Dans le jardin de la bête


Attention, ce livre n'est pas un énième polar historique chez les nazis contrairement à ce que pourrait laisser penser sa couverture.

En 1933, William Dodd, un vieil universitaire très occupé à écrire son Old South (un livre sur le bon vieux Sud des États-Unis) est envoyé par Franklin Roosevelt à Berlin en qualité d'ambassadeur. Sa désignation à ce poste se fait un peu par dépit, mais c'est un intellectuel, Roosevelt le connaît, et surtout il a obtenu son doctorat en Histoire à Leipzig. Dodd s'installe donc pour quatre ans à Berlin avec sa femme, leur fils Bill et surtout leur fille Martha. Ce livre se concentre essentiellement sur la première année en fonction de l'ambassadeur Dodd.

Dodd n'est pas issu du sérail diplomatique : il ne veut pas être conduit dans une limousine, il ne veut pas vivre dans un manoir, il tient à faire tourner la boutique au plus juste, sans vivre sur un train de vie princier. Ça aurait pu ne pas lui être reproché s'il ne s'était pas mis en tête de s'attaquer à ce qu'il appelle "le bon petit club", c'est-à-dire les fonctionnaires qui ont une approche vraiment pas ascétique de leur fonction. Cette opposition entre l'ambassadeur et cette clique va faire en sorte que Dodd va devoir autant se méfier des manœuvres des nazis que des perfides attaques de ses collègues qui vont faire couler dans la presse certaines communications pourtant secrètes.

Dodd n'est pas irréprochable à nos yeux de lecteurs de 2014. Il est le premier à reconnaître quand il arrive à son poste qu'il existe bel et bien un "problème juif". Oh, loin de lui l'idée de gérer ça à l'allemande, il va sans dire, mais quand il arrive en poste à Berlin, il est plus préoccupé par les cas de ressortissants américains malmenés par les SA que par les violences institutionnalisées contre les juifs. D'ailleurs, il trouve qu'il y a trop de juifs dans sa propre ambassade, ça envenime inutilement la situation avec les nazis selon lui. Sa mission première, donnée par Roosevelt lui-même, ce n'est pas la question juive, mais bel et bien le paiement des dommages de guerre. Évidemment, en 33, quand Hitler lui joue de la flûte et lui soutient mordicus que non, il ne va pas réarmer l'Allemagne, Dodd avale quelques couleuvres tout en jouant la carte de la coopération. Mais à mesure que la situation se dégrade et que les gens qu'il croise dans les soirées mondaines (où il s'ennuie) disparaissent dans des purges ou se font assassiner pour avoir un ancêtre juif, Dodd comprend qu'il se trame un truc pas net. Il cesse alors de penser que le régime nazi va s'effondrer de lui-même et alerte qui-de-droit qu'il y a quelque chose de pourri à Berlin. Sauf qu'en s'attaquant aux caciques de la diplomatie, et à cause de son comportement atypique pour un ambassadeur, Dodd n'est pas pris au sérieux à Washington.

Mais étrangement, William Dodd n'est pas le personnage central de ce livre. Non, celle qui lui vole la vedette, c'est Martha, sa fille. Petite écervelée de 25 ans quand elle débarque à Berlin, elle divorce à peine d'un mariage resté relativement secret. Mais en Allemagne, elle va profiter de son statut de fille de l'ambassadeur pour courir les soirées huppées et flirter avec le tout Berlin. Et pas que flirter, en fait. Et au départ, elle n'a rien à redire contre les nazis, bien au contraire : ils sont beaux, grands et forts. Elle est sous le charme. Elle multiplie les conquêtes, dans différentes ambassades, et son père ne dit rien. Elle finit même par tomber amoureuse d'un agent du NKVD qui va essayer de la convertir aux sirènes du communisme. Quand elle va finir par comprendre la nature intrinsèque du nazisme, il sera un peut tard. C'est elle qui évolue le plus pendant cette année charnière, passant de la petite conne qui se vante que sa famille a autrefois possédé des esclaves à la bourgeoise décadente attiré par le communisme de salon.

Le bouquin est écrit en intégrant de très nombreux passages de correspondance de l'ambassadeur, sa fille ou de ses homologues. Il y a même des commentaires signés Hitler amalgamés à même le texte. Si bien que ce n'est pas une histoire romancée, mais bel et bien un compte-rendu de ces deux vies (on apprend vraiment peu de choses sur madame Dodd et Bill). Ça met en exergue une Allemagne pas encore sous la botte hitlérienne, avec des jeux de pouvoir entre nazis, de l'indifférence internationale, des petites magouilles d'officine. Comme lors de la Nuit des Longs Couteaux, durant l'été 34, où les SS confondent un Smidt avec un Smitt, et finissent donc par assassiner un critique d'art qui n'avait rien à voir avec le faux putsch des SA.

Commentaires

  1. "Ça m'est en exergue"

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    1. Ah les nazis de la grammaire... ;o)

      Merci, c'est corrigé.

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  2. Anonyme6/4/14

    Le livre a l'air intéressant effectivement, merci :)

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  3. Anonyme11/4/14

    Ca a l’air bien immersif !

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