C’est un bouquin avec qui j’ai une étrange relation. Il y a 20 ans, mon
MJ à Cthulhu/Ambre/Vampire avait lu une chronique enthousiaste d’un certain
Tristan Lhomme dans le magazine Casus Belli. Il avait dévoré le livre et
absolument tenu à nous faire jouer l’intrigue en jeu de rôles. J’ai peu de
souvenirs de la partie en elle-même, mais je me suis toujours tacitement
interdit de lire ce bouquin. Ça aurait été un peu comme lire le scénario après
que le MJ nous l’ait fait jouer pour vérifier s’il l’avait bien respecté :
ça ne se fait pas. Et puis le temps a passé, ce tabou n’avait plus de raison d’être.
C’est donc l’histoire d’un jeune étudiant californien qui fuit sa
famille déprimante et pauvre en devenant boursier dans le Vermont. Là, il
intègre une petite clique de 5 étudiants spécialisés dans l’étude de la langue
hellénique. Ils sont de bonne famille, pédants, vivent en dehors du système
universitaire, vénèrent leur professeur… Le héros va être fasciné par ces
snobinards, qui contre toute attente vont l’adopter en retour. Et il y a entre
ces jeunes gens des relations fusionnelles de co-dépendance qui vont très
rapidement devenir envahissantes. On ajoute à cela de l’alcool, de la drogue,
de l’ennui estudiantin, des amitiés trop souvent malmenés, des petits mensonges…
Notre ami le californien comprend assez vite que ses presque semblables sont
dépositaires d’un lourd secret qui les ronge de l’intérieur. À mesure qu’il en
apprend plus sur la logique émotionnelle interne de ce groupe d’amis, il se
retrouve à son tour aliéné par la folie diffuse qui règne entre eux.
Car oui, c’est un chouia surnaturel. C’est un peu comme la série
télévisée True Detective : ça pourrait facilement basculer, mais le récit
joue avec la frontière entre réalité et fantasme. On se demande si le Maître
des illusions du titre ne serait pas l’énigmatique professeur, qui se jouerait
de ses élèves. Il y a une étrange cérémonie qui dérape. Et on sait très vite qu’un
meurtre va tout foutre en l’air. Mais c’est une lente construction sur 700
pages. Un récit méticuleux de la vie étudiante et des amitiés envahissantes.
Un des trucs vraiment étranges, c’est qu’on met très longtemps avant de
comprendre quand se déroule le récit. J’ai compris quand un des protagonistes a
cité des paroles de Brian Eno, mais avant cela, je n’arrivais pas à déterminer
si ça se passait avant la guerre ou après. Parce que la vie étudiante
vermontoise est d’une platitude telle qu’elle en devient intemporelle.
Ce n’est pas pour rien que je racontais au début comment j’ai connu ce
roman via mon MJ, car la relation fusionnelle qui existait entre mon groupe de
rôlistes à l’université entrait, sans que je le sache, en résonance avec celle
racontée par le livre. Nous aussi, nous étions une petite cabale qui faisait
tout pour se tenir à l’écart de la masse. On passait du temps rien qu’entre
nous, à lire des trucs qui n’intéressait pas nos semblables. La découverte des
sentiments, les abus en tout genre, le rejet de l’héritage familial, la
découverte de l’homosexualité de l’un ou de la richesse fauchée de l’autre… J’ai
l’impression d’avoir vécu la même chose que ce raconte l’auteur. Mon fameux MJ,
c’était notre mentor, notre Maître des illusions à nous, menteur et
manipulateur. Oh, bien évidemment, nous n’avons tué personne, nous, mais tout
ça a bien évidemment mal tourné. Trop d’intensité. Le meurtre a été symbolique,
et tout s’est effondré sous son propre poids. Et tout ça est si bien narré dans
ce roman-fleuve que s’en est effrayant de proximité pour moi.
Acheté.
RépondreSupprimerComme si j'avais besoin de continuer à remplier mon tonneau des danaïdes bibliophile...