Si le titre vous paraît déjà long, dites-vous
qu’il pourrait l’être encore plus, moyennant un ajout du type «… britanniques
et américaines, écrites par des femmes entre 1867 et 1910 ». Ça
aurait fait un vrai beau titre victorien à rallonges comme on les aimait au XIXe siècle.
Aujourd’hui, ça ne pourrait pas marcher, ça ne tiendrait même pas dans un
tweet.
Histoires de fantômes, donc, écrites sur plus
d’un demi-siècle. Cela se voit : les plus anciennes se déroulent dans de
vénérables manoirs peuplés d’aristocrates rigides mais humains, de domestiques
qui savent rester à leur place… et d’hôtes aussi indésirables qu’immatériels. Au
fil des années, les fantômes s’émancipent un peu. Ils s’installent
en ville, ou hantent le décor exotique (pour un Britannique) de la Côte d’Azur.
La toute dernière histoire, publiée en 1910, donne carrément dans la haute
technologie, avec le fantôme d’une… voiture.
Tout n’est pas mémorable dans ces onze
nouvelles. La plus faible est sans doute Ce qui se passa à la garde de Grover, de
Wila Cather, qui n’évite aucun des poncifs du genre, y ajoute un décor
« Far West » et une touche de racisme qui montre la relativité des
préjugés dans le temps et l’espace (le méchant est un demi-Chinois qui se fait
passer pour… juif parce que même si c’est mal vu, c’est mieux porté que le
« sang amphibie » des Asiatiques). D'autres, comme À la lueur d'une lampe à gaz ou Réalité ou illusion ? manquent un peu de substance.
L'amateur a quand même pas mal de bonne choses à se mettre sous la dent. Si je devais choisir la meilleure nouvelle du recueil, je voterai pour La voiture
pourpre, d’Edith Nesbit, avec son jeu sur la démence et son fantôme
inhabituel. À l’abbaye de Chrighton et
L’ombre tapie dans le coin, de M.-E.
Braddon sont également de très honnêtes réussites (avec une préférence pour la première, racontée du point de vue de la « parente pauvre » qu'un sort funeste contraint à travailler). Une promesse est une promesse, de Mary Cholmondeley, met en scène
un fantôme meurtrier qui préfigure les créatures de M.R. James. Le Portrait disparu,
d’« Alfred » Baldwin, met en scène un esprit bizarrement matériel, là
où La Vérité, rien que la vérité, toute
la vérité, de Rhoda Broughton, joue sur la suggestion de l’existence d’un
fantôme qui tue, rend fou… et reste obstinément invisible. Soit dit en passant,
le « pourquoi » est le grand absent de la plupart de ces histoires.
Le fantôme intervient, produit un effet plus ou moins dévastateur, puis il redisparaît et les témoins n’ont plus qu’à vivre avec.
Terrain à vendre, de Mary Eleanor
Wilkins, est la seule à esquisser l’amorce d’une explication à ses phénomènes
de hantises, mais elle reste partielle.
La traduction de Jacques Finné est plaisante,
avec ce qu’il faut de notes en bas de page pour convaincre le lecteur du
sérieux de ses recherches.
Mais le vrai morceau de bravoure, qui justifie
presque à lui seul l’achat du recueil, reste les longues notices biographiques
consacrées aux auteures. On y découvre que toutes les Victoriennes n’étaient
pas de petites souris timides consacrant leur vie à leurs maris, à leurs
enfants et aux œuvres de charité. Ces dix portraits permettent de découvrir des
socialistes, des féministes, des travesties qui osent s’habiller en hommes, des
lesbiennes assumées ou des croqueuses d’hommes, des rédactrices en chef de
magazines, des auteurs de best-sellers qui meurent millionnaires… et surtout,
des femmes intégrées au milieu intellectuel de leur époque. Atypiques, certes,
mais déjà bien présentes…
Éditions José Corti, 23 €.
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