Les jeux qui m'ont façonné

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Memories of D&D by Benoît Felten

Un fil de discussion sur les conseils qui ont fait de vous un meilleur joueur sur Casus NO m’a fait réfléchir à mon expérience de maître de jeu et ce qui avait formé mon approche en la matière. Pourquoi maître de jeu plus que joueur ? D’abord parce que j’ai été beaucoup (beaucoup) plus souvent maître de jeu que joueur depuis 1982, l’année où j’ai découvert D&D et sa boîte rouge, et les jeux de rôles par la même occasion. Ensuite parce que je n’intellectualise pas beaucoup quand je joue. Je fais les choses à l’instinct, c’est une détente par rapport à la maîtrise d’une partie, je ne vais pas me faire des nœuds au cerveau non plus !

D&D a été mon premier jeu, puis l’Appel de Cthulhu quelques années plus tard. Comme pour beaucoup d’autres joueurs de ma génération, ces deux monstres sacrés ont largement déterminé ma manière de maîtriser jusqu’à la fin des années 80. Que je maîtrise des campagnes maison ou des scénarios du commerce, l’essentiel était dans l’action, et le but avoué était de faire progresser les personnages pour pouvoir leur balancer à la tronche les monstres plus balaises du bouquin (pour D&D) ou faire peur aux joueurs (pour l’Appel de Cthulhu). Ça marchait bien pour le premier, et rétrospectivement pas trop bien pour le second.

La claque, le premier jeu qui a vraiment élargi mon champ de vision en tant que maître de jeu fut Rêve de Dragon. Ce que Rêve de Dragon m’a fait comprendre de manière magistrale, c’est que les joueurs pouvaient s’éclater à jouer des bouses. Jusque-là, il était évident pour moi que le principe d’un jeu de rôle c’était de jouer des héros, des personnages importants et puissants. A Rêve de Dragon, après quelques combats malheureux, quelques séances à jouer les saltimbanques pour s’acheter un quignon de pain (ou à trucider un badaud dans les gogues pour lui piquer ses bottes selon les joueurs…) et quelques queues de dragon passées à poil ou à refuser de lever un pied pour se déplacer, la notion d’héroïsme en avait pris un coup. La spirale négative du combat, tant décriée dans d’autres jeux faisait partie intégrante de notre appréciation de la chose, au point que nous avions un proverbe pour RDD : « Plus ça va mal, plus ça va mal ! » Evidemment, si ça m’a marqué, c’est que nous prenions notre pied, MJ comme joueurs. On s’éclatait à jouer des merdes. Quelle révélation !

J’ai surfé sur la vague Rêve de Dragon pendant quelques années, allant même quand j’habitais en Angleterre jusqu’à en traduire une partie pour pouvoir y faire jouer mes potes rosbifs. Mais entre-temps, Vampire était sorti, et si au premier abord son thème ne me parlait pas j’ai compris à un moment qu’il y avait un potentiel à surprendre mes joueurs blasés. Ce que Vampire m’a fait découvrir dans mes années étudiantes, c’est quelque chose qui m’habite toujours : le potentiel du jeu social. Vampire est souvent décrié (à juste titre) pour ses dérives bourrines et (à tort à mon avis) pour la structure sociale rigide de son univers de jeu. L’avantage de cette structure relativement statique (renforcée par le postulat qu’hors des villes, point de salut) c’était de permettre à une campagne entière de se dérouler avec une unité de lieu absolue, où l’intérêt n’est pas dans la découverte de nouveaux lieux mais dans l’approfondissement des personnages qui peuplent la ville. Les descriptions de PNJ de Chicago by Night sont des lointains précurseurs des diagrammes relationnels qui fleurissent dans des jeux récents comme Smalville ou Hillfolk. Il n’y a avait pas à l’époque d’impact mécanique, mais la révélation pour moi n’était pas là : elle était dans le fait qu’on pouvait décrire suffisamment en détail un univers de jeu restreint et laisser les joueurs y décider de leurs propres aventures avec un minimum de contribution active du MJ.

