s'appelle même pas encore Chine, vit un éleveur de chevaux répondant au nom de Lubuwei. Il est riche, il est beau et le hasard le met en possession d'un bi de jade aux propriétés magiques : on dit que celui qui le possède devient immortel. Mieux, une prophétie (aïe, ça commence à partir en sucette) prédit que le bi va provoquer l'arrivée d'un empereur qui va unir les différents royaumes en un seul empire, comme au temps de l'Empereur jaune. Et le fait est que, par de heureux hasards, Lubuwei va passer d'éleveur de chevaux à premier ministre du royaume du Qin. Mais là ne fera que commencer sa vie, car une fois en poste, il va avoir une maîtresse, un fils et des tas d'emmerdes.

Le disque de jade est donc une fresque. Lubuwei est certes le pivot central du récit, mais c'est l'occasion pour l'auteur de dépeindre une grande partie de la cour du roi du Qin. Les rois vivent et meurent, les royaumes voisins ourdissent des complots, différentes écoles de philosophie s'affrontent... C'est du gros déploiement façon Robert Hossein. On en a pour son argent, car Frèches connait bien son univers et arrive à présenter la Chine antique avec une relative maestria. Par contre, l'auteur n'est pas là pour mettre en scène du kung fu : ça reste un tableau historique. Avec de la magie, certes, mais hors de question de basculer dans la fantasy.



Je crois que c'est maître Li qui disait : "Une histoire bien racontée ne doit pas en trois volumes être diluée." Enfin, si ce n'est pas maître Li, ça doit être son frère. Toujours est-il que je suis bien d'accord avec lui : la trilogie est souvent une bien mauvaise idée. Et celle-ci ne fait pas exception : après un premier volume qui lance bien l'affaire, le second tome est interminable de longueur. Frèches s'y emmêle les pinceaux en radotant à longueur de pages. Il réexplique des choses qu'il a déjà largement étalées précédemment, y rajoute un peu de redite pour rendre ça indigeste et n'hésite pas à en resservir à volonté. Par exemple, il insiste trois ou quatre fois sur le fait que les eunuques de l'époque gardaient leurs testicules en sécurité car ils devaient se faire enterrer avec pour que leur corps soit complet au moment de la sépulture. Très bien, c'est noté. Inutile de le redire à chaque fois qu'un eunuque entre en scène.

Mais José Frèches trébuche aussi sur des clichés qui semblent parfois tellement évidents. Ainsi, il fait penser à l'un de ses personnage : "Il se disait que d'une étoile ou depuis la lune, on pourrait voir le Grand Mur à l'oeil nu." Bon, la Grande Muraille de Chine a la largeur d'une autoroute, donc pour la voir à l'oeil nu depuis la lune, c'est un peu mort. Mais surtout, comment un Chinois de cette époque reculée peut avoir l'idée saugrenue d'imaginer ce que l'on voit depuis la lune ? Surtout que pour lui, c'est sans doute une divinité, la lune, alors pas question d'y foutre les pieds et de regarder la Terre de là-haut. Pas même en rêve.

Autre agacement : les scènes de cul. Je dois reconnaître qu'elles sont superbement imagées. La madame tripote le bâton de jade du monsieur, qui caresse sa vallée des roses avec de passer par sa sublime porte de derrière... C'est charmant. Mais là encore, combien de redites... Dès qu'un couple se met à faire des galipettes, l'auteur y va de ses euphémismes poétiques et nous refourgue son catalogue érotique. Et croyez moi, ça baise dans cette trilogie.


Et je ne dirais pas que du bien sur la narration : c'est souvent très creux tout ce bouzin. Ainsi, Lubuwei est censé être premier ministre, mais franchement, pas une seconde il n'est mis en scène dans sa fonction. Même si le récit est peuplé de personnages (au point où je me suis parfois perdu entre les protagonistes secondaires qui manquaient cruellement de relief), c'est un univers bien vide. Je ne suis jamais arrivé à imaginer le décor tellement les descriptions sont absentes.

Par contre, Frèches a très bien su mettre en scène le côté yin/yang de la Chine : soit ses personnages sont bons et doux comme des colombes, soit ce sont des rois bêtes et méchants, il n'y a jamais de demi-mesure.

