Adrien Arcand, führer canadien


Les gens ont généralement une drôle d'idée du Canada qui prend la forme d'une utopie toute south parkienne où nous nous confondons constamment en excuse (la légende veut même qu'il existe une loi stipulant que si un canadien dit "Je m'excuse", ça ne constitue pas légalement une reconnaissance de ses torts) parce nous sommes intrinsèquement bon comme le bon pain, avec un coeur gros comme ça. Après tout, Michaël Moore n'a-t-il pas démontré dans ses pamphlets que nous étions tellement gentils que nous ne fermions même pas nos portes à clef ?

Aussi quand en tant qu'immigrant, on commence à mettre son groin dans la matière historique du Canada, on est assez étonné d'entendre parler d'Adrien Arcand, aussi surnommé "le führer canadien" (et non, ce n'est pas un nom de lutteur de la WWF). Comment ça, des nazis canadiens ? C'est pas possible, c'est de la pataphysique. Et bien non. Les années 30 ont donné au journaliste Arcand une idée bien arrêtée sur la cause des malheurs du monde : c'est la faute de Juifs. Un peu aussi des francs-maçons. Les athées ne sont pas en reste. Les communistes non plus ne sont pas son truc, mais surtout les Juifs. Évidemment, il n'est pas l'inventeur de l'antisémitisme, c'est dans l'air du temps à l'époque. Le Protocole des sages de Sion a semé des idées folles dans la tête de bien des gens, et Arcand est un grand adepte du fascisme. Mais pas un fascisme à la Maurras, plutôt un fascisme canadien, fait d'une grande déférence pour l'empire britannique et d'une soumission totale au catholicisme.

Sauf qu'Arcand n'a pas les moyens de vivre son rêve fasciste. Il ne possède aucune fortune personnelle, il est donc condamné à faire le journaliste pour nourrir sa famille. Il fonde plusieurs feuilles de choux antisémites, mais évidemment, les annonceurs fuient assez vite ses journaux à mesure qu'il glisse des croix gammées dans la maquette et qu'il fait l'apologie du nazisme. Ça renforce évidemment son système de pensée : après tout, les marchands ne sont-ils pas tous juifs ? CQFD. Au plus fort de son existence, le parti fasciste d'Arcand va rassembler 10 000 personnes à travers le pays. Sauf que bravache comme il est, il gonflera les chiffres d'adhésion pour se donner de l'importance. Si bien que quand la guerre mondiale pétera finalement pour de bon et que le Canada, via l'empire britannique, se retrouvera en état de guerre, le gouvernement canadien, effrayé par cette mouvance interne ayant juré de mettre à bas la démocratie, incarcérera Arcand et ses lieutenants pendant toute la durée du conflit à Petawawa, sans procès ni accusations formelles. Et dans le doute, le Canada met aussi en camp des Italiens, des Allemands et de Japonais, dans la plus complète illégalité, poussant même le vice à embastiller aussi des Juifs allemands par mesure de sécurité. Car le gouvernement n'a beau pas être d'accord avec la méthode Arcand, il y a quand même des élus qui sont bien d'accord pour dire qu'il existe un problème juif.

Et quand le nazisme finira par prendre sa raclée, Arcand fera comme bon nombre de ses semblables en passant par toute une gymnastique mentale faite de contorsions logiques pour en arriver au négationnisme le plus éhonté. Il finira par mourir en 1967 après avoir perdu deux fois aux élections (pas mal pour un gars qui voulait détruire la démocratie) en finissant par faire des petites réunions sordides dans des arrières-boutiques dans une ambiance poujadiste. Et la mémoire populaire fera alors tout pour oublier ce petit nazillon canadien.

Outre la vie et le système de pensée d'Arcand, le livre met l'accent sur les maquignonnages du monde la presse. Des extraits de lettres envoyées par le propriétaire des journaux où Arcand émargeait montre la logique éditoriale de ces entreprises : ne soutenir personne en particulier en début d'élection, attendre qu'un favori sorte du lot, le soutenir sans trop en faire pour montrer au final qu'on avait bien raison et que le nouvel élu doit son élection au journal. On voit également apparaître un personnage assez inattendu de ce côté de l'océan en la personne de Céline (pas la chanteuse, le romancier) qui déboule à Montréal pour quelques jours en 1938 afin de rencontrer Arcand dont il est un grand admirateur.

Ce qu'on remarque, c'est que pour aussi nauséabondes qu'aient été les idées d'Arcand et ses sbires, ils n'ont jamais fait de grabuge au pays. Pas une ratonnade, pas une action d'éclat : ils ne sont heureusement jamais passés de la parole aux actes. C'est ce qui explique sans doute que l'après-guerre n'ait pas tourné au règlement de compte antifasciste comme en Europe. Finalement ces gens ont vieilli tranquillement, à l'ombre de leur haine, en devant encore plus obsédé par le complot judéo-maçonique et en soupçonnant Jean Lesage (alors premier ministre du Québec) de s'appeler en vérité Wiseman.  L'autre chose, c'est l'incroyable popularité des idées d'Arcand chez bien des curés alors que l'Église canadienne elle-même ne voulait pas entendre parler de ses idées extrémistes et le reniait. Lui qui se réclamait d'un catholicisme pur et dur, ça devait être une insulte quotidienne (de la même manière qu'il a dû avaler bien des couleuvres quand Hitler a fini par rompre avec l'Église et condamner la catholicisme). Enfin, quand Arcand est sorti de prison en 1945, il a été défendu publiquement par un jeune étudiant en droit, Pierre Elliott Trudeau, qui se scandalisait du recours par le gouvernement aux terribles mesures de guerre. Ironiquement, Trudeau finira par devenir premier ministre du Canada et par imposer à son tour les lois sur les mesures de guerre en 1970 au Québec quand le FLQ fera péter des bombes et enlèvera un attaché commercial et un ministre fédéral. Faites ce que je dis, pas ce que je fais...

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