Monuments Men


Les Monuments Men est le nom donné à une dizaine de types dont la mission pendant la Seconde guerre mondial était de faire en sorte autant que possible les combats ne détruisent pas les chefs d'œuvre architecturaux sur le champ de bataille et aussi de retrouver les œuvres d'art accaparés par les nazis. C'était des gars issus du monde muséal, donc pas des héros au sens cinématographiques de la guerre. Ils n'avait pas de moyens (ils fabriquaient eux-même les petits panneaux interdisant aux autres soldats de pénétrer dans une église en ruine), pas de reconnaissance, et pas grande monde ne respectait leur travail. Ils arrivaient dans une région dix jours après la bataille pour se rendre compte que les officiers du coin n'avaient pas respecté leurs consignes et que tel bâtiment d'importance avait été bombardé car les considérations stratégiques étaient plus importantes que la conservation du patrimoine.

Le livre raconte donc dans l'ordre chronologique comment ces hommes ont fait leur boulot en dépit du bon sens. De la première chapelle normande qui a servi de point de repaire à ceux qui ont débarqué en juin 44 au nid d'aigle nazi contenant des œuvres volées à des collectionneurs juifs. De nombreux extraits de lettres viennent donner une idée de leur moral et de la difficulté de cette mission. L'auteur a ajouté quelques dialogues éparses pour donner un peu de peps à certains passages, mais c'est somme toute un livre informatif. C'est tout sauf un scénario de film avec Matt Damon et Bill Fucking Muray. C'est au contraire le constat quotidien d'une poignée de conservateurs de musée confrontés à la barbarie. Comme quand les Alliés bombardent et détruisent l'abbaye de Monte Cassino, lieu de création de l'ordre des bénédictins, que même les nazis refusaient d'occuper. Pour être franc, les différents Monuments Men se confondent tous dans ma tête, le livre peine à les différencier en dehors de quelques traits de caractère. Ils ne forment pas un groupe uni, ils sont éparpillés sur les différents fronts, sans réel coordination. Quand l'un d'eux meurt, ils l'apprennent des mois plus tard.

Il y a un aspect éminemment lovecraftien chez ces personnages, confrontés qu'ils sont à une horreur qui les dépassent. Des œuvres centenaires explosent ou s'enflamment, et eux établissent des catalogues. Je suis un rôliste, alors je ne peux qu'imaginer un pendant chtulhien à cette histoire. Qu'au lieu de courir après la tapisserie de Bayeux ou d'un triptyque flamand, ils découvrent que les nazis ont mis la main sur un truc plus indicible. Et tandis que l'artefact est rapatrié à l'est, les PJ sont obligés de remonter sa piste au gré des avancées militaires, interrogeant ici un ancien collabo qui a aider le convoi, là un résistant qui a volé l'objet... Pas du tout la traditionnelle histoire pulp où les joueurs dégomment du nazi comme dans Wolfenstein, mais une quête qui use les nerfs tandis que les personnages ne prennent une douche chaude qu'une fois tous les 36 du mois, où manger un œuf frais est une récompense. Pas faire jouer la guerre comme un jeu de rôles de tir, mais en leur faisant découvrir les ruines de l'Europe, les villages exsangues, les survivants en colère. Et pas avec un Mythe grand-guignol, ni avec l'idée qu'il est le responsable de la folie des nazis. Surtout pas.

Il aura fallu que Georges Clooney réalise une film historico-comique sur ces bonshommes pour que le gouvernement français se souvienne tout à coup du rôle central joué par Rose Valland, qui travaillait avec les Allemands au Jeu de Paume pour mieux informer les Alliés et la Résistance des vols effectués par les nazis. Elle que le livre décrit comme une femme moche comme une experte-comptable (et qui donc, fort logiquement, est incarnée par Cate Blanchet sous le nom de Claire Simone) donnera désormais son nom à un portail du musée du Louvre.

À partir de combien de morts un bâtiment historique cesse-t-il d'être un bien culturel appartenant à l'humanité pour devenir un objectif militaire bombardable ? Est-il si éthique de hurler au vol quand les nazis ont pillé nos musées alors que ces mêmes musées ont été remplis d’œuvres que nous avons nous-mêmes volées dans nos colonies d'antan ? Autant de questions que vous ne retrouverez probablement pas dans la désopilante adaptation avec John Goodman où un platoon qui n'a jamais existé va pourtant devenir dans la tête des gens, l'incarnation la plus répandue des Monuments Men. Et tout comme pour Argo, tant pis si les besoins du scénario tordent le cou à l'Histoire.

Commentaires

  1. c'est moi où la charte graphique de folio a complètement dérapé...

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  2. Cela dit, tu recommandes le bouquin ou pas ? Parce que finalement tu nous parle presque plus du film, là.

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    1. J'en conseille la lecture, c'est un excellent bouquin d'histoire.

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  3. Anonyme14/3/14

    Je n’ai pas lu le livre, mais j’ai beaucoup aimé le film. En dépit des entorses historiques il a le mérite de nous montrer un aspect méconnu de la Seconde Guerre mondiale, et j’ai frissonné à l’idée que ces chefs d’oeuvre aient été si menacés… Mine de rien, on a failli perdre plus de deux mille ans d’histoire de l'art sous les lance-flammes nazis...

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