Les maîtres de la BD au Québec, ils sont étranges en mautadine.
On a bien Guy Delisle l’angoulêmisé, mais il n’est plus vraiment du
pays car ça fait 20 ans qu’il est parti en France pour mieux partir en Corée du
Nord, en Birmanie ou en Israël.
On a bien Régis Loisel, mais lui c’est le contraire : c’est un
Français de France qui s’est installé au Québec pour manger le pain des bédéistes
québécois.
Et pis on a Michel Rabagliati et sa série des Paul.
Je ne sais rien ou si peu de la vie de Michel Rabagliati. En fait, ce
que j’ai appris de lui, c’est en lisant la vie de Paul, car son héros est une
sorte d’avatar biographique. L’auteur avoue facilement que 90% des histoires de
Paul sont arrivées pour vrai, pas forcément à lui, mais à du monde de sa
famille. Si bien que quand vous suivez l’agonie du beau-père de Paul, ça prend
pas la tête à Papineau pour comprendre que c’est en fait celle, un peu déformée
pour les besoins du récit, du beau-père de Rabagliati. Quand la femme de Paul
fait une fausse couche, c’est pas juste pour se faire des accroire : c’est
arrivé à la femme de Rabagliati. Paul,
c’est donc de la BD du plausible. Y’a rien d’incroyable dans ces histoires :
c’est des vies ben ordinaires. Paul décroche de l’école et se trouve une jobine
dans une imprimerie. Paul va dans le bois pour faire le moniteur de colonie.
Paul tombe amoureux. Paul se met en appartement avec sa blonde. Paul parle avec
son beau-père…
Et malgré (ou à cause de) la simplicité du procédé narratif, ce sont
des BD bouleversantes. Ça vient vous chercher car ce sont des thèmes très
rassembleurs. On se retrouve tous dans cet espèce d’amour de vacances loin de
la ville. On se rappelle de l’émotion qui nous a étreints dans notre premier
appartement. Les angoisses de parturiente, c’est là, à portée de souvenir. Paul
est finalement assez neutre, comme personnage central, et on peut ainsi
aisément se projeter en lui et s’approprier sa vie car elle n’est pas si
éloigné de celle de la moyenne des ours.
Rabagliati dépeint superbement Montréal : rien qu’à regarder ses planches, on sent une odeur de smoked meat de chez Schwartz vous envahir. Même un simple arrêt-pipi au Madrid (qui a été détruit depuis et remplacé par la sainte trinité McDo/St-Hubert/Couche Tard) avec ses dinosaures kitchs donne droit à des cases inspirées.
Je le dis sans honte : j’ai chouiné comme un mioche sur plusieurs
volumes de la série. Rabagliati m’a fait baisser la garde, sans que je m’en
rende compte, avec une foultitude de détails qui sonnent juste, avant de m’en
décrocher un droit dans le cœur. Le tour de magie s’appuie beaucoup sur la
nostalgie. Les souvenirs d’enfance des personnages sont foulés au pied par la
modernité. Le boisé qui servait à faire des cabanes a été rasé pour laisser
place à un lotissement. Le progrès ne va pas être tendre avec l’amour-propre
professionnel du père de Paul. C’est par moment un peu trop appuyé comme
critique consumériste (notamment toute une diatribe sur Apple qui fait un peu « Mononcle
Michel se vide le cœur »). C’est d’autant plus maladroit que l’album « Paul
dans le métro » est une jolie arnaque éditoriale : c’est une
compilation de petites histoires de Paul parues ailleurs qui forment un tome
très dispensable laissant un drôle de goût en bouche.
Paul à la pêche. Paul à Québec.
Paul au parc… Je ne serais pas étonné si bon nombre de lecteurs rechignent
du groin devant ces BD à cause du titre, qui donne l’impression que ce sont des
livres pour enfants dans la droite ligne d’un Martine à la plage ou de Caillou
au zoo. Ça a été mon cas pendant des années, où j’ai ignoré Paul par
snobisme. Je suis content d’avoir passé outre ce petit mépris car c’est une
série magnifique qui forme un bel ensemble. J’ai eu parfois du mal à expliquer
à mes proches à quoi peut bien ressembler le Québec, et Paul est finalement
très représentatif de ce bout de pays. Et en plus, il n’y a pas besoin d’avoir
mis les pieds ici pour apprécier le travail de Rabagliati : c’est une œuvre
qui arrive à faire le grand écart en étant à la fois très universelle et très
personnelle.
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