Reign dans le rétro

Oujeda

Dessin de l'indigène Oujeda offert par Wenlock sur Casus NO pour m'encourager
à reprendre la narration pendant un coup de mou.

Quand le jeu de Greg Stolze Reign est sorti il y a quelques années, je l’ai rapidement acquis et lu. J’ai également participé aux rançons des multiples suppléments et contextes de jeux dans les mois qui ont suivi, et j’ai même acheté lesdits suppléments (pourtant gratuits en PDF), à la fois pour avoir un support papier et pour soutenir l’auteur. J’étais prédisposé à aimer ce jeu : j’avais adoré la mécanique de Unknown Armies dont il était responsable et celle de Godlike qui était la première incarnation commerciale du One Roll Engine (ORE), sans oublier le supplément Spherewalker qu’il a écrit pour Everway, sans doute le truc le plus extraordinaire que j’ai jamais lu en termes de contexte de jeu.

J’ai rapidement avalé Reign puis convié quelques potes pour faire une partie test. Le principe du jeu étant de jouer les membres d’une organisation (avec des mécanismes permettant à la fois d'incarner classiquement des personnages et parallèlement de mesurer l’évolution de l’organisation à laquelle ils appartiennent) j’avais décidé de frapper un grand coup en préparant un one-shot dont les personnages seraient les dirigeants d’un culte sanguinaire laissés aux commandes après la mort malencontreuse de leur Pontife. Gros succès pour ce one-shot, que j’ai d’ailleurs refait jouer depuis. Du coup, je décide dans la foulée de monter une campagne.

Après un peu d’hésitation, je me focalise sur un thème qui mélange exploration, diplomatie et commerce, avec une organisation qui sera une colonie sur un nouveau continent. Dès la première partie, entre des entretiens de licenciement (de leurs boulots précédents dans une maison de commerce), des prophéties étranges (un des personnages ayant choisi une magie divinatoire) et une première réunion de financement de leur expédition, on était déjà parti assez largement sur des tangentes rôlistiques qu’aucun d’entre nous n’avait jamais explorées.

Il y a deux semaines, cette campagne s’est terminée, et j’ai eu envie à travers ce petit texte de traduire mon ressenti par rapport au jeu, au système et à notre manière de l’appréhender. La première chose à préciser c’est que de mon point de vue et, je le crois, de celui des joueurs, c’est plutôt une bonne campagne avec son lot de moments de bravoure et de scènes mémorables. Je pense qu’on parlera longtemps des premières explorations de la jungle de Terre-Neuve, de la rencontre entre Martin et Sharquenoir, de la ‘négociation’ avec le Satrape de Santerne et de l’opération ‘Martin Guerre’ de Henri au cœur de l’Empire. C’est aussi la première campagne que je termine depuis plus de 15 ans et la seule que j’ai jamais narrée dans son intégralité (si ça vous intéresse, il y a un fil dédié sur Casus NO, et je mettrais surement ça en forme un jour prochain).

Mais quid du système ? Reign est un jeu qui a formalisé de manière générique ce que d’autres (comme Birthright) avaient tenté de proposer de manière spécifique, à savoir le jeu croisé entre les actions des individus personnages et les décisions collectives concernant l’organisation à laquelle ils appartiennent. Du coup ça suscite beaucoup de curiosité mais j’ai l’impression qu’il y a relativement peu de joueurs, en tous cas en France. J’espère que ce ressenti a posteriori sera du coup intéressant même si il n’est sans doute pas représentatif de la manière dont d’autres groupes utiliseraient le même système.

Structurellement, Reign (si l’on lui ôte sa couche 'univers de jeu' qui est très étrange bien que truffée d’idées géniales) est constitué d’une base très simple pour les actions des personnages sur laquelle viennent se greffer le système de magie, des améliorations de compétences et des capacités extraordinaires. Pour faire vivre ces derniers éléments, il est indispensable que les joueurs se les approprient, ce qui n’a jamais été le cas des miens. Sur 5 joueurs (dont un a quitté la table avant la fin) seuls 2 avaient lu les règles, et personne à aucun moment n’a manifesté d’intérêt pour les améliorations de compétences ou les capacités extraordinaires. Quant à la magie, le choix d’une école de Divination par le seul joueur ayant manifesté l’envie de pratiquer a eu pour conséquence une absence totale de rôle actif de celle-ci dans la campagne. Je voulais une ambiance low fantasy dans un contexte renaissance, et j’ai été servi.

