La Tapisserie de Péronne

100ème anniversaire oblige, les récits sur la Der des Ders abondent, en ce moment, sur les étals des librairie. A mon avis, on ferait plutôt mieux de célébrer la fin de cette guerre plutôt que son démarrage mais, bon, je ne suis pas maître du calendrier des célébrations et je suis persuadé qu'on aura droit à d'autres cérémonies, dans 4 ans, si tant est qu'on ne nous en rajoute pas en 2016 pour maintenir le rythme.

Et, justement, l'ouvrage de Joe Sacco que j'ai ramassé sur l'étal de mon fourgue favori traite de la Bataille de la Somme et détaille, heure par heure, la première journée de cette bataille qui démarra le 1er juillet 1916 à proximité de la bicoque de mes parents et reste une des plus meurtrières de toutes l'histoire de l'Humanité qui pourtant en compte des particulièrement violentes au niveau du score.


Ça fait déjà deux ans que la guerre s'enlise, tant métaphoriquement que réellement, avec des soldats pataugeant dans des tranchées boueuses qui ne bougent plus guère. On est loin, très loin des glorieuses charges de cavalerie, sabre au clair, qu'imaginaient les cadres militaires qui ont entamé cette guerre. La guerre dite "moderne" est un immense broyeur à viande déchiquetant une génération entière selon nombre de procédés nouveaux : mitrailleuses, aviation, bombardements roulants, gaz de combat, lance flammes... Ce conflit n'a que trop duré, il est temps d'y mettre fin. L'idée du commandement allié est alors une bataille décisive. Une offensive qui n'a jamais eu d'égal encore, préparée avec minutie et qui enfoncera un énorme coin dans les lignes ennemies avant de mettre fin à la guerre. Une sorte d'Overlord avant Overlord, quelque part. Ainsi, les alliés, principalement français et anglais, préparent un assaut d'une taille phénoménale : 40 divisions, 1800 pièces d'artillerie et 300 avions font face, le 30 juin 1916, à cinq fois moins d'hommes et moitié moins de matériels. Et pourtant. La première journée de la bataille sera retenue comme la plus meurtrière de l'histoire de la Grande Bretagne (presque 20 000 morts en cette seule journée). La Bataille elle-même durera 5 mois et fera plus d'un million de morts dont près de la moitié disparus. Avec pour bilan le retour à une guerre d'usure douze kilomètres plus loin.

Joe Sacco a beaucoup dessiné la guerre, malheureusement, mais avec un grand talent journalistique. Il fait partie de ces pionniers du journalisme en BD avec des ouvrages tels que le génial Goražde ou le douloureux Gaza 1956, en marge de l'Histoire. Ici, dans son La Grande Guerre - Le premier jour de la Bataille de la Somme, Sacco nous présente une immense fresque continue, semblable à la Tapisserie de Bayeux, qui déroule l'histoire de ce triste 1er juillet. Il s'agit d'un unique dessin de plus de 7 mètres de long (sur 24cm de hauteur). Muet, l'action se déroule dans le silence mais on y imagine facilement le bruit assourdissant des immenses explosions : la bataille fut préparée par un feu roulant d'artillerie - presque 2 millions d'obus - qui s'entendait jusqu'à Londres. Le dessin est extrêmement minutieux, dans une variante lugubre de Où est Charlie? avec un luxe de détails qui fait que le lecteur reste longuement sur chaque élément de la fresque, qui commence au petit matin avec l'officier ayant conçu le plan de bataille, D. Haig, et s'achève sur de longs alignements de croix blanches.

La fresque, pliée en accordéon, est accompagnée d'un livret qui contient une postface de l'auteur, une description écrite de la bataille et des notes explicatives de la fresque elle-même. Très honnêtement, le dessin, qui sourd dans son mutisme d'une douleur et d'une violence sans nom, se suffit à lui-même.

Il faudra que j'aille, un jour, visiter ces cimetières oubliés, si proches de la maison, derniers témoins, répétitifs, d'une histoire qui tend à se reproduire.

La Grande Guerre - Le premier jour de la Bataille de la Somme
En édition bilingue français - allemand chez ARTE Editions, 25€
(A noter que la fresque a été reproduite en grand - 130 mètres de long - dans le tunnel du tapis roulant de la station Montparnasse - Bienvenuë à Paris, jusqu'à fin août 2014. Voir en vidéo.)

Commentaires

  1. Oui, bel ouvrage poignant et intense.

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  2. Deux familles, égales en noblesse,
    Dans la belle Péronne, où nous plaçons notre scène,
    Sont entraînées par d’anciennes rancunes à des rixes nouvelles
    Où le sang des citoyens souille les mains des citoyens.

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