Revival, de Stephen King (2013)

J’aime Stephen King.

Ma balade vers le fantastique et l’horreur a comporté trois arrêts : Jean Ray et les Harry Dickson quand j’étais môme, Lovecraft un peu plus tard, et Salem, de Stephen King, vers mes treize ans. Je ne suis pas sûr d’avoir lu tout King, mais c’est surtout parce qu’il en sort tellement que parfois, j’en loupe un. Quand il est passé à Paris il y a trois ans, j’étais dans le public de sa conférence au Grand Rex, et ça m’a fait quelque chose de le voir en chair et en os, même de loin depuis les balcons.


Bref. Revival, donc.


Pourquoi vous parler de Revival plutôt que de n’importe lequel des cinquante ou soixante autres King ? Déjà, parce qu’il vient de sortir en français, et ensuite parce qu’il m’intéresse tout particulièrement, pour des raisons qui deviendront claires dans quelques paragraphes.

King a dédié Revival à « ceux qui ont bâti [s]a maison » : Mary Shelley, Bram Stocker, H.P. Lovecraft, C. A. Smith, Donald Wandrei, Fritz Leiber, August Derleth, Shirley Jackson, Robert Bloch, Peter Straub et Arthur Machen[1], autrement dit le gotha du fantastique et de l’horreur anglo-américaine des deux cents dernières années. Détail ? Nous verrons ça.

Le roman lui-même est kingien au possible, avec son démarrage dans le Maine rural du début des années soixante. Jaime Morton, le narrateur, nous parle depuis le présent, mais quand il commence son histoire, il a six ans, et il faudra attendre les derniers chapitres pour qu’il passe la soixantaine. En attendant, notre héros grandit avec ses parents, ses frères et sa sœur dans un coin perdu du Maine, tombe amoureux, se découvre une vocation, gâche une bonne partie de sa vie, se rattrape in extremis… King fait du King versant  « auteur réaliste », disserte sur le rock’n’roll, la drogue, les relations qui s’effilochent et la vieillesse qui vous grignote doucement…

Le fantastique s’installe à son rythme, au fil de lieux et de situations très kingiennes – oh, un parc d’attractions miteux ! oh, un hôtel abandonné ! En dépit de ces signaux, les amateurs sentiront sans doute assez vite que tout n’est pas exactement comme d’habitude. King s'est découvert impressionniste sur ses vieux jours, et cela fait longtemps qu'il a remplacé les bons gros à-plats de couleur franches dont il était coutumier à ses débuts, pour poser à la place un tas de petites touches qui finissent par composer une image dérangeante…

Sauf que cette fois, il ne s’arrête pas là, car certaines de ces petites touches ont des couleurs louches qui annoncent une troisième couche.

Bon, il n’y a pas trente-six manières de le dire : sous le roman réaliste et sous le fantastique presque routinier de la seconde partie du livre se camouflent

a) un récit gothique sur l’obsession et la Volonté de l’Homme De Découvrir Des Choses Qu’Il Ne Devrait Pas Connaître comme personne n’ose plus en écrire sérieusement depuis la fin de l’ère victorienne
et
b) une histoire lovecraftienne avec une solide dose d’horreur cosmique conduisant tout droit vers la démence sans passer par la case Départ.

Revival[2] n’est pas que lovecraftien, d’ailleurs, il est cthulhien, explicitement (et intelligemment, King plaçant juste assez de panneaux indicateurs pour que les amateurs sachent à quoi s’en tenir sans assommer ses lecteurs de considérations bavardes sur les Grands Anciens).

Au bout du bout, on tient un hybride bizarre, qui a l’apparence d’un Stephen King de série mais qui n’en est pas un parce qu'il se déroule dans un cadre conceptuel lovecraftien à peine amendé, et aussi parce qu'il est truffé de références et de coups de chapeau à ses prédécesseurs. J'en ai vu pas mal, mais je suis bien certain de ne pas avoir tout repéré.

L’expérience est-elle réussie ? À mon goût, oui. J’irai jusqu’à dire que c’est le meilleur roman lovecraftien écrit au XXIe siècle, même si pour être honnête, dans ce domaine, la concurrence ne se bouscule pas au portillon. Ce jugement posé, on peut discuter des proportions entre les diverses couches. Si Lovecraft avait écrit la même histoire, elle aurait été concentrée en quarante pages[3] abominables de bout en bout. Chez King, elle en fait 437, avec des méandres, des sinuosités et des baisses de tension... mais toute cette bavarditude[4] n’est qu’apparente. Par moments, on se demande où il va, pourquoi il développe tel ou tel détail sans lien avec son propos principal, sauf que quand on arrive tout au bout, brusquement, on entend derrière soi un certain nombre de déclics : ce sont tous les fusils de Tchékov disposés dans les couches précédentes qui se braquent sur votre dos, et ils sont assez nombreux pour composer un joli peloton d’exécution.

Je parle de sinuosités et de bavardage, mais un point mérite quand même d’être souligné : j’ai commencé Revival vendredi à 7 h 00. J’ai lu un chapitre, puis un demi-chapitre supplémentaire parce que bon… Ensuite, j’ai expédié une journée de boulot, je l’ai repris autour de 16 h 30 et je l’ai terminé vers minuit, avec une courte pause pour grignoter des chips parce que c’était l’heure du dîner. Quoi qu’on dise de King, c’est un auteur efficace, et ses romans sont foutrement difficiles à lâcher.

Est-ce que je vous le conseille ? Ben tiens ! Au-delà du plaisir de la lecture, l’ensemble est à la fois un bel hommage et un cours magistral sur la manière de rendre une nouvelle jeunesse à des thématiques qui paraissaient usées jusqu’à la trame.

Merci Monsieur King et à la prochaine[5] !




[1] Avec une référence explicite au Grand Dieu Pan, que je vous engage à lire de suite si ce n’est pas déjà fait.
[2] Il y aurait des choses à dire sur la polysémie de ce titre en anglais, et sur la flemmardise qui consiste à le laisser en anglais.
[3] dont douze d’adjectifs.
[4] si je veux, d’abord.
[5] Et à la suivante, et à celle d’après.

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