Venzia

Il y a des thèmes auxquels j'ai du mal à résister. Bon, il y en a beaucoup, en fait, mais parmi ceux qui attaquent plus fortement ma résistance, il y a tous ceux qui contiennent le mot "punk", surtout quand ils vont de pair avec le mot "steam". Venzia n'en est pas loin, même s'il préfère le terme de "Da vinci Punk".

Reggia est une planète qui a sombré sous les eaux d'un déluge fondateur. Quelques cités ont survécu par la grâce de la technologie des mystérieux Pèlerins, dont Venzia, inspirée de Venise. Aujourd’hui disparue, cette technologie n’est plus vraiment maitrisée et est maintenue tant bien que mal par des bouts de ficelle. Parmi celles-ci se trouvent les Hippogriffes, des armures portées par une poignée d’élus dont font partie les personnages-joueurs. Au service du Doge, le plus haut-dirigeant de Venzia, ils tentent de maintenir Venzia à flots malgré les innombrables dangers – des créatures étranges jusqu’aux eaux qui submergent régulièrement la partie basse de la ville en passant par l’Acqua Malefacente, maladie mortelle d’origine inconnue.


C'est plus original sur la forme que le fond, mais bien attirant, à l'image de la très jolie couverture du livre de base. Celui-ci reprend le format bien connu des XII Singes. Sous des dimensions comics, il aborde univers, règles et scénario pour un ouvrage aussi complet et autonome que possible. Venzia est cependant plus luxueux que les autres gammes de l'éditeur - ça doit être leur troisième jeu seulement à adopter cette forme - soit 240 pages couleurs sous couverture rigide. Le livre est très soigné, mais on remarque vite le très peu d'illustrations qu'il contient. Pour un univers qui se veut aussi fort sur le plan visuel, c'est un peu dommage.


VENZIA ET LE PARTICIPATIF 
Venzia a fait l'objet d'un financement participatif qui pose tout de même quelques questions. L'on peut comprendre qu'un tout petit éditeur naissant sécurise une publication marginale via ce système. On peut aussi comprendre qu'un éditeur établi sécurise une publication ambitieuse au regard pour ses moyens de la même manière. Mais qu'est-ce qui justifie que les XII Singes, dont les méthodes, outils et moyens de production semblent bien établis (ils ont en tout cas largement fait leur preuve sur de nombreuses gammes jusqu'ici) aient recours à ce système pour une publication qui ne semble pas beaucoup plus ambitieuse que leurs autres productions? 
Je ne prétendrais pas répondre ici à la question, mais elle reste posée...


Côté contenu, il comprend classiquement trois sections : 100 pages d'univers (tout de même), 90 de règles et 40 dédiées au MJ. La partie univers est de loin la plus réussie. Bien mieux écrite que la suite, elle aborde Venzia de manière large mais pragmatique et surtout très dynamique. Pas un lieu de la ville ne profite ainsi d'une petite intrigue pouvant servir directement en jeu au MJ. Tout montre en tout cas que la ville est en mouvement, et tout est fait pour permettre au MJ d'intégrer les PJ dans ce mouvement.

Côté règles, Venzia a fait le choix de partir du système d6 du vénérable Star Wars période West End Games. C'est un bon système très modulable, qui permet à Venzia de gérer simplement des aspects de son univers qui auraient vite pu devenir un casse-tête - à commencer par les armures Hyppogriphes. Pour les étourdis, un petit rappel. Le d6 repose sur des caractéristiques et des compétences exprimées sous la forme d'un nombre de d6 (éventuellement assorties d'un +1 ou +2: 2d6+1, 4d6+2,...). Un test consiste à faire lancer les dés de la compétence adéquate et d'en faire la somme, qui doit dépasser la difficulté.

La création de personnage consiste pour l'essentiel à répartir un pool de dés entre les différentes caractéristiques et compétences. Il existe deux grandes méthodes à cet effet, partir de zéro ou adapter un archétype existant. Le principe des archétypes modifiables à volonté n'a que des avantages. Vous voulez un personnage rapidement ? Le MJ a besoin d'un PNJ sur le pouce ? Les archétypes sont utilisables en l'état. Vous voulez personnaliser? Vous partez d'un archétype et ajustez quelques valeurs. Vous voulez partir d'une feuille blanche ? Les archétypes vous servent de source d'inspiration et définissent ce que vous pouvez jouer dans cet univers. Ils ont une place centrale dans le d6 système. Dommage, en l'occurrence, que Venzia n'en propose qu'une petite poignée...

Car globalement, Venzia est très ambitieux, et c'est là que le bât blesse. Difficile de faire tenir autant de volonté dans un format aussi court. Si l'ouvrage fait la plupart du temps un bel effort de synthèse, avec des textes denses en informations, il se rate aussi quelques fois, souvent sur des détails mais qui finissent par peser.

Ce sont les règles qui en pâtissent le plus. Pourquoi diable détailler par le menu le calcul de la distance de saut d'un personnage (en longueur, en hauteur, avec ou sans élan...) mais consacrer aussi peu de place aux règles liées à la mer, alors que celle-ci est omniprésente ? C'est assez flagrant sur les armures Hyppogriphes, pourtant au coeur du jeu, mais dont les règles semblent avoir été jetées rapidement sur un coin de table. Il faut dire que cette section n'est pas aidée par une écriture très plan-plan qui détonne avec la partie univers.



La section réservée au MJ est plutôt classique - quelques informations sur l'univers, une galerie de PNJ et un scénario. Ce dernier constitue le premier chapitre d'une campagne en devenir. Une campagne qui se promet plutôt dynamique, à l'image de l'univers proposé, ce qui est tout à son honneur. Sauf que ce dynamisme repose sur les intrigues et secrets de Venzia, qui sont évoqués mais... absents, et pour cause puisqu’ils font l'objet du livret qui accompagne l'écran. Il est du coup curieux que les XII Singes n'est pas plutôt adopté leur format classique, qui réuni ces éléments dans un même package.

Le scénario lui-même est très décevant. Il se décompose en deux parties distinctes, une courte enquête et une chasse au trésor dans les tunnels. L'idée d'une enquête n'est pas idiote pour un scénario d'introduction, histoire d'envoyer les PJ visiter les quatre coins de la ville... sauf que celle-ci tient en une poignée de pistes toutes regroupées dans un périmètre très restreint. Comme pour le reste de l'ouvrage, il est clair que cette aventure souffre du manque d'espace. De nombreux outils et explications sont absentes, conduisant parfois la rédaction à des choix drastiques pour ne pas dire fatals : présupposition forte sur la position sociale des PJ, aucune piste sur la gestion d'une partie de l'intrigue, absence totale d'outils pour impliquer les personnages (qui sont en l’état supposés répondre au pied levé à une invitation sans poser de question), et même quelques incohérences mineures mais réelles.

Venzia est vraiment une bonne surprise sur ses 100 premières pages. L'univers est très bien décrit et écrit, avec un dynamisme qui donne envie d'y plonger rapidement des joueurs. Le bât blesse lorsque l'on attaque les règles et la section dédiée au MJ. Ni les intentions, ni leur mise en pratique n'est vraiment en cause, mais plutôt un format qui ne cadre pas avec des ambitions élevées. La base, intéressante, est donc là pour ceux qui n'ont pas peur de mettre les mains dans le cambouis. Si par ailleurs les XII Singes assurent un suivi du niveau de ses autres gammes, ses défauts vite devenir de l’histoire ancienne. En tout cas moi, j’en suis!

Le lien vers la fiche du GROG
Le Blog de Lohran, illustrateur sur Venzia, avec de très jolies esquisses et pas mal d'informations

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