Épisode 19
En deux mots
Il était une
fois un marchand d’armes frustré par l’équilibre de la terreur entre grandes
puissances. À la recherche d’une solution, il rend visite à un magicien noir
spécialisé dans les morts violentes…
Ses
premières commandes ne sont que des tests. Que veut-il réellement ? Le
magicien noir l’aidera-t-il ? Et le bon père Domenico, magicien banc
invocateur d’anges, parviendra-t-il à déjouer leurs projets ?
Pourquoi c’est bien
Ce petit
bouquin – à peine 150 pages – est à la fois bien écrit, dense et vite lu. Son
ambition, « traiter de la sorcellerie telle qu’elle devrait être dans la
réalité si l’on admet son existence », est amplement remplie.
Il n’est pas
parfait. Les personnages sont de rapides esquisses sans beaucoup de profondeur.
La copieuse documentation sur laquelle s’est appuyée Blish affleure ici et là
sous la forme de quelques longueurs – et hop, un petit cours sur la fabrication
des instruments magiques, et hop, des pages et des pages de descriptions de
démons…
Les années
60 se sentent assez peu, en dehors d’une succube en minijupe et de quelques
allusions au contexte géopolitique, mais la même histoire fonctionnerait aussi
bien de nos jours ou dans les années 20 (il suffit de décider que le marchand
d’armes souffre d’une dépression post-Verdun plutôt que d’un cafard nucléaire).
Dernier
argument de poids : le livre se conclut par une chute brutale, qui tient
en trois mots et fait toujours son petit effet.
Pourquoi c’est lovecraftien
Dans sa
préface, Blish insiste sa volonté d’écrire un ouvrage « réaliste »
sur la magie et déclare « tous les livres mentionnés dans le texte
existent réellement ; on n’y trouvera ni Necronomicon ni ouvrages imaginaires du même genre ».
Ce qui est
intéressant, c’est de voir que, par la voie du fantastique traditionnel, il
finit par toucher les mêmes cordes que Lovecraft. Le magicien noir déclare « J’ai le plus grand respect pour la
méthode scientifique ; cependant, je ne pense pas qu’elle puisse m’offrir
le genre de savoir qui m’intéresse – un savoir qui touche à la structure et la
mécanique de l’univers – pour la bonne raison que les sciences exactes
n’acceptent pas que certaines forces de la nature puissent être des
personnes. »
Méditez
là-dessus en pensant aux Dieux extérieurs. Si vous avez les poils qui se
dressent, vous êtes sur la bonne longueur d’ondes.
Quand ils
finissent par apparaître, les démons de Blish déploient toute l’imagerie
traditionnelle, avec têtes de boucs, ailes de chauve-souris, ramures de cerfs,
couronnes embrasées et ainsi de suite, mais bizarrement, ils ne paraissent pas
plus ridicules que les fruits de mer carnivores de Lovecraft, parce que les
deux auteurs parviennent à leur donner exactement la même aura de menace
cosmique.
Alors
certes, dans Pâques noires, les
personnages ont l’avantage d’être à l’intérieur d’un pentacle, mais Blish
s’arrange pour nous faire sentir que c’est une protection fragile et qu’au
moindre faux pas, ça tournera très mal pour l’invocateur.
Pourquoi c’est appeldecthulhien
Vu par l’œil
du meneur de jeu, les petites lourdeurs didactiques qui ralentissent la lecture
par moments deviennent de précieuses ressources.
Pâques noires donne une idée assez déprimante du
quotidien d’un magicien noir, accablé par des milliers de petits gestes rituels
à accomplir, tout le temps, pour tout, en sachant pertinemment que les neuf
dixièmes sont vides de sens. À la moindre omission d’un geste signifiant, c’est
la mort… ou pire.
Alors bon,
la puissance, la gloire, l’argent et les succubes, certes, mais le prix à payer
est quand même bien lourd. Cette leçon vaut tout autant pour les adorateurs des
Grands Anciens, qui manipulent des équations hypergéométriques déguisées en
sorcellerie…
Sinon, il
est difficile de ne pas penser à In
Nomine Satanis / Magna Veritas en lisant Pâques noires, mais le ton est bien différent. Là où le jeu de Croc
tire vers la farce, Pâques noires
reste d’un bout à l’autre très sérieux – un sérieux qui n’empêche pas une
pointe de sarcasme de temps à autre. De toute façon, on est prévenus :
l’une des premières choses auxquelles un démoniste doit renoncer est son sens
de l’humour.
Si vous
préférez les jeux du Monde des ténèbres, l’ensemble peut être repris tel quel
pour Mage : The Awakening, dans
lequel théurges et démonistes coexistent. Et moyennant une ou deux contorsions,
il y a sûrement moyen de s’en servir avec le premier Mage, celui où il est question d’Ascension.
Bilan
Pâques noires est une lecture plaisante. L’intrigue
est sans doute trop resserrée pour en tirer un scénario, mais il renferme assez
d’informations sur la « vraie » magie noire pour qu’un meneur de jeu
de n’importe quoi où l’on trouve de l’occultisme puisse en faire son miel.
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