Le Repaire du ver blanc, de Bram Stoker (1911)

Épisode 4


Numéro 168 de la collection Fantastique / SF / Aventure.




En deux mots

Un jeune homme de bonne famille rentre en Angleterre, fortune faite, pour commencer une paisible carrière de gentleman farmer aux côtés de son oncle. Il se découvre vite des voisins... compliqués.

Théoriquement, nous sommes en 1860, date donnée au début du roman, mais à un moment, l'un des personnages « éteint l'électricité », ce qui laisse entendre que le « 6 » devrait être un « 9 »... ou que quelqu'un, auteur ou traducteur, a fait une boulette. Dans le fond, peu importe, ce coin d'Angleterre est inchangé depuis des siècles, pour le meilleur et surtout pour le pire.

Inchangé, mais pas complètement à l'écart du monde. Angleterre rurale ou pas, l'Empire est présent en filigrane. L'un des voisins du personnage principal a un serviteur noir récupéré au cours de ses voyages ; l'héroïne est la fille d'une Birmane et d'un soldat anglais, et le héros n'a aucun mal à acheter des mangoustes en ville quand il découvre qu'il a un problème de serpents.


Pourquoi c'est bien

Alors déjà, un avertissement, ce n'est pas un bon roman. C'est bien écrit, il y a des pages excellentes... mais Stoker se perd dans ses sous-intrigues, rajoute des fioritures qui paraissent superflues à notre regard moderne, fait sauter la caméra d'un protagoniste à l'autre sans raison apparente et, d'une manière générale, dilue un propos qui aurait tenu en moitié moins de place s'il avait fait des coupes, ou dans le double s'il l'avait développé. Les meilleurs morceaux sont ceux qui ressemblent le plus à Dracula, avec un homologue de Van Helsing qui se charge du travail en bibliothèque pour expliquer le passé de la région au héros.

En revanche, c'est encore une bonne balade dans l'inconscient des Victoriens. Vous allez dire que je radote, mais leurs réactions sont parfois plus extrêmes que les nôtres...

L'héroïne est capable et intelligente, mais surtout, surtout, il ne faut rien lui expliquer, il faut la protéger, la mettre à l'abri... et tant pis si elle prend des initiatives intempestives qui mettent sa vie en danger.

Le domestique noir est l'objet d'un dialogue sur le thème « non, mais s'il vous embête, abattez-le, ce n'est pas un problème, tout le monde s'en fiche et il y en a plein d'autres de là où il vient ». Alors certes, ce sont des méchants qui discutent, mais quand même...

Quand au monstre, même identifié, s'en débarrasser s'avère compliqué car « toutes sortes de problèmes de légalité devaient être envisagés ; non seulement en ce qui concernait la mise à mort d'un être, même d'une monstruosité à forme humaine, mais aussi en ce qui concernait ses biens. »

Amis vampires, démons, sorciers et goules, n'oubliez pas : à cette époque, acheter un bout de terrain vous rend plus difficile à tuer, ou au moins garantit que la police enquêtera sur vos meurtriers.


Pourquoi c'est lovecraftien

La Chose que les héros combattent est là depuis l'époque romaine au moins et se présente comme un ver colossal qui vit dans les entrailles de la terre et sait prendre une apparence humaine. Sa nature exacte n'est jamais expliquée, même s'il est plutôt « wyrm » (reptile) que « worm » (invertébré). Quoi qu'il en soit, il ne manque qu'un exemplaire pourrissant du De Vermiis Mysteriis retrouvé au grenier et un nom plein de consonnes pour en faire une entité estampillée « Mythe de Cthulhu ».

Quant à la folie, elle guette plus ou moins tout le monde, bons comme mauvais, par l'intermédiaire du mesmérisme – car l'ancêtre de l'un des personnages a étudié à Paris avec Mesmer, avant la Révolution, et depuis, des pouvoirs bizarres courent dans sa lignée.


Qu’en pensait Lovecraft ?

Épouvante et surnaturel en littérature est une bonne source pour connaître son avis sur ses prédécesseurs…

Bram Stoker a écrit « une série de romans dont une technique insuffisante compromet fâcheusement l’impact. Le Repaire du ver blanc, qui imagine une gigantesque entité primitive tapie dans un caveau sous un vieux château, ruine complètement une idée magnifique par une action presque infantile. »


Pourquoi c’est appeldecthulien

À notre niveau de rôlistes, un roman où le héros s'écrie « Je n'avais jamais pensé que combattre un monstre antédiluvien fût un travail si compliqué » ne peut pas laisser les joueurs de L'Appel de Cthulhu indifférent... surtout qu'au bout du compte, sa solution est à base de dynamite, dosée par caisses, et transforme plus ou moins le manoir où rôde le monstre en cratère fumant.


Bilan

Avec un peu de ménage dans les intrigues secondaires, c'est un scénario Cthulhu 1890 tout rédigé.

Sans ménage dans les intrigues secondaires, c'est un bac à sable Cthulhu 1890 tout rédigé.

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