Cathulhu




Cathulhu, édité par les Anglais de Sixtystone Press, est un supplément à L’Appel de Cthulhu permettant de jouer… des chats. Oui, je sais. Des fois, on ouvre un supplément en se demandant quelle mouche sous LSD a piqué les auteurs et l’éditeur. Certes, Lovecraft, grand amateur de chats, en a beaucoup parlé dans sa correspondance, et il leur a donné le premier rôle dans quelques poèmes et nouvelles. N’empêche, il fallait sauter au-dessus d’un sacré abîme conceptuel pour en arriver à l’idée d’investigateurs à moustaches[1], jouant des scénarios d’enquête presque comme les humains. Mais bon, les chats savent sauter et les auteurs sont retombés sur les pattes. Ou le contraire.

Seconde étrangeté, le supplément d’origine est allemand. Que ce soit pour L’Appel de Cthulhuou pour n’importe quoi d’autre, rares sont les suppléments d’origine étrangère à être publiés en anglais. Changer Katzuhlhu en Cathulhu n’a pas dû coûter une fortune en frais de traduction : à rebours de la très cthulhienne tendance à produire des encyclopédies vendues au poids, il tient en 64 pages. Cela suffit pour un système de création de personnage, quelques adaptations de règles, des infos de background et un scénario[2].

Ces bases posées, qu’y a-t-il au menu ?

Sans originalité excessive, les auteurs commencent par rappeler les caractéristiques des chats[3], avant d’enchaîner sur une présentation de quelques races de chats classées par époques de jeu. Chacune a un point fort et un point faible, exprimés par en bonus/malus aux caractéristiques et aux compétences, et un « Trick », une petite capacité spéciale qui vient s’ajouter aux pouvoirs de base de tous les félins : le passage dans les Contrées du rêve et les neuf vies. L’inévitable liste de compétences est (très) allégée pour coller à des félins dont les principales activités consistent à dormir, à ronronner et à courir après une baballe, du moins quand ils ne sauvent pas le monde.

La vénérable SAN est remplacée par la SEN, la Sentience. Un chat qui perd de la Sentience rejoint la foule des animaux vulgaires. Et comme cette descente ne se fait pas d’une traite, les maladies mentales sont revues. Tous les éthologues vous le diront, les chats peuvent souffrir de troubles du comportement tout autant que les professeurs d’université qui ont croisé l’Indicible une fois de trop.

Viennent ensuite une dizaine de pages un peu fourre-tout, où il est question de la déesse Bast et des ennemis des chats (dont les sinistres chadorateurs de Tsathoggua), mais aussi de communication féline et de la manière d’évoluer dans un monde conçu par et pour des géants raides, bruyants et dotés de sens limités[4].

Cette chose étrange qui s’appelle la suspension d’incrédulité opère. Il faut faire l’effort d’admettre que les chats de Cathulhusont un peu plus – à peine plus – que ceux qui squattent nos canapés et nous réveillent à des heures incongrues parce qu’ils veulent un câlin. Mais une fois acceptée l’idée que les chats sont magiques, tout le reste glisse sans trop de mal. Et si vous bloquez… entre nous, qu’est-ce qui est le plus crédible ? Des chats magiques, ou un tas de morve de douze mètres de haut avec un nom plein de consonnes et un CV rédigé avant l’invention de l’écriture ?

En qui croyez-vous ?
En moi, ou en l'autre, à droite ?

Xfthlkgjfül pense que les chats,
c'est rien que des branleurs qui fument des pétards
et jouent au baby-foot toute la journée









Vous l’aurez compris, Cathulhu n’est pas vraiment sérieux. L’auteur oscille entre des considérations parfaitement rationnelles sur la perception des couleurs ou les difficultés pour ouvrir une porte quand on n’a pas de mains, les moments de franc délire sur les épouvantables lapins vorpale, et des passages décalés sur les investigachats qui arrêtent de compulser un livre maudit parce que c’est tellementplus rigolo de jouer avec le signet. Du coup, on a parfois un peu de mal à y retrouver ses chatons, mais ce n’est pas bien grave parce qu’une ambiance se dégage de tout ça, une ambiance qui fait bizarrement envie.

Le scénario, The Black Cat, est archétypal à souhait : quelqu'un massacre des chats. La mort de quelques matous n’intéressant pas les humains, il faut que des héros à fourrure se chargent de trouver qui. L’auteur le décrit comme « ridiculement simple s’il était joué par des humains ». C’est vrai, mais il a été écrit pour poser d’intéressants problèmes à des investigateurs à quatre pattes…

Que penser de Cathulhu ? Il vous permet d’évoluer dans l’univers de Walt Lovecraft… d’Howard Phillips Disney… enfin, dans un truc à mi-chemin entre les Aristochats et l’Abomination de Dunwich. Selon le degré de sérieux souhaité, Cathulhu meublera agréablement une balade d’une soirée entre rôlistes désireux de se changer les idées, ou assurera une initiation à L’Appel de Cthulhu pour ailurophiles[5]et autres flemmards peu désireux de se frotter à une création de personnage complète. Et autant je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de se servir de l’horreur pour faire découvrir le jeu de rôle à des enfants, autant « une histoire qui fait peur » où on joue des chats magiques collera bien à un jeune public.

Cathulhu est sorti en 2014. Pourquoi est-ce que je vous en parle maintenant ? Eh bien, ce truc dormait depuis des années sur mon étagère à cthulhus. Je ne l’en ai extrait qu’en apprenant que Golden Goblin Press allait lancer un Kickstarter pour un recueil de scénarios Cathulhu, doublé d’une anthologie de nouvelles d’horreur mettant des chats en valeur (respectivement intitulés Tails of Valor et Tails of Terror). Comme j’aime bien ce que fait Oscar Rios, je me suis dit que ça valait le coup d’y jeter un œil avant de backer… et voilà comment MM. les corbeaux gagnent un billet sur des chats.


Un supplément en anglais publié par Sixtystone Press, disponible sur DriveThruRPG. Prix entre 9 et 17 € selon le format (pdf, papier ou les deux).



[1]Hercule Poirot ne compte pas. Il est humain, bien que Belge.
[2]Et ce n’est déjà pas mal pour un truc qui a commencé sa carrière comme quelques pages de délire dans un fanzine.
[3]Pour la 6eédition, mais bon, multiplier les valeurs données par 5 est à la portée du premier gouttière venu.
[4]Mais qui sont capables d’ouvrir des boîtes de thon, eux.
[5]J’ai réussi à le placer ! Bon, en même temps, ce n’était pas si dur… je caserai « cochléophobe » dans un prochain billet, c’est déjà un peu plus ardu.

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