Stratégies #1834: L'Art et l'Information sont-ils solvables dans l'industrie?

Stratégies est un hebdomadaire consacré aux stratégies des entreprises. Bien que le sous-titre proclame "Au coeur de toutes les stratégies", il attaque son sujet surtout par la voie du marketing. Les médias y occupent de fait une place relativement importante.

Si j’en parle ici, c’est parce que le numéro 1834 fait sa couverture sur Star Wars. C'est à la fois banal au sein du dispositif colossal déployé par Disney (la Guerre des Etoiles est partout et donc aussi dans les kiosques) et singulier, car c'est l'une des rares, si ce n'est la seule revue à aborder la saga par ses enjeux commerciaux et non pas son univers. A parler de la marque et non de la licence. La nuance est de taille, et pose la légitime question du rapport de l’art et de l’information à l’industrie. Sont-ils compatibles et où se trouve aujourd’hui la balance ? L'ensemble du numéro dessine de fait en creux une intéressante analyse des tendances que prennent les médias ces derniers temps, qu'il soit culturel ou d'information.

Cette tendance est assez bien résumée dans l'éditorial d'Olivier Mongeau, qui fait écho à la prise de participation de Bolloré dans le capital de deux géants du jeu vidéo, Ubisoft et Gameloft. L'objectif synergique est clair: décliner de manière la plus automatisée possible chaque marque du groupe sur tous les médias. Et j'ai bien écris marque et non licences – et encore moins artiste ou œuvre. Car fait fit de la technicité propre à chaque média, réduire une licence à un package marketing (médias partagés redistribuables, logo, uniformisation esthétique autour de codes couleurs, sonores...), c'est risquer de dissoudre définitivement la part créative de ces marques, pourtant le socle sur lequelle elles se sont construites, dans l'industrialisation des processus de production. Mais avec Bollorée, on ne rigole pas, comme l'épisode des Guignols de l'info cet été l'a montré.

Il ne sera cependant pas nécessaire d'attendre les prochains jeux Ubisoft pour avoir un début de réponse, puisque Star Wars débarque dans un mois dans les salles. Depuis sa radicale transformation dans les années 90, Disney a cependant accumulé une expérience convaincante dans ce domaine et a prouvé sa capacité à ne pas (trop) noyer ses processus créatifs dans des plans marketings massifs. La réussite des derniers Pixars en atteste. Reste que le plan qui entoure Star Wars atteint une ampleur rarement vu, même lors de la sortie de la prélogie, et que les enjeux financiers sont énormes - à la hauteur des 4 milliards de dollars qu'a couté ce joli jouet à Disney, en fait. J.J. Abrams a-t-il eu les épaules assez larges pour mener sa barque et produire un film à la hauteur de ses deux Star Treks malgré la pression? Réponse dans un mois!

Si quelques espoirs sont donc encore permis, l'histoire est hélas moins bien engagée dans d'autres médias. Quelques pages plus loin, Stratégie revient ainsi sur les opérations de gamifications des applications mobiles de plusieurs organes de presse, Closer et le Parisien notamment. Un bon exemple où l'information ne prime plus: pour Closer (Je paraphrase Stratégie qui cite le responsable mobile de l'éditeur de la revue), l'objectif est de doubler la durée de fidélité des utilisateurs de l'application mobile en offrant des bonus à chaque article ou vidéo vu. Autrement dit, miser sur tout sauf sur le contenu et la valeur des dits articles.

Le constat n'est heureusement pas partagé partout. Blendle, site d'achat de presse en ligne qui prévoit de débarquer en France, fait la promotion de son offre en envoyant "une revue de presse par email aux utilisateurs afin de leur faire découvrir des articles sur des sujets préalablement choisis.". Toujours d'après Stratégie, ce choix est mené par une équipe de journalistes. Et non, par conséquence, une équipe marketing.

Cette dissolution trouve cependant un dernier écho, presque une (triste) conclusion, dans l'épais dossier consacré aux médias sociaux, qui se synthétise assez bien dans deux de ses mises en exergue:
"Médias sociaux le défi de la monétisation"
"Le trafic des médias en ligne chute au profit des plateformes sociales".
Traduction: la presse traditionnelle, même en ligne, ne résiste pas aux réseaux sociaux, malgré le fait que le contenu soit radicalement différent. Problème: les réseaux, Facebook en tête, peine justement à stabiliser leur business model et cherche de nouvelles options pour monétiser leur milliard d'utilisateurs. Faute de pouvoir reposer sur du contenu pérenne, leur valorisation actuelle pourrait bien finir par exploser dans un gros bang similaire à l'explosion de la première bulle internet au début des années 2000. Si cela permet aux médias reposant sur du contenu à forte valeur ajoutée de revenir dans la danse, ainsi soit-il. Encore faudrait-il qu'ils ne se fassent pas embarquer eux-aussi dans la chute...

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