Ensuite, pendant plusieurs années, je n’ai pas vraiment eu l’occasion de découvrir ou d’explorer un jeu qui me pousse à changer ma façon de voir les choses. J’ai pratiqué plein de jeux sympas dont certains comme Mage ou Fading Suns que j’adore encore aujourd’hui, mais ce n’étaient pas des jeux qui m’ont fait envisager différemment mon rôle de MJ. La découverte suivante a été la conjonction de deux jeux pourtant très éloignés l’un de l’autre, Exalted et Everway. Le point commun entre ces deux jeux, c’est le parti pris assumé dès le départ que les personnages sont très puissants, qu’ils ont le potentiel de changer la destinée du monde. Un peu l’antithèse de Rêve de Dragon. En lisant Exalted (qui reste encore une grande frustration de MJ pour moi, un concept génial plombé d’un système lourdingue et ingérable…) j’ai pu envisager tout le potentiel d’aventures parmi les puissants. En maîtrisant Everway, j’ai compris que pour que les joueurs aient cette sensation de compter, il fallait sortir du réflexe systématique d’opposition entre joueur et maître de jeu, cette volonté presque atavique d’empêcher un joueur de faire une action quelle qu’elle soit en lui opposant une difficulté ou une péripétie. Se focaliser sur l’essentiel, sur les conflits qui comptent. Exalted et Everway m’ont fait comprendre qu’il faut lâcher la bride aux joueurs pour leur donner cette sensation d’importance et rentrer dans un rôle de réaction où peut-être tout ce qu’on a pu prévoir tombe à l’eau parce qu’ils peuvent ne pas suivre les sentiers balisés. Cette adaptation permanente qui allait bien au-delà de l’improvisation d’un personnage ou d’une scénette pratiqués jusqu’alors s’est avéré enrichissant même si paradoxalement ni Exalted ni Everway ne m’ont satisfait sur le long terme pour des raisons de systèmes inadaptés à mes goûts.

Toutes ces « révélations », d’une certaine manière, se sont concrétisées dans la campagne de Reign jouée au fil des dernières années et dont je vous parlais récemment. Reign m’a immédiatement séduit par sa simplicité mécanique et son concept. Il m’a forcé à penser une campagne autrement, à explorer des territoires de jeu inconnus et très éloignés des poncifs du JdR (réunion d’actionnaires, magouilles politiques de haut-niveau, négociation tribales, accords louches avec des pirates, gestion d’une colonie naissante, etc.) et qui correspondaient peu ou prou à ce que j’avais espéré trouver dans Guildes mais qui n’y était pas. Les expériences passées ont toutes nourri cette campagne d’une manière ou d’une autre. De RDD sont extraits les personnages lambdas jetés dans une aventure hors du commun, de Vampire l’idée qu’il me suffisait de décrire sommairement (pour moi) les factions en place des deux côtés de l’océan et de réfléchir à quelques accroches pour que la campagne se mette en place. Everway / Exalted m’ont nourri dans l’idée qu’il n’était pas nécessaire de mettre des obstacles face aux joueurs à chaque tournant et de faire compter les confrontations. Finalement, Reign lui-même m’a forcé à penser une campagne dans son ensemble différemment de tout ce que j’avais pu faire auparavant.

Ce qui me mène où je suis aujourd’hui, me demandant de quoi mes prochaines expériences de jeu seront faites. J’ai une envie de tester des choses nouvelles (Wastburg et Nobilis pour le moment) mais de l’autre côté du paravent, pour nourrir la machine à innovation de nouveau. Mais je ne m’interdis pas des plaisirs coupables comme ce que sera certainement la partie de Dragon Age que j’ai prévu de maîtriser la semaine prochaine. Est-ce que je retomberais dans mes habitudes de MJ de D&D où est-ce que ça aussi ça aura un autre goût ?

Commentaires

  1. Nous devons avoir un age assez proche, j'ai découvert le jdr en 1987 environs, avec de l'héroic fantastique, via l'Oeil Noir.

    J'ai évoluer vers Rolemaster assez rapidement, puis découert l'Appel de Cthulhu dans la foulé. J'étais fan de Lovecraft, avant de découvrir qu'un JDR sur la question existait. En tant que meneur de jeu, j'ai donc, jouer dans cette univers pendant de nombreuses années. En parallèle j'ai découvert "Conspiration" et ce fut "LE" choc de ma vie roliste, qui a ensuite imprimé à ma manière d'aborder tout jeu de rôle, d'un point de vu plus d'ordre "psycho-symbolique" et beaucoup moins "porte / monstre / Tresors / interrogation sur le bien fondé d'avoir tuer le monstre / perte de SAM".

    Je tente donc, d'immergé les joueurs dans un univers organique, qui vie, malgré les actions des personnages des joueurs et non plus "centré" autour des personnages des joueurs. C'est ce que m'a appris Conspiration, au delà de la perception de l'univers par les personnages des joueurs, des choses se passe, parfois bien plus importante.

    Ce principe je l'ai appliquer à Nephilim, Cthulhu, Vampire et tout les JDR qui m'ont passé par la mains et que j'ai eu la chance de maitriser.

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