Atlas du crime à Paris, du Moyen Âge à nos jours, Dominique Kalifa et Jean-Claude Fargy (2015)

Le titre dit l’essentiel de ce qu’il y a à savoir dessus : a) un atlas. b) du crime. c) à Paris. Quant à la période, elle va des alentours de 1400 au début des années 2010.




Un atlas

Ses 200 pages sont réparties en cinq grands chapitres chronologiques, eux-mêmes subdivisés en courtes sections de deux à quatre pages organisées autour d’une ou deux cartes, parfois davantage. Une iconographie abondante et variée s’y ajoute, au point où le texte donne parfois l’impression d’être le parent pauvre. Le style a beau être clair, l’ensemble ne se lit quand même pas comme un roman. Des titres alléchants comme Bouges et assommoirs du XIXe siècle peuvent dissimuler des considérations plus arides sur la différence entre « tapis-francs » et « guinguettes », illustrées par un plan de Paris où figurent les uns et les autres vers 1850…

Le niveau de détail des informations laisse parfois rêveur. Vous voulez savoir où sévissaient les voleurs dans les années 1390 ? Connaître l’emplacement des principaux nids de mendiants au XVe siècle ? Celui des cabarets homosexuels sous Louis XVI ? (L’un d’eux s’appelle Au bon chrétien, ce qui laisse supposer un propriétaire doté d’un solide sens de l’humour.)

Je suis le genre de maniaque qui est heureux de découvrir le détail des agressions rue par rue dans le Paris de 1770, ou qui s’hypnotise sur un plan du IXe arrondissement vers 1930 où figure, café par café, la répartition des bars et des dancingues entre truands parisiens, corses, marseillais et oranais, mais j’ai conscience que c’est une perversion et que tout le monde n’en est pas atteint. Si ce genre de chose n’est pas votre came, laissez tomber tout de suite.

Du crime

Il est beaucoup question de pègre et d’homicides dans cet Atlas, mais pas seulement. Vols et de cambriolages sont également à l’honneur, et ce dès l’instant où Paris se dote d’une police (dont l’une des tâches est d’arrêter les voleurs de fruits qui dépouillent les vergers des honnêtes gens).

Les auteurs nous parlent aussi des mœurs, au sens policier du mot. Ils effleurent également la délinquance en col blanc et le terrorisme (tous les deux à la Belle époque[1]) ou les émeutes (de 2005[2]).

La police et de son organisation est largement couverte, ce qui est logique, puisque flics et truands sont aux deux bouts de la même chaîne. On voit passer Vidocq, bien sûr, mais on nous parle aussi des efforts engagés par les préfets de police de la IIIe République pour civiliser les « cognes » patibulaires hérités du Second Empire et en faire d’inoffensifs « gardiens de la paix », puis pour développer le corps des enquêteurs en civil.

Au passage, les auteurs nous gratifient de portraits de quelques-uns des criminels parisiens dont la mémoire s’est conservée depuis des décennies ou des siècles, de Cartouche à Guy George en passant par Troppmann, Bonnot ou Landru… ainsi que d’intéressantes considérations sur la littérature populaire, d’Eugène Sue à Léo Malet, ou sur la manière dont la presse écrite façonnait l’opinion publique en ce temps-là.

Le lecteur comprend vite que le « crime » est une notion relative, qui évolue au fil des siècles, et parfois même d’une génération à l’autre. Même dans quelque chose d’aussi aride qu’un atlas, une petite dose d’histoire des mentalités ne fait pas de mal. Découvrir que des bons esprits s’interrogeaient déjà sur l’origine de la délinquance au Moyen-Âge, ou que la presse de la Belle époque tonnait contre l’insécurité-qui-monte, les récidivistes-qui-récidivent et les juges-trop-laxistes rend la lecture des pages « Opinions » de nos journaux un peu plus supportable. Idem pour la manière dont « le péril jeune » refait surface de génération en génération, des apaches à nos jeunes-de-banlieue-qui-font-peur en passant par les blousons noirs.

À Paris

« Paris et sa périphérie » serait plus juste. De l’enceinte de Charles V au Grand Paris en passant par les « fortifs », l’espace sécurisé ne cesse de reculer et les indésirables sont refoulés dans des périphéries de plus en plus lointaines. Des nids de truands de la porte Barbette, dans les années 1400, aux bandes modernes des cités de banlieue, il y aurait certainement moyen de tracer d’intéressants parallèles… De même, les dépouilleurs qui hantent les RER aux petites heures du dimanche matin, soulageant les fêtards embrumés de leurs portefeuilles et de leurs mobiles prolongent sans le savoir une tradition d’embuscade à la sortie des cabarets…

Du Moyen-Âge à nos jours

En réalité, les auteurs mettent particulièrement l’accent sur la période 1700-1950, sur laquelle il existe à la fois du recul et des archives… En parlant de recul, si je devais avancer un regret, ce serait la manière dont une partie des tout derniers chapitres s’aventurent sur un terrain plus politique que scientifique, mais cela ne concerne qu’une poignée de pages, et gênera surtout les admirateurs de la politique de Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur.

Bilan

Je suis toujours un bon client pour les bouquins qui parlent de Paris. J’y suis né et j’y vis depuis bientôt un demi-siècle, après tout, et il faudrait être idiot pour ne pas s’intéresser à son environnement.

Par ailleurs, à titre personnel, j’ai été plus attentif aux chapitres qui couvrent, en gros, l’espace compris entre 1800 et 1940, mais bon, cette période a toujours fait vibrer quelque chose en moi. Considéré plus généralement, comme source de matière première, la qualité de cet Atlas est constante, et les chapitres sur la ville médiévale pourraient être recyclés partout, par exemple (et surtout) dans Wastburg.

(Éditions Parigramme, 39 €)



[1] Je regrette un peu qu’un chapitre équivalent sur les attentats des années 1980 et 1990 n’ait pas figuré dans la section contemporaine.
[2] Mais pas des journées révolutionnaires du XIXe siècle.

Commentaires

  1. Je viens d'acheter Criminal London (http://bookshop.nationalarchives.gov.uk/9781860771996/Criminal-London/) alors une equivalence françasie me parait interessant.

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  2. NB: on peut feuilleter pas mal de pages sur le site de l'éditeur Parigramme. Des plans, des images de trognes, d'attitudes, de costumes, des lieux auxquels on ne pense pas (les étuves au Moyen-âge), tout ça immortalisé autour de moments de tension qu'entretiennent le crime et la transgression: voilà qui stimule l'envie de mettre en scène autour d'une table cette galerie de situations, pas que dans Paris ! Je fonce l'acheter, merci Tristan pour le focus! (et Steve pour le parallèle Londonien).

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