Pâques noires, de James Blish (1968)



Épisode 19

Numéro 74 de la collection SF / Fantastique / Aventure, 1983.





En deux mots

Il était une fois un marchand d’armes frustré par l’équilibre de la terreur entre grandes puissances. À la recherche d’une solution, il rend visite à un magicien noir spécialisé dans les morts violentes…

Ses premières commandes ne sont que des tests. Que veut-il réellement ? Le magicien noir l’aidera-t-il ? Et le bon père Domenico, magicien banc invocateur d’anges, parviendra-t-il à déjouer leurs projets ?


Pourquoi c’est bien

Ce petit bouquin – à peine 150 pages – est à la fois bien écrit, dense et vite lu. Son ambition, « traiter de la sorcellerie telle qu’elle devrait être dans la réalité si l’on admet son existence », est amplement remplie.

Il n’est pas parfait. Les personnages sont de rapides esquisses sans beaucoup de profondeur. La copieuse documentation sur laquelle s’est appuyée Blish affleure ici et là sous la forme de quelques longueurs – et hop, un petit cours sur la fabrication des instruments magiques, et hop, des pages et des pages de descriptions de démons…

Les années 60 se sentent assez peu, en dehors d’une succube en minijupe et de quelques allusions au contexte géopolitique, mais la même histoire fonctionnerait aussi bien de nos jours ou dans les années 20 (il suffit de décider que le marchand d’armes souffre d’une dépression post-Verdun plutôt que d’un cafard nucléaire).

Dernier argument de poids : le livre se conclut par une chute brutale, qui tient en trois mots et fait toujours son petit effet.


Pourquoi c’est lovecraftien

Dans sa préface, Blish insiste sa volonté d’écrire un ouvrage « réaliste » sur la magie et déclare « tous les livres mentionnés dans le texte existent réellement ; on n’y trouvera ni Necronomicon ni ouvrages imaginaires du même genre ».

Ce qui est intéressant, c’est de voir que, par la voie du fantastique traditionnel, il finit par toucher les mêmes cordes que Lovecraft. Le magicien noir déclare « J’ai le plus grand respect pour la méthode scientifique ; cependant, je ne pense pas qu’elle puisse m’offrir le genre de savoir qui m’intéresse – un savoir qui touche à la structure et la mécanique de l’univers – pour la bonne raison que les sciences exactes n’acceptent pas que certaines forces de la nature puissent être des personnes. »

Méditez là-dessus en pensant aux Dieux extérieurs. Si vous avez les poils qui se dressent, vous êtes sur la bonne longueur d’ondes.

Quand ils finissent par apparaître, les démons de Blish déploient toute l’imagerie traditionnelle, avec têtes de boucs, ailes de chauve-souris, ramures de cerfs, couronnes embrasées et ainsi de suite, mais bizarrement, ils ne paraissent pas plus ridicules que les fruits de mer carnivores de Lovecraft, parce que les deux auteurs parviennent à leur donner exactement la même aura de menace cosmique.

Alors certes, dans Pâques noires, les personnages ont l’avantage d’être à l’intérieur d’un pentacle, mais Blish s’arrange pour nous faire sentir que c’est une protection fragile et qu’au moindre faux pas, ça tournera très mal pour l’invocateur.


Pourquoi c’est appeldecthulhien

Vu par l’œil du meneur de jeu, les petites lourdeurs didactiques qui ralentissent la lecture par moments deviennent de précieuses ressources.

Pâques noires donne une idée assez déprimante du quotidien d’un magicien noir, accablé par des milliers de petits gestes rituels à accomplir, tout le temps, pour tout, en sachant pertinemment que les neuf dixièmes sont vides de sens. À la moindre omission d’un geste signifiant, c’est la mort… ou pire.

Alors bon, la puissance, la gloire, l’argent et les succubes, certes, mais le prix à payer est quand même bien lourd. Cette leçon vaut tout autant pour les adorateurs des Grands Anciens, qui manipulent des équations hypergéométriques déguisées en sorcellerie…

Sinon, il est difficile de ne pas penser à In Nomine Satanis / Magna Veritas en lisant Pâques noires, mais le ton est bien différent. Là où le jeu de Croc tire vers la farce, Pâques noires reste d’un bout à l’autre très sérieux – un sérieux qui n’empêche pas une pointe de sarcasme de temps à autre. De toute façon, on est prévenus : l’une des premières choses auxquelles un démoniste doit renoncer est son sens de l’humour.

Si vous préférez les jeux du Monde des ténèbres, l’ensemble peut être repris tel quel pour Mage : The Awakening, dans lequel théurges et démonistes coexistent. Et moyennant une ou deux contorsions, il y a sûrement moyen de s’en servir avec le premier Mage, celui où il est question d’Ascension.


Bilan


Pâques noires est une lecture plaisante. L’intrigue est sans doute trop resserrée pour en tirer un scénario, mais il renferme assez d’informations sur la « vraie » magie noire pour qu’un meneur de jeu de n’importe quoi où l’on trouve de l’occultisme puisse en faire son miel.

Commentaires