La brume verte, de John Flanders (années 30 ?)


Épisode 27

Numéro 151 de la collection SF / Fantastique / Aventure, 1985.




En deux mots

Où est vraiment allé saint Brendan lorsqu’il est parti d’Irlande pour évangéliser les païens au VIe siècle ?

Qu’a découvert le navigateur hollandais Jan Mayen dans l’océan Arctique, en 1607 ? Une île, certes, mais encore ?

Où est passée la frégate La Lilloise, disparue en 1837 alors qu’elle croisait entre Islande et Groenland ? Et pourquoi est-ce que depuis cette date, certaines tribus d’Esquimaux parlent quelques mots de français ?

Enfin, et surtout : qu’est-ce qui pousse l’odieux Belphégor Pringier et le sympathique comte de Westenrode à se ruer vers un point de la côte du Groenland, en cette belle année 1880 ? Pour le comte, c’est simple : il veut empêcher son rival de… de faire quoi, au juste ?


Pourquoi c’est bien

En cent soixante pages, ce petit roman d’aventures nous fait naviguer entre l’inévitable petite ville de province belge chère à Jean Ray / John Flanders, les îles Féroé, l’Islande et le Groenland.

En plus des mystères historiques mentionnés au premier paragraphe, il y est question de navigation, d’une civilisation perdue, de terres englouties, de naufrageurs, de sorcières immortelles, de pierres dotées de pouvoirs étranges, et bien entendu de mystérieux géants se déplaçant sous le couvert d’une brume verte.

Pour du Flanders, c’est un programme raisonnable, et surtout, l’histoire se tient mieux que dans Les feux follets de Satan, par exemple. Ce n’est pas assemblé pile-poil au millimètre, attention, mais ça tient debout au moins autant que la plupart des scénarios de jeu de rôle.


Pourquoi c’est lovecraftien

Avec une liste d’ingrédients pareille, il paraît difficile de faire autre chose que du Lovecraft… sauf que si, en fait. Jean Ray écrit du Flanders, et se donne beaucoup de mal pour assembler une « vérité » en clair-obscur qui pointe vers quelque chose de franchement étrange : une variation « horreur cosmique » du catholicisme que je vous laisse le plaisir de découvrir…

Bien sûr, aucune des informations qu’il nous communique à grand renfort de personnages érudits, renforcés de notes en bas de pages, n’est définitive. Ce n’est pas un hasard si le vieux renard des Flandres intitule son chapitre de révélations Un coin du voile : cela en laisse trois à soulever. Autant dire que les héros resteront dans le flou. Le lecteur aussi, mais cela lui permet de laisser son imagination galoper.


Pourquoi c’est appeldecthulhien

Sur un plan purement formel, le périple du comte de Westenrode et de ses compagnons se conforme à « l’expédition », l’un des modèles de scénarios cthulhiens les mieux assis. Ou les plus rassis, selon la manière dont vous digérez les clichés.

Cela nous vaut des portraits de matelots et des descriptions de paysages polaires, des considérations sur les navires à voiles, ainsi que la présentation d’un gadget de science-fiction : le sac de couchage, si supérieur à la couverture quand le blizzard souffle dehors.

On y ajoute la tension dramatique causée par la présence d’adversaires qui ne doivent pas arriver au but avant les héros, les touches de surnaturel indispensables et hop, le scénario se dégage tout seul de la prose rayienne.


Bilan

Ce court roman est vite lu et propose un scénario Cthulhu 1890 pratiquement prêt à servir (bon, l’action se déroule en 1880, mais on ne va pas chipoter pour dix ans).

Les Gardiens des arcanes plus ambitieux peuvent envisager de le prolonger. Il y a au moins deux directions simples : « quelque chose » trouble la tranquillité des anciens de l’expédition chez eux ; ou alors, en 1890 ou 1920, d’autres imbéciles partent pour le Groenland, les anciens de l’expédition s’efforcent de les arrêter avant qu’ils ne déclenchent un désastre.


Enfin, les Gardiens des arcanes les plus motivés peuvent découper l’arrière-plan cosmogonique selon les pointillés et s’amuser avec, quitte à le re-lovecraftiser un poil. Cette dernière démarche impliquera sans doute l’utilisation du mot « Hyperborée », et peut-être un petit tour par chez Clark Ashton Smith.

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