Le moins qu’on puisse dire, du coup, c’est que le système ne s’est pas mis en travers de la campagne. Il y eu bon nombre de parties sans aucun jet de dés. Il y a bien eu quelques combats épiques (en particulier pendant la partie exploration des débuts et les premières confrontations avec les indigènes du nouveau continent) pour lesquels le système a parfaitement tourné, mais inévitablement vu le thème de la campagne ce n’était pas le centre des préoccupations.

Ce qui m’a plus surpris, c’est qu’assez rapidement nous avons également abandonné le système de compagnie qui est pourtant central au concept. Je pense que c’est du à la fois à notre façon de jouer et à une faiblesse de ce système au regard du thème de notre campagne. Il y a peut-être une autre explication qui est que le premier tiers de la campagne (avant que la Compagnie de Terre-Neuve ne soit constituée) s’est fait sans ce système ; mais au final je pense que si nous avions eu le sentiment que la mécanique nous apportait quelque chose de vital, nous l’aurions conservée.

La difficulté pour moi (qui suis un MJ qui me complaît dans l’immersion) et pour certains des joueurs, c’est le côté un peu artificiel de la mécanique des Compagnies. Les actions de la Compagnie sont codifiées, et certaines (en particulier l’activité commerciale de base : j’achète ici et je vends là en faisant du profit) n’existent pas. Au lieu d’un déroulement qui part des objectifs de la Compagnie et se termine par le jet de dé idoine, les joueurs avaient tendance à partir des actions possibles et de voir comment ça pourrait coller avec leurs objectifs. Du coup, on casse l’immersion, et ça devient une sorte de mini-jeu de plateau à côté de la partie, mais ça n’y est plus complètement intégré.

Il faut tempérer cette appréciation encore une fois par le fait que même sur la mécanique de base du système, nous avons utilisé le strict minimum (que j’estime à une quinzaine de pages du livre de base). Du coup, je pense que cette gestion mécaniste de la Compagnie ne nous convenait pas alors qu’elle conviendrait à d’autres groupes plus portés sur les aspects tactiques. J’ai vu récemment sur Casus NO des discussions similaires sur Eleusis, certains regrettant l’absence de mécanique pour gérer la fortune des personnages et les jeux d’influence, d’autres trouvant au contraire que tout ça peut être joué sans support mécanique. Clairement, nous faisons partie du second camp.

Au final, ce qui reste pour moi c’est surtout un concept qui change assez radicalement la manière d’envisager une campagne de JdR. Je pense qu’après Reign je serais bien incapable de revenir à un style de jeu, particulièrement en médiéval-fantastique, qui tourne simplement autour de la progression et de l’enrichissement personnel des personnages. D’être forcé à penser dans un contexte plus large nous a amené à jouer différemment, à mettre en scène des situations qu’aucun d’entre nous n’avait jamais jouées en 30 ans et plus de JdR. Rien que ça, ça a été une bouffée d’air frais pour moi, et le grand plaisir que j’ai eu à mener cette campagne vient de là.

Finalement, que la mécanique ait été utilisée pour ce pour quoi elle était conçue ou non, c’est la construction de ce jeu qui a suscité ce changement d’approche, et rien que pour ça la lecture et le test sur table de Reign est vivement recommandée !

Commentaires

  1. Anonyme28/1/13

    Merci de ton retour.

    J'en profite pour signaler l'existence de Reign:Enchiridion, qui est le corpus de règles débarrassé de l'univers du bouquin originel. 8,24€ sur amazon, ça fait pas cher le coup d'oeil !
    http://www.amazon.fr/gp/product/1907204652/ref=as_li_ss_il?ie=UTF8&camp=1642&creative=19458&creativeASIN=1907204652&linkCode=as2&tag=preunlivetlis-21

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  2. Je dois dire qu'ayant lu ton texte, je me suis intéressé à la chose et ai fait l'acquisition de Reign Enchiridon. Ok, je n'ai pas de joueur, étant perdu dans le désert rolistique rémois, mais ça n'empêche pas de lire et conceptualiser des choses.

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  3. Je t'encourage à le faire, Lonch' !!!

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