Alors, pourquoi ai-je continué malgré tout ? Il faut avouer que l'époque décrite est passionnante. Et Frèches a des choses à raconter sur cette période. Je ne suis vraiment pas persuadé que le roman est la forme idéale pour cela, car ce n'est clairement pas un bon écrivain à mes yeux. Il ne maîtrise pas la tension dramatique de son histoire, il est obnubilé par la maison royale, il s'écoute écrire pendant des chapitres entiers... Ça fonctionne parce que le décor est enchanteur et mystérieux, mais très franchement, l'auteur n'y est pour rien dans cette magie orientale. Ça reste du boulot d'énarque sans doute passionné, mais à qui il manque une plume et du talent.

Commentaires

  1. Bon, je suis moins chaud que Frèches pour le coup ;-)

    Ca signifie quoi Wu Zia ?

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  2. Le wu xia, c'est le genre littéraire qui désigne les histoires qui se passent dans la Chine antique avec des mecs qui se tatanent la gueule à grand renfort de kung fu. Cette trilogie n'est pas wu xia, mais je me sers de ce tag pour mes lectures et visionnages sino-pas-de-chez-nous.

    Ceci-dit, les bouquins de Frèches sont très appréciés. Encore une fois, je crois que cela tient plus au décor chinois qu'à l'écriture du bonhomme.

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  3. J'ai bien aimé le premier tome, mais alors le reste... un véritable calvaire.
    Depuis ma folie chinoise a passé.

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  4. Sincèrement je t'admire d'avoir été jusqu'au bout! On me l'avait offert à Noël il y a qq années cette trilogie, mais j'ai calé au milieu du deuxième tome. Les redites et les scènes de cul en veux-tu, en voilà m'ont saturée.

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  5. Moi, j'ai trouvé ça chiant dès le premier tome et je suis pas allé au bout.

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  6. Moi, j'ai trouvé ça chiant dès le 4e de couverture... Hop, dans la LAP (Liste A Pilonner).

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  7. Tant qu'à lire du Wu Xia, ou même des bouquins sur l'antiquité Chinoise, il vaut mieux lire directement les classiques Chinois, comme Au bord de l'eau. C'est plus chiant à lire (2000 pages dont 1000 ou chacun des 108 bandits légendaires rejoint la bande...chacun ayant 3 prénoms, deux noms et 2 surnoms), mais au moins l'écriture et le contenu sont plus authentiques. Pareil pour le Japon, il vaut bien lire La Pierre et le Sabre qu'une imitation française... (quoique sur le Japon le Shogun de Clavell soit excellent). Enfin bon je critique sans avoir lu Frèches, mais alors après ta critique, j'ai encore moins envie !

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  8. @ Mimouille
    Je me méfie de l'authenticité.
    Au bord de l'eau, c'est très beau, j'ai essayé de le lire et c'est chiantissime.
    Je préfère la version BD (2 tomes à ce jour) qui raconte les choses de manière plus compatible avec notre lecture actuelle.
    J'adorais lire une version romancée d'Au bord de l'eau réécrite par un auteur contemporain. Quelqu'un qui soit capable de couper dans le gras et d'adapter l'histoire.

    C'est marrant que tu parles de Le pierre et le sabre car la version que nous lisons actuellement est très moderne, c'est une réécriture d'un vieux mythe. Si on avait gardé la version antique comme pour Au bord de l'eau, je ne suis pas certain que nous apprécierons autant le roman.

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  9. @Cédric
    Je comprend bien pour au bord de l'eau, bon moi j'ai résisté, mais c'est vrai que j'en ai chié :)
    Par contre pour la Pierre et le Sabre, je ne vois pas ce que tu veux dire. Ca a été écrit par Eiji Yoshikawa à partir de 1935. Ca raconte l'histoire de Musashi, mais je ne savais pas qu'il y avait eu tant d'autre versions...en plus ce n'est pas si vieux, parce que Musashi a vécu au 17è siècle. En tout cas c'est un bouquin génial et la suite aussi :) Et si vous aimez faites vous aussi l'adaption manga (Vagabond) qui est magnifique.

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  10. Dans mes souvenirs (peut être erronés) Eiji Yoshikawa s'est basé sur des vieux textes du 18e. C'est certain que ce n'est pas aussi antiques qu'Au bord de l'eau, mais entre une narration du 18e et celle de 1935, je pense qu'il y a un écart notable.

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  11. Le malade mental a encore frappé !!!

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  12. Les bots arrêtent le porn et font de la poésie : c'est plutôt pas mal, comme progrès, non ? Bientôt le spam en haiku.
    Grow your dick longer
    Naked in your arms
    She dances

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