Le Jeune Staline


Ce livre ne devrait pas s'appeler Le Jeune Staline mais plutôt Les multiples vies de Staline tant il a vécu une vie tumultueuse. Chaque chapitre semble parodier les aventures de Conan le Barbare : c'est Staline le voleur, Staline le pirate, Staline l'exilé... Fils putatif d'un cordonnier alcoolique, Staline est très vite élevé par une mère tellement aimante qu'elle le dresse à coup de poings, pas méchamment, hein, c'est comme ça qu'on faisait dans le temps. Je dis fils putatif car tout au long de sa jeunesse Staline va avoir des parrains très généreux, ce qui permet de douter de la paternité du gamin. Gamin violent, il est très tôt le chef de bande des petits merdeux du coin. Élève brillant, on le destine au séminaire. Mais l'usine à popes est tout sauf un lieu d'élévation. Agressions sexuelles, violence, jeu et autres vices sont le quotidien des élèves. Staline y apprend ce qu'est la surveillance, la punition et la terreur. Et paradoxalement, c'est au séminaire qu'il va lire en cachette Hugo, Zola et Marx et devenir un révolutionnaire. Il développe un athéisme de circonstance.

Une fois ses études laissées sur le bas-côté, vient la vie criminelle. Car la révolution, ce n'est pas un emploi de bureau. Il y a d'abord le jeu trouble avec la police tsariste, car on ne sait jamais qui manipule qui. Staline change souvent d'identité et de résidence, mais conserve un goût immodéré pour l'action et la manipulation. Lénine a besoin d'argent ? Staline va le financer, flingue à la ceinture. Attaque de banque, de train, de diligence... Ce n'est pas le Caucase, c'est un vrai far west géorgien. Les bombes pleuvent, on dirait un épisode des Mystères de l'ouest. Et Staline manque plusieurs fois de trouver la mort dans des attaques hasardeuses ou des plans foireux. Mais non, il s'entête et fait assassiner gendarmes et traitres. Souvent, la police tsariste le traque, et parfois, elle finit par lui mettre la main au collet. C'est alors la prison, d'où il s'évade dans la grande tradition vidocquienne. Même exilé en Sibérie, il revient de tout et s'en sort in extremis.

Puis vient la vraie montée en puissance politique. Les magouilles. Le passage par Londres et Munich. Les jeux de pouvoir entre mencheviks et bolcheviks. C'est là aussi un tourbillon enivrant, avec des trahisons, des complots, des changements d'identité... Un vrai roman. La révolution d'octobre ? Staline la rate presque tellement les évènements sont chaotiques. Mais quand il faut écarter un adversaire et s'imposer, vous pouvez compter sur lui. Toujours.

Au final, cette biographie est étrange. Il est difficile de voir dans ce criminel endurci le futur dictateur implacable. C'est irréel, on a un vrai héros d'aventure, un criminel façon Mesrine version poète, c'est très difficile de le relier au type qui va tuer des millions de russes. Mais sa vie folle de crapule lui donne la dureté et le tranchant nécessaire. Les amitiés forgées dans le crime vont lui servir de marchepied pour accéder au trône. Les rancoeurs tenaces provoqueront les massacres de demain (ainsi, il se fait casser la gueule par une bande de Tchétchènes lors d'une énième magouille et se vengera bien plus tard en déportant ce peuple). Il se dessine aussi un séducteur avec un beau palmarès mais qui est incapable d'avoir une vie amoureuse. La révolution prend toujours le dessus. C'est également un père ignoble qui reproduit le schéma parental déplorable qu'il a connu. Le comble est quand il se met en ménage avec une fillette de 13 ans.

On peut douter de la véracité de tout ça en se disant que c'est de la propagande. Sauf que c'est exactement l'inverse : toutes ces informations ont été mises de côté quand fut construit le culte stalinien. C'est au contraire parce que tout cela n'était pas connu pendant le régime de Staline que ce passé tumultueux devient crédible. Ce sont des témoignages expurgés, des confidences d'ancien frère de crime, des archives retrouvées qui composent cette mosaïque. C'est n'est pas encore le Staline monstrueux, c'est un Staline en devenir. Il suffirait qu'il ne croise pas Lénine ou que la police tsariste fasse correctement son travail pour que la Russie ne connaisse pas son boucher le plus terrible. Il aurait pu également rester un poète, tout comme son homologue allemand aurait pu devenir peintre.

Commentaires

  1. Anonyme11/4/11

    A quel moment le livre s'arrête-t-il ? La mort de Lénine ? On n'est pas trop perdu entre les villes géorgiennes ?

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  2. Yep, le livre s'arrête à la mort de Lénine. Ce ne sont pas les villes géorgiennes que j'ai trouvé le plus difficiles à retenir mais plutôt la ribambelle de personnages que Staline fréquente.

    Et comme c'est une biographie basée sur des archives, c'est bourré de phrase entre guillemets, c'est un peu lourd à la longue.

    Mais c'est enlevant.

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  3. Jeremy14/4/11

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  4. @Cédric : c'est vraiment lourd à lire ?
    Parce que j'étais bien tenté...

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  5. @Jeremy : Je suis parfois un peu éberlué par les techniques de communication révolutionnaires utilisées mais le marché des médias...

    @Cédric : ok tu m'as convaincu. De toute façon ça ne peut pas être plus chiant que le dernier Esslemont.

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  6. @ Jeremy

    Non, merci.

    @ Elfelle

    J'avais moi aussi peur d'un ouvrage complexe, mais au final Staline ne se met que tardivement à la vraie politique, c'est donc plus un livre sur un braqueur de banque politisé. Je ne suis pas particulièrement passionné par la période tsariste façon le Docteur Jivago, pourtant j'ai avalé cette biographie sans problème. Sans doute parce que c'est plus du western qu'autre chose.

    Ceci dit, le livre a éliminé en moi les derniers restes de romantisme révolutionnaire pour m'ancrer dans la sociale-démocratie.

    Ce qui est lourd, c'est le dernier chapitre où l'auteur présente le destin de la plupart des personnages qui ont croisé la route de Staline. Un vrai jeu de massacre. Hitler était fou, mais son délire avait quand même une certaine logique interne. Je n'arrive même pas à comprendre la logique de Staline qui détruit un jour ce qu'il a aimé la veille.

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  7. "Ceci dit, le livre a éliminé en moi les derniers restes de romantisme révolutionnaire pour m'ancrer dans la sociale-démocratie."

    C'est tellement beau que j'en ai les larmes aux yeux :p

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  8. L'impression que ta critique donne c'est celle d'un jeune délinquant en perte de repère qui devient un criminel endurci toujours aussi en perte de repère. Et l'idéologie révolutionnaire sera là pour combler un manque. Bref quelqu'un qui est venu à la révolution pour de mauvaise raison ce qui peut expliquer son comportement, et ce qu'il a fini par devenir.

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  9. Je ne sais pas s'il y a de bonnes et de mauvaises raisons de faire la révolution, mais c'est vrai que le marxisme est chez Staline plus un moyen qu'une fin en soi.

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