Mortelles décisions


Si vous connaissez la série télévisée Bones, vous êtes, peut-être sans le savoir, familier avec le travail de Kathy Reichs. Cette dame est en effet anthropologue judiciaire à Charlotte (Caroline du Nord) et à Montréal. Et comme enseigner en plus sa matière lui laissait trop de temps libre, elle a décidé d'écrire des polars racontant les enquêtes de Temperence Brennan, une anthropologue judiciaire qui travaille à Charlotte (Caroline du Nord) et à Montréal. Et Temperence écrit elle aussi des polars, qui mettent en scène un personnage fictif du nom de... Kathy Reichs. Bon, je ne suis pas là pour comparer les bouquins et la série (dont j'ai vu quelques épisodes au débotté), mais les deux oeuvres sont aussi fidèles l'une à l'autre que Les Androïdes rêvent-il de moutons électriques ? et Blade Runner le sont l'un envers l'autre.

L'action de ce roman (le 3e de la saga qui en compte 14 à ce jour) se déroule à Montréal où une guerre entre motards met le Québec à feu et à sang. Temperence déterre des cadavres, analyse des os et ramasse les morceaux de barbaque sur les lieux d'une explosion. Et hop, à force de mettre son nez partout, elle se retrouve en première ligne dans cette guerre entre bandes rivales.

Bon, Kathy Reichs est sans doute un as quand il s'agit de triturer des lombaires ou de comparer les ratiches d'un macchabée avec sa fiche dentaire, mais quand il faut écrire un livre, c'est un peu du grand n'importe quoi. Son alter ego grossier nous fait de grandes nunucheries morales sur le ton "Non, je ne laisserai pas des enfants innocents tomber sous les balles des motards". Les relations avec ses collègues flics sont grossières : ce sont soit des gros cons, soit des mecs en or. Les chapitres se terminent sur des cliffhangers minables où la narration annonce "Et là, quelque chose d'incroyable se passe" sans décrire la scène, tandis que l'héroïne hurle "Oh ben ça alors !". Pour enfoncer le clou (mais était-ce nécessaire), elle fait débouler des personnages secondaires qui tombent à point nommé, tel ce neveu qui débarque pile au bon moment de son Texas et qui est, comme c'est bien pratique lors d'une enquête sur les motards, passionné par les Harley Davidson. Ben voyons. Le tout avec des scènes vibrantes d'intensité où Temperence se fait dégeler des lasagnes avant de regarder du sport sur le câble en caressant son chat. Génial. Évidemment, Montréal n'est qu'un décor de carte postale qui est maladroitement dépeint en balançant quelques noms pour faire exotique, mais le récit ne raconte rien de la ville, de ses habitants, de la culture locale. Que du vent.

Niveau narration, c'est aussi bancale. Temperence est scientifique de formation, mais pas son lecteur moyen. Alors elle pose des questions connes à d'autres personnages pour bien tout expliquer à son lecteur. Ainsi, quand elle soupçonne un de ses cadavres d'être celui d'un hydrocéphale, Temperence va voir un neurologue dans un établissement spécialisé et lui pose des questions stupides pour une anthropologue ("Ah bon, de l'eau dans le cerveau ?"). Et en retour, les explications du spécialiste sont moins précises que l'article Wikipédia sur l'hydrocéphalie. Et comme c'est une technicienne qui n'a rien à voir avec l'enquête de terrain, l'auteure est obligée d'inventer des stratagèmes grossiers pour que son personnage puisse jouer au détective. Paf, un type en prison lui demande de venir la voir et lui raconte ses petits secrets. Pouf, une nana lui déballe son sac sans que Temperence le lui demande... L'intrigue est de toute façon fadasse et peu crédible. Il faut aussi se fader les soliloques du personnage central, qui sont à peine plus agréables qu'une émission de radio qui grésille en permanence.

À ce stade de ma chronique, on se dit qu'il n'y a plus rien à dire, le sort en est jeté. Oh non. Un élément de taille vient en remettre une couche dans la médiocrité : la traduction. Bon, Kathy Reichs est américaine, je comprends tout à fait qu'elle écrive ses histoires en anglais en mettant un mot en français de temps en temps pour faire pittoresque. Mais la traduction française est elle d'une platitude affolante et surtout, parisienne à mort. Aucun Québécois ne dira "Attends, mec, c'est de la merde, ce baratin !" tel qu'il est écrit page 73 de ce bouquin. Il dira "Attends, mon homme, c'est de la bullshit !" Ces dialogues parisiens dans un Québec de pacotille, c'est un peu comme si Stéphane Bern avait écrit les répliques du film La Haine. Les sacres, qui sont véritablement la ponctuation québécoise du populo, sont francisés en "Sacré bleu" (expression qui n'existe pas dans notre réalité linguistique), on a même droit à un "taberbnac" qui démontre bien le mépris idiomatique du traducteur. Certains noms de gangs de motard sont traduits (les Vipères... wow, ça fait peur comme nom) alors que les autres sont laissés en anglais. Des noms de rue de Montréal sont traduits en français alors que les montréalais les prononcent à l'anglaise.

Je résume donc, une histoire qui ne tient pas debout, écrite avec les pieds, située dans un décor en carton-pâte et traduite par quelqu'un qui pense connaître le Québec parce qu'il possède un CD de Céline Dion. Pas de doute, plusieurs Mortelles décisions ont été prises tout au long du processus d'édition de cette bouse.

Commentaires

  1. Ahah !

    Une chose est sure, j'ai bien rigolé en lisant ton article. En tout cas, j'aime beaucoup la série Bones, et au vue de ce que tu racontes dans l'article, je n'ai pas l'impression que ce sont les mêmes choses, mis à part le même nom pour l'héroine.

    En tout cas, tu m'as dissuadé de tester les romans dont sont issus la série.

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  2. Quel dommage, tu n'as pas lu son meilleur roman. En effet, dans un autre opus, elle doit se coltiner un perroquet (offert par son chéri) et écoute Seul de Garou.

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  3. Merci Sharon.
    Je vais attendre le roman où elle mange de la poutine en écoutant Lynda Lemay.

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