L’homme noir et Le pacte noir, de Robert E. Howard (années 20-30)

Épisode 41

Numéros 40 et 2 de la collection SF/Fantastique/Aventure 




Pourquoi traiter ces deux recueils ensemble ?

Tout simplement parce qu’ils ont été conçus pour se répondre.

Et pourquoi dans cet ordre, le 40 avant le 2 ?

Parce que L’homme noir est paru le premier, au Masque, dans les années 70, avant d’être réimprimé par NéO dans les années 80. Au bout du compte, après m’être demandé si ça valait la peine de faire deux billets, j’ai décidé qu’un seul suffirait. Pour éviter les lourdeurs dans la présentation des histoires, j’ai opté pour les abréviations HN et PN, respectivement pour L’homme noir et Le pacte noir.

Bon, qu’est-ce qu’on mange ?

De tout : ces deux recueils, pensés pour montrer toute l’étendue du talent de Howard, sont assez hétérogènes. Et s’amuser à coller des étiquettes précises à chaque histoire serait un exercice d’une grande futilité, vu qu’Howard lui-même écrivait au gré de son inspiration, sans chercher à remplir les cases du grand bingo des genres.

Tenons-en donc à une classification aussi sommaire que possible, d’autant que certains textes peuvent être rangés sans problème dans deux catégories ou plus, L’horreur des abîmes ou Dans la vallée du ver ayant des accents cthulhiens alors que Le feu d’Assurbanipal est largement pulp.

• Du pulp. Le morceau de bravoure du Pacte noir est L’horreur des abîmes, un court roman d’aventure qui marche sur les pas de Fu-Manchu, le danger atlante remplaçant le péril jaune. Que faire contre l’abominable Kathulos, savant surgi du passé, maître des drogues, souverain de la pègre et futur maître du monde ? Le héros a la réponse : on va lui démonter un par un tous ses lieutenants, jusqu’au moment où on pourra le dégommer, lui. Et donc, baston ! Ça cogne, ça baffe, ça défouraille, et par instants, on a l’impression de lire le compte rendu d’une partie de Mortal Kombat. Beaucoup plus courte, La voix d’El-Lil (PN) est une histoire africaine avec les ingrédients du genre : expédition, cité perdue, magie très noire, fuite in extremis… Il n’y manque qu’un gorille géant pour que la fête soit complète.

• De l’horreur classique. Magie noire à Canaan (PN) est un petit récit d’horreur qui se déroule le Sud profond, avec de bons nègres qui coopèrent avec les Blancs, et de mauvais nègres qui ne savent pas rester à leur place et qui, en plus, font joujou avec le vaudou. On va dire poliment que sur ces bases datées, Howard construit une petite histoire qui tourne bien. Toujours située dans le Sud, Les pigeons de l’enfer (HN) est un huis clos dans une maison abandonnée où les intrus meurent, le crâne fracassé à coups de hache par qui… ou quoi ? Le cairn de l’homme gris (PN) est un prolongement contemporain du Crépuscule du dieu gris, qui apparaît dans le recueil Bran Mak Morn. C’est un bon exemple de changement de genre : la nouvelle d’origine était un récit historique à grand spectacle, alors que celle-ci se range sans difficulté dans le fantastique horrifique. Qui sera assez fou pour fouiller ce tertre funéraire sous lequel repose un dieu païen ?

• Du Mythe de Cthulhu. La chose ailée sur le toit (HN) et Ne me creusez pas de tombe (HN) sont deux bonnes histoires classiques, avec tous les marqueurs cthulhiens qui vont bien : des citations de Justin Geoffrey, l’Unaussprechlichen Kulten, des mentions des Grands Anciens… mais elles tournent un peu à vide. Les enfants de la nuit (HN) est nettement meilleure. Dans le continuum cthulhien, elle tire davantage vers Arthur Machen que vers Lovecraft proprement dit, mais elle mérite d’être lue. On peut dire à peu près exactement la même chose du Peuple des ténèbres (PN), qui repose sur les mêmes ressorts et creuse le même sillon. Toutes deux sont prenantes… et imprégnées d’une vision raciale de l’univers qui ne choquait personne à l’époque, mais qui pique un peu les yeux aujourd’hui. À choisir entre les deux, je préfère Les enfants de la nuit, mais c’est une pure question de goût. En revanche, j’ai eu un coup de cœur pour Le feu d’Assurbanipal (PN), une nouvelle d’aventures dans le désert avec trésor, cité perdue et monstre indicible. Quatre-vingts ans après avoir été écrite, elle conserve une fraîcheur que pourraient lui envier par mal de récits cthulhuiens modernes.

• De l’histoire mythifiée (et plus si affinités). L’homme noir (HN) nous emmène dans un univers incertain où vivent des Celtes et des Pictes. Un héros très howardien y croise une princesse enlevée et l’ombre de Bran Mak Morn, devenu légende. C’est l’une des nouvelles préférées des deux recueils. Théoriquement, les Dieux de Bal-Sagoth (HN) est sa suite. On y croise les mêmes héros, mais elle se situe dans un univers où cohabitent cité perdue, serpent géant, princesse en détresse, grand-prêtre fourbe… du solide, sans vraie surprise et sans aucun rapport avec la réalité historique, mais bien emballé.

• Une trilogie d’heroic-fantasy. Le jardin de la peur (HN), Les guerriers du Valhalla (PN) et La vallée du Ver (PN) nous racontent les vies de James Allison, un Texan invalide et mourant qui découvre qu’il peut remonter dans ses incarnations antérieures. Toutes les trois se déroulent dans un passé fantasmatique peuplé de fleurs carnivores, de vers géants, d’hommes volants et autres cités atlantes établies sur la côte du Texas. La vallée du Ver est un petit chef-d’œuvre de la première heroic-fantasy, les deux autres sont un cran en dessous, mais se lisent avec plaisir.

• Du poil et des crocs. Dans la forêt de Villefère (HN) et sa suite Le Loup-garou (PN) nous parlent de lycanthropie. La première, parfaitement classique, a pour principal mérite d’être courte. Il est vrai qu’Howard l’a écrite à l’âge de dix-neuf ans… La seconde est une œuvre de sa maturité. Ce huis clos dans l’improbable château d’un noble portugais, sur une incertaine côte d’Afrique noire, n’a rien perdu de son efficacité.

Et c’est bien ?

Oh que oui ! Les autres recueils de Howard chez NéO sont presque tous centrés sur un personnage, et dans leur volonté d’être exhaustifs, ils embarquent un certain volume de déchet. L’homme noir et Le pacte noir visent la qualité d’abord, et atteignent honorablement leur objectif. Après, chacun se fera son palmarès.


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