Malka Zipora habite
dans Landau Land, le quartier hassidique de Montréal. Elle a 12 enfants, ne
mange pas à la même table que son mari et doit aller se purifier rituellement
après la fin de ses règles. Quand son époux veut lui faire l’amour, elle le
sait à l’avance car il commence alors à réciter une prière dédiée à cet acte.
Malka Zipora ne
raconte pas ça dans son petit livre de 140 pages, ça je l’ai appris en lisant d’autres
sources. Elle n’a aucun regard critique sur sa pratique hassidique, elle l’embrasse
même avec une fougue jovialiste. Par contre, ce qu’elle fait dans cette
collection de petites chroniques du quotidien, c’est d’ouvrir la porte de sa
maison. Et c’est rare, dans ce milieu. C’est un monde à part, qui tient
énormément à son intimité, pour des tas de raisons. Peur d’être jugés.
Stratégie d’évitement pour ne pas avoir à justifier ses croyances orthodoxes.
Sentiment que c’est nous-contre-le-reste-du-monde…
C’était dans le film
Samsara qu’un moine bouddhiste expliquait qu’il est aisé de résister à la
tentation en restant enfermé dans un monastère. Le vrai test, c’est de
confronter ses croyances au réel. Il faut reconnaître ça aux hassidiques :
ils vivent au cœur de la ville, pas à l’écart sur une terre perdue comme des amish
ou des mennonites. Mais pour résister à
la pression du monde moderne des goyim, ils ont dû mettre en place des tonnes
de barrières. Les femmes ne regardent pas les hommes dans les yeux. Il existe
beaucoup d’écoles religieuses qui ne respectent pas le programme ministériel de
l’éducation. C’est devenu un ghetto volontaire. Et nécessairement, cette
défiance envers le reste des montréalais crée des tensions locales. Les
demandes d’accommodement ont largement défrayé la chronique dans les dernières
années : il a été exigé de rendre opaques les vitres d’une salle de gym
du quartier pour ne pas que les yeux des hommes hassidiques tombent sur le
corps des femmes qui s’y exercent. La police de Montréal a indiqué à ses agents
féminins qu’il fallait qu’elles évitent d’interagir avec les hommes juifs du
quartier. Et les riverains se plaignent de nombreux comportement,
principalement du nom respect chronique des règles élémentaires de stationnement
aux abords des synagogues ainsi que des nombreuses violations de règlement en
matière de construction quand des bâtiments sont agrandis sans permis de
construire. Bref, c’est une coexistence pas toujours pacifique. Parce que basée
sur une incompréhension réciproque : les hassidiques exigent de vivre
autrement et les non-juifs ne comprennent pas cette logique contradictoire de
vouloir vivre à l’ancienne dans le monde actuel.
Et donc Malka Zipora.
Elle, elle raconte de l’intérieur sa vision humoristique de sa position de mère
de famille nombreuse. Les caprices de ses filles. La solidarité féminine. L’humour
juif. Elle réussit un truc qui semble incroyable pour quelqu’un d’extérieur à
ce microcosme : montrer qu’il se passe la même chose sous un toit
hassidique et un toit de goy. Il est impossible d’accéder au téléphone quand
toute la maisonnée se l’accapare pour parler avec ses copains. Il faut mettre
en place des ruses de sioux pour ne pas céder aux demandes lancinantes d’une
fille qui veut avoir un animal de compagnie. C’est la guerre pour faire en
sorte que des adolescents se lèvent à l’heure… Au final, si l’on enlève les
nombreux rituels et interdictions religieuses qui rythment la vie hassidique, c’est
une vie bien ordinaire qui possède une grande universalité. Une fois qu’on met
de côté les fantasmes qu’on a sur l’orthodoxie juive, on entraperçoit des
problématiques d’une grande banalité que nous connaissons tous. Et on se rend
compte qu’on a beaucoup plus de choses en commun que de vraies différences.
Certes, on ne construit pas de cabane en bois sur notre balcon pour fêter un
obscur événement historique lié à la diaspora. Mais la logistique d’un mariage
(même s’il met en place une forte ségrégation dans le cas des hassidiques
puisque la salle des fêtes est divisée en deux parties pour que les femmes et
les hommes ne s’y côtoient pas) est la même.
Ce n’est pas un livre
qui mettra fin à l’antisémitisme et aux abus puritains des traditionnalistes
les plus virulents qui nuisent à leur communauté, mais il démystifie bien des
choses. C’est un début de pont entre ces deux mondes qui se tournent le dos. Et
c’est déjà énorme en soi.
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