Chroniques birmanes


Après Shenzhen, Pyongyang et les Chroniques de Jérusalem, je continue ma lecture déchronologique des séjours de Guy Delisle dans des terres lointaines et dictatoriales. Cette fois-ci c'est au Myanmar, un sympathique junte militaire qui décime des minorités ethniques dans l'arrière-pays ou décide du jour au lendemain de déménager la capitale au centre du pays, juste comme ça, parce que le changement c'est maintenant. Accompagnant sa femme qui bosse pour MSF, Delisle est comme d'habitude ce papa expatrié qui essaye de dessiner tout en goûtant à l'ordinarité toute relative de la vie quotidienne locale. Au menu : coutumes locales, censure et coupures d'électricité. Un mélange de décalage culturel, de folie dictatoriale et de train-train quotidien. C'est vraiment dans la droite ligne de ses BD précédentes et suivantes. On le sent peut être moins curieux culturellement qu'il ne le sera par la suite à Jérusalem où il ira plus loin dans la découverte du pays et la rencontre avec l'autochtone. Mais j'imagine que le fossé est moins grand avec Israël qu'avec une lointaine terre birmane qui tremble sous la botte de généraux d'opérette.

Une question se pose toutefois : est-ce que MSF apprécie le témoignage indirect de Guy Delisle ? Parce qu'en Birmanie, on ne peut pas dire que l'image de l'humanitaire soit glorieuse. Les ONG font ce qu'elles peuvent, mais on sent un manque de synergie cruelle entre les différents organismes. Les intervenants avec qui Delisle discute sont d'ailleurs par moment très cyniques sur les raisons qui poussent une ONG à être présente malgré l'inefficacité du dispositif. Ça fait bien d'être présent dans ce pays en ce moment, ça permet de récolter plus de dons et de dorer son petit blason humanitaire. Et comme j'ai la chance d'avoir deux cousins qui font de la coordination pour MSF, je me suis empressé de leur filer les BD pour en discuter. Et ce qu'ils me racontent est par moment assez déprimant. Les différentes antennes ne s'entraident pas, il y a une forme de compétition entre elles. Tout le monde ne pagaye pas dans la même direction, loin de là. Pas au point que je n'ai pas envie de financer ces French doctors qui prennent des risques à chaque mission, mais de quoi me méfier des politicailleries qui sont hélas le lot des décideurs qui ne foutent jamais les pieds sur le front. De ce point de vue là, Guy Delisle m'a fait perdre pas mal d'illusions. Mais tant mieux, c'est le réel.

Commentaires

  1. Travaillant moi-même dans l'humanitaire (en marge, mais un peu quand même), je ne suis pas étonné.

    Il y a de moins en moins d'argent des donneurs, qui en retour sont de plus en plus exigeants sur la paperasse et, du coup, toutes les organisations locales se battent pour exister, tout en ayant de moins en moins de temps et de moins en moins de moyens pour faire des choses concrètes.

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  2. Dans mon souvenir, on a déjà vu des organismes dont à peine 20% du budget total sert sur le terrain, tout le reste étant bouffé par l'administration, les campagnes de pub et autres frais afférents (aucun jeu de mots ne sera ici toléré, merci).
    Si on ajoute à ça les guéguerres d'égos entre les têtes pensantes de l'organisation, ça démotive vite.
    Mais d'un autre côté, il suffit d'entendre le témoignage de quelqu'un qui a pu réellement être sur place pour aider ceux qui en avaient besoin pour que les considérations d'efficacité budgétaire disparaissent pour un temps.
    Ce qu'il faudrait, c'est que des consultants aident ces ONG à devenir autre chose que des machines qui doivent passer de plus en plus de temps à justifier leur existence. Comment ? Consultant sans frontières vous dites ? Ah bon. Tiens, je vais sur leur site et je lis "La concurrence dans le monde de la solidarité internationale, faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter ?".
    Si même les consultants le disent…

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    1. Je confirme que la concurrence dans le monde de la solidarité est un sujet chaud. Outre les problèmes d'ego et la raréfaction des subsides, il y a également les divergences éthiques ou méthodologiques qui entrent en jeu. Médecins du Monde ou Médecins Sans Frontières ?

      Et, puisque je peux témoigner, en tant que (récent) membre de Consultants Sans Frontières : Dans les réponses à appel d'offre, CSF est en concurrence avec les grosses boîtes de conseil habituelles. Hé bien figurez-vous que le côté associatif, (quasi)bénévole et militant de CSF nuit plutôt qu'il ne sert pour l'obtention des marchés. Souvent, les assos, même petites, préfèrent passer par les grosses boîtes, qui donnent plus de gage de sérieux - même si la facture passe de 1 à 100.

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    2. Ton dernier paragraphe est déprimant.
      La bonne nouvelle, c'est que tu vas bientôt pouvoir écrire une BD à mi-chemin entre Quai d'Orsay et les chroniques de Guy Delisle.

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    3. bientôt : laisse-moi finir 2-3 trucs d'abord avant d'accepter une mission d'accompagnement du changement à Haïti ou ailleurs... :)

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