The Final Girl

Le dernier podcast de la Cellule consacré à The Final Girl me rappelle l'existence de ce sympathique jeu et m'apprend sa traduction récente en français par les éditions La Saltarelle. Le jeu s'inspire des slashers, ces films d'horreur qui mettent en scène les meurtres d'un tueur en série qui va éliminer la quasi-totalité du casting avant d'être stoppé (on pense évidemment à la série des Scream, au Halloween de Carpenter et éventuellement au Psychose de Hitchcock). The Final Girl s'inscrit dans ce genre extrêmement codifié et va chercher à en émuler le type de récit. Les parties sont très amusantes même si la démarche n'est pas entièrement convaincante.

Des hommes, des femmes et des tronçonneuses
L'expression "final girl" désigne le personnage qui est généralement la dernière survivante des slashers : une jeune fille innocente et vierge qui finira pas se retourner contre le tueur. Le terme est issu de l'ouvrage de Carol Clover, Men, Women and Chain Saws, un essai qui identifie les archétypes les plus courants du genre et s'inscrit dans un discours critique qui en attaque l'idéologie. Les slashers ont en effet depuis longtemps une réputation de films conservateurs, les conventions du genre étant parfois accusées de masquer une idéologique puritaine en invitant le spectateur à jouir de la mise à mort de personnages débauchés. Pour ceux que le sujet intéresserait, un épisode de l'excellente émission de cinéma Chroma revient sur cette polémique et propose une contre-critique.

The Final Girl fait le choix d'utiliser le support rôliste pour contourner ces reproches : après tout autour d'une table de jeu rien n'oblige de respecter l'archétype de la "final girl". Au contraire, tout l'enjeu d'une partie de ce jeu sera de savoir qui sera le dernier personnage survivant. Lorsqu'un personnage se retrouve attaqué par le tueur, le joueur qui l'incarne peut se défendre en tirant une carte -on utilise un jeu de 54 cartes classiques- et survivre à la scène s'il obtient une carte d'une valeur suffisamment élevée. Les personnages ayant déjà survécu à une attaque du tueur ou ayant tissé de nombreuses relations avec les autres victimes du tueur sont autorisés à tirer plusieurs cartes.

Le joueur, spectateur engagé
Comme dans les slashers, les probabilités qu'ont les personnages de se faire assassiner dépendent donc de logiques purement narratives (elles n'ont cependant rien à voir avec le fait d'avoir eu ou non des relations sexuelles). On est aux antipodes d'autres jeux d'horreur dont les mécaniques vont d'abord servir à donner un poids ludique aux menaces décrites par le MJ, ainsi dans Sombre ou dans l'Appel de Cthulhu le fait d'être confronté à un ennemi muni d'un couteau est inquiétant parce qu'on sait que cela va se traduire par un risque plus élevé d'être blessé ou tué. Dans The Final Girl les descriptions sont principalement là pour l'ambiance, qu'importe que Jason poursuive les personnages avec une tronçonneuse, un couteau ou une paire de ciseaux à bouts ronds : cela n'aura aucun impact au moment de déterminer qui survivra à la scène.

L'abstraction de ce système de résolution rend la partie très peu stressante pour les joueurs. Au contraire on rit beaucoup, on ne se sent jamais très impliqué par le sort des personnages que l'on incarne mais l'ambiance y est conviviale. Au fond jouer à The Final Girl me rappelle mes nombreuses soirées DVD passés entre amis, autour de films de série B plus ou moins nanardesques. Lors de ce genre de soirées on est d'abord spectateur mais pas seulement...on critique la bêtise des protagonistes, on balance des vannes, on encourage nos personnages préférés. Sauf que dans The Final Girl nos commentaires ont un vrai impact sur le déroulement de la fiction, comme si le fait d'avoir hurlé "Casey ! Le tueur est derrière toi !" permettait vraiment de sauver le personnage de Drew Barrymore pendant le visionnage du premier Scream.

 
                                           Raymond Aron en pleine partie de The Final Girl

J'vois l'genre !
Le jeu cherche aussi à émuler le découpage narratif des slashers en décomposant l'intrigue en une succession de scènes faisant toutes intervenir le tueur et se terminant toutes par la mort d'au moins un personnage. Réduites à ce point à l'essentiel, les histoires racontées en deviennent un peu inconsistantes, après tout même les slashers les plus basiques ne se résument pas à un enchainement de meurtres. Cependant cette simplicité vient servir le jeu en permettant d'y jouer sans préparation, en moins de deux heures et sans meneur de jeu : les joueurs sont invités à sauter d'un rôle à l'autre ce qui permet de ne pas écarter de la partie ceux dont le personnage a été poignardé/noyé/étrangle/tronçonné et offre à chacun la possibilité de décrire les actions du tueur. En permettant d'incarner différents personnages et donc d'expérimenter différents points de vue, The Final Girl se rapproche des grands classiques du genre dont la mise en scène nous amène à la fois à nous sentir proche à la fois des victimes et des assassins comme dans la célébrissime scène en vue subjective qui ouvre Halloween et invite les spectateurs à voir au travers du regard de Michael Myers.

Mais le plaisir du spectateur qui regarde un slasher est aussi un plaisir de connaisseur. On connait les codes du genre sur le bout des doigts et on se demande si le film qu'on est en train de regarder va s'en démarquer. Un bon slasher va jouer avec les attentes de son public en s'amusant à les subvertir, en faisant de son héroïne la véritable meurtrière, en introduisant un deuxième tueur, en décalant l'empathie du spectateur vers le tueur, en provoquant la surprise durant les scènes les plus sanglantes. Cette surprise n'existe pas dans The Final Girl. En s'attachant aussi servilement aux codes du slasher mais en en appauvrissant la trame narrative le jeu trahit finalement le genre. On sait dès le début de quelle façon le jeu va se positionner vis à vis des conventions du genre : il va se contenter de subvertir l'archétype de la "final girl" ce qui ne surprendra personne autour de la table puisque tout le monde connait les règles du jeu avant même qu'on ne lance la partie.

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