Histoires maléfiques, de Claude Seignolle (1965)

Épisode 32


Numéro 43 de la collection « Fantastique / SF / Aventure », 1982.




En deux mots

Il est toujours plus facile de parler des romans que des recueils de nouvelles. Les premiers vous donnent une narration à laquelle accrocher votre compte rendu, les seconds sont multiples et souvent insaisissables.

Cette incarnation d’Histoires maléfiques compte douze nouvelles (mais on trouve chez d’autres éditeurs des versions qui en comportent plus, ou moins). Certaines sont de brèves vignettes de quelques paragraphes, d’autres frôlent les quarante pages.

Passé ce constat purement formel, que dire ?

Claude Seignolle y reprend les classiques du fantastique – fantômes, vampire, réincarnation, pacte avec le Diable – et les projette dans le Paris « contemporain », celui du début des années 60 ou de la fin des années 50. Difficile de le situer plus précisément, la seule chose sûre est que Rungis n’avait pas encore assassiné les Halles.

Il va de soi que ces variations sur des thèmes connus ne se font pas sur le mode « j’ai une formule toute faite et je l’applique », ou en tout cas, elles n’en donnent pas l’impression. Au contraire, ce recueil paraît avoir poussé comme une plante toxique, entre deux pavés, dans une ruelle brumeuse.

Le lecteur se balade donc dans le quartier des Halles, avec ses petites rues sordides où officient des prostituées (Pauvre Sonia ! et l’abominable Petit monstre à louer au quart d’heure). Près de la place des Vosges, il découvre le sort funeste d’un riche oisif (Le Bahut noir). Il aperçoit d’inquiétantes activités place de Grève (L’exécution). Il se promène parmi les artistes du Quartier latin (Le Chupador). Il voit crouler d’étranges vieilles maisons, parce que leur heure a sonné (Le millième cierge) ou parce que les promoteurs en ont décidé ainsi (Delphine)…

Et quand notre lecteur sort de Paris ? Il se balade dans les plaines de Champagne, où il fait de mauvaises rencontres (Les Âmes aigries et Le Faucheur). Ces deux nouvelles ne pèsent pas lourd face aux récits de la capitale, à peine une dizaine de pages à elles deux, mais le recueil compte un autre récit « hors Paris », Ce que me raconta Jacob, dont il sera question un peu plus bas.

Pour l’heure, revenons à Paris, qui est un personnage à part entière des Histoires maléfiques : une ville-monde où les itinéraires balisés dérapent parfois dans l’Ailleurs, à la faveur d’un soir de brouillard ou d’une simple rencontre, un décor que l’on peut écarter, en un instant de curiosité, pour découvrir d’étranges coulisses.

Ce Paris m’a fait penser à un autre roman de la même époque, que j’ai lu beaucoup plus tard : Rue des maléfices de Jacques Yonnet. Toutefois Seignolle maîtrise mieux son écriture – pour le meilleur ou pour le pire : il a parfois des effets de style très « années 50 », qui sonnent un peu vieillots aujourd’hui, alors qu’ils devaient paraître ultramodernes à ses premiers lecteurs. De toute façon, ce Paris a reculé dans le temps au point de se télescoper avec celui des années 20, ou 30, ou même 1900…


Pourquoi c’est bien

C’est mieux que « bien », c’est un très, très grand cru, à déguster lentement.

Seignolle est un conteur d’exception. Sans quitter les terres du fantastique traditionnel, il compose de nouvelles variations sur des thèmes anciens – ainsi, le Chupador est un vampire, mais sa technique pour voler du sang ne ressemble à rien de connu.

Et puis, il a Ce que me raconta Jacob. À mon sens, cette nouvelle d’une vingtaine de pages est l’un des chefs-d'œuvre de Seignolle. Située hors de Paris, elle se déroule dans une Allemagne encore mal remise des vertiges du IIIe Reich. C’est une histoire de loups-garous. De loups-garous nazis. Des fauves qui n’ont jamais été humains, qui ont juste endossé de belles défroques SS à l’appel du grand Meneur de loups, et qui ne savent plus quoi faire après son suicide…

Comparés aux vampires et aux fantômes, les loups-garous sont un peu le parent pauvre de la littérature fantastique, Seignolle est l’un des rares à leur avoir consacré l’attention qu’ils méritent, ici et dans d’autres recueils[1].


Pourquoi c’est lovecraftien

Si l’on écarte le parallèle superficiel sur le rôle de la ville, Paris prenant des allures d’Arkham où l’épouvante rôde au détour de toutes les portes cochères, il n’y a pas grande ressemblance entre les univers de ces deux auteurs.

Seignolle est un folkloriste qui a consacré sa vie à compiler les contes des paysans des diverses provinces de France, avant de se mettre à en écrire lui-même. Cette influence reste sensible dans les Histoires Maléfiques. Tous ces contes, même plus éloignés de la normalité, sont solidement ancrés dans le concret, l’humain. Le diable y est accommodant au point d’aider ses victimes à lui échapper un peu plus longtemps, les vampires s’y prostituent pour survivre, les fantômes s’inquiètent de la circulation… La différence avec les narrateurs désincarnés et les horreurs cosmiques de Lovecraft ne pourrait pas être plus flagrante.

Leurs techniques pour rendre l’impossible vraisemblable sont également très différentes.

Lovecraft documente ses récits comme un historien, il donne des dates, des chronologies, des latitudes et des longitudes, bref, assez de détails pour conduire le lecteur à accepter l’impossible, de gré ou de force, parce que si, bien sûr, les journaux ont parlé de cet événement, voici les coupures de presse, et si vous doutez encore, il y ajoute le récit d’un témoin oculaire et la copie des télégrammes, jusqu’à ce que vous rendiez les armes.

Seignolle ne prend pas cette peine. Il agit en conteur et en metteur en scène. Il crée en quelques lignes des narrateurs dont le lecteur se sent proche – on éprouve de l’empathie pour eux, même s’ils vivent une histoire d’amour impossible avec un vampire ou sont la proie d’une malédiction qui va les détruire.

Bien entendu, les deux approches fonctionnent… pour peu qu’il y ait du talent derrière.


Pourquoi c’est appeldecthulhien

La transposition en jeu de rôle n’est pas évidente, et plus l’histoire est longue, moins elle fonctionne. Le Petit monstre à louer au quart d’heure, avec sa créature au pedigree incertain, est exploitable facilement. Les autres, c’est moins sûr : ce sont des exercices d’ambiance, pas des jeux intellectuels balisés.

En revanche, beaucoup sont des leçons sur le thème « on n’approche pas le fantastique impunément ». Les narrateurs du Bahut noir ou du Chupador n’ont rien fait de bien méchant, mais ils vont tous les deux mal finir.

Et Maléfices, me direz-vous ? C’est le jeu parfait pour les récits campagnards de Seignolle, mais ce Paris bizarre… quelque chose reste à inventer pour lui rendre justice. Un jeu ou une campagne, peut-être ?


Bilan

Claude Seignolle est l’un des deux auteurs fantastiques francophones du XXe siècle qu’il faut avoir lu, avec Jean Ray. Voilà, c’est dit.

Et qu’à le découvrir, vous pourriez faire pire que de commencer par Histoires maléfiques.




[1] Ah si, il y a aussi Le loup-garou de Paris, de Guy Endore, un roman de 1933 qui fera l’objet d’un prochain billet.

Commentaires

  1. Y'a pas: ça fait envie!

    Il en existe une édition récente?

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  2. Je ne crois pas, mais ça se trouve sans difficulté sur ebay, Amazon ou Pricceminister.

    Je rêve depuis des années d'une intégrale Seignolle chez Bouquins...

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  3. Jean Ray je connais, pour Malpertuis et ses Contes du Whisky, mais il va me falloir trouver du Seignolle.

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