Stone Skin Press et lovecrafteries

Je viens de découvrir que Pelgrane Press a un département « édition » ! Son catalogue est même assez fourni, avec des anthologies sur des thèmes comme la trahison, la littérature gothique contemporaine… sans oublier plusieurs volumes de lovecrafteries. En voici deux de dépouillées. Sans être transcendants, ils se situent dans la très bonne moyenne des tentaculeries. Je m’occuperai du reste quand les étoiles seront en place, que ce soit demain ou jamais.

Shotguns v. Cthulhu

 Cette anthologie de Robin D. Laws propose un assez joli casting et des nouvelles de bonne qualité, qui ne redéfinissent pas le mythe de Cthulhu, mais l’exploitent intelligemment pour en tirer des histoires pas forcément très originales, mais qui font toutes le job. En revanche, la couverture annonce de la « double-barreled action in the horrific world of H.P. Lovecraft », une promesse qui est, en définitive, assez mal tenue. Certains de ces textes renferment un peu plus d’action que la moyenne des cthulheries, sans pour autant nous emmener au pays de Robert E. Howard.

• Who Looks Back ?, de Kyla Ward, est une bonne histoire de monstre, qui a effectivement un côté « physique » prononcé. Je l’avais déjà lue dans une anthologie plus récente, ce qui veut dire qu’elle a assez plu pour être reprise.

• Old Wave, de Rob Heinsoo, est une balade exotique dans la Polynésie d’avant l’arrivée des Européens. L’auteur fait des efforts pour l’ancrer dans les mentalités et les coutumes locales, un travail de fond qui s’avère payant. Et à ma grande surprise, il évite d’utiliser des Profonds, ce qui est une très bonne chose.

• Lithic, de Dennis Detweiller, est le récit d’un protagoniste qui en a assez vu pour perdre pas mal de SAN. Du coup, la narration est sévèrement déstructurée, mais reste sympa à lire, même si je ne suis pas sûr d’avoir tout pigé. Celle-là aussi, je l’ai déjà vue dans un autre recueil, mais je ne sais plus où.

• Snack Time, de Chris Lackey, met en scène un pauvre type poursuivi par un chien de Tindalos dans les rues de Los Angeles, sauf que ce n’est pas tout à fait un pauvre type. Courte et violente, elle se signale par des Chiens qui ressemblent plus aux molosses de Zul de Ghostbuster qu’aux cauchemars canins auxquels on est habitués. Le résultat est lisible sans être mémorable.

• The Host from the Hill, de Dan Harms, est une excursion dans la Pennsylvanie du début du XIXe siècle, avec comme invité vedette un certain John Georg Hohman, personnage historique qui a fait partie des premiers compilateurs du folklore local. Le voilà reconverti en chasseur de sorcières, parce que bon, pourquoi pas ? Il y a de l’action, pas de doute, mais le résultat se laisse lire, sans plus.

• Breaking Though,de Steve Dempsey, met en scène une paire d’étudiants londoniens qui fabriquent de l’ecstasy. Bien sûr, ce petit business va leur attirer des ennuis format XXL. Elle renferme plusieurs bonnes idées, notamment celle d’un flash summoningsur le modèle des flash mobs, et a une bonne chute. Elle se range plus à la rubrique « petit plaisir coupable » qu’à celle des histoires marquantes, mais elle reste un bon cru.

• Last Things Last, d’Adam Scott Glancy, est une histoire de Delta Green, où un couple d’agents part nettoyer l’appartement d’un collègue défunt pour s’assurer que sa famille n’y trouvera rien de compromettant quand elle viendra pour l’enterrement. En elle-même, elle n’est pas bouleversante, mais elle a un grand intérêt : c’est la version « nouvelle » d’un autre Last Things Last, le scénario d’introduction proposé dans Need to Know, le livret d’introduction au jeu de rôle Delta Green. Lire les deux en parallèle est une expérience très intéressante, qui pourra nourrir une éventuelle séance de jeu.

• One Small, Valuable Thing, de Chad Fifer, est une histoire contemporaine où un vétéran tombé dans la dèche s’essaye au cambriolage dans l’espoir de se refaire. Bien sûr, il s’en prend à la mauvaise personne, et c’est lui qui est refait. L’auteur pousse ce postulat très classique un peu plus loin que ce que l’on attend, et du coup, on s’amuse. Un peu.

• Wuji, de Nick Mamatas, nous fait découvrir les liens secrets qui relient le Frelon vert, les arts martiaux asiatiques, Alexandre le Grand et le Nécronomicon. Cette balade dans la contre-culture des années 60 est barrée, mais tourne un peu à vide.

• The One in the Swamp, de Natania Barron, se passe au XIXe siècle et met en scène deux sœurs, une intrépide combattante et une gadgetomane capable de bricoler des armes mortelles à partir de pas grand-chose. Toutes deux s’aventurent dans un marais mal famé, et bottent des culs de chèvres mutantes. Une fois passé le léger vernis Mystères de l’Ouest/Deadlands, on se retrouve devant une histoire qui tourne un peu à vide, même si elle se laisse lire.

• Infernal Devices, de Kenneth Hite, nous parle d’un fusil de chasse manié par l’assistant d’un chasseur de sorcières du XVIesiècle, et de son destin anté/ultérieur. Elