L’Œuf de jade, de Talbot Mundy (1924)

Épisode 6


Numéro 19 de la collection Fantastique / SF / Aventure




En deux mots

Empire des Indes, années 20. Un fonctionnaire britannique à la retraite, en cheville avec les services secrets, décide de résoudre l'énigme de la disparition de sa sœur et de son beau-frère, vingt ans plus tôt, dans un coin où les Européens ne vont jamais. Il croise la route d’un énigmatique lama qui semble prêt à retourner toute la région pour un bizarre morceau de jade…


Pourquoi c’est bien

En fait, ce n’est pas bien. Mais alors, pas du tout.

La traduction de Louis Postif date de 1930 et se laisse lire très agréablement, avec juste le petit côté rétro, « décors de Roger Hart et costumes de Donald Cardwell » qui va bien.

Les premières pages, pleines de fonctionnaires anglais qui médisent les uns des autres du fond de clubs tranquilles, tout en se demandant quand l’Empire britannique va s’écrouler sur leurs têtes, donnent de l’espoir.

Et puis, après, ça part en vrille.

Qu’il y ait du mysticisme, des Maîtres Inconnus, de la super-science qui passe pour la magie et ainsi de suite, c’est dans le ton. En fait, on regrette vite qu’il n’y en ait pas (beaucoup) plus.

Que le héros soit une espèce de bloc de granit qui ne pige pas ce qui crève les yeux du lecteur, ça pourrait être drôle si ça n’était pas sinistrement premier degré.

Que le mystérieux lama dévide des lignes et des lignes de sagesse tibétaine du genre « les yeux sont faits pour voir ; les oreilles pour entendre », soit, même si au bout d’un moment, on a envie de l’enduire de graisse de yack tiède avant de le jeter dans le Gange.

Mais arrivé au bout des deux cents pages, on sort de là avec un pénible sentiment de « tout ça pour ça » – pour rien, en fait, et on a l’impression d’avoir perdu son temps. On peut rester sur cette déception, ou faire un pas en arrière et s'interroger.

On réalise alors qu’en fait, la problématique de l’auteur… n’a juste plus aucun sens pour nous. Pour un lecteur des années 20, l’Orient était encore lointain et mystérieux, plein de mysticisme étrange et, peut-être, d’espoir d’un changement de civilisation. Après tout, l’Occident venant d’administrer la preuve qu’il était sur la route de l’auto-destruction, pourquoi ne pas se tourner vers la sagesse tibétaine ?

Vu d’ici, d’un monde interconnecté où n'importe qui peut s'intéresser de près au bouddhisme sans sortir de chez lui, où le dalaï-lama est une personnalité médiatique parmi d’autres et où l’Orient mystérieux est à un coup d’avion, tout ça a pris un bon goût de poussière.

Donc, la leçon du jour : à cent ans de distance, l’émerveillement n’a plus le même sens.


Pourquoi c’est lovecraftien

Ça ne l’est pas le moins du monde. C’est tout plein d’optimisme poisseux, d’espoir de régénération de l’Occident par l’Orient ou vice-versa selon les moments.

Au fait, ce n’est pas plup non plus : il doit y avoir une scène violente en tout et pour tout, au début du livre. Après, ça cause. Enfin, le lama cause, et le héros écoute, tout en posant parfois une question qui reçoit une réponse tarabiscotée.


Pourquoi c’est appeldecthulhien

Ça ne l’est pas beaucoup. Si vous vous lancez dedans avec un petit carnet, vous avez des situations et des personnages à en tirer, mais vous aurez plus vite fait de lire Kipling, vous y ferez une meilleure récolte.

Ah si, quand même, un truc à signaler : la postface, signée Jacques Bergier, qui dit tout le bien qu’il pense de l’œuvre de Talbot Mundy, en résumant ses autres romans, qui ont l’air beaucoup plus gratinés que celui-là, et peut-être un peu plus utilisables. Mais elle ne fait qu’une dizaine de pages…


Bilan

À moins que vous ne trouviez pour rien dans le grenier de votre grand-père, vous pouvez vous épargner cet Œuf de jade. C’est rare que je me sente soulagé en reposant un bouquin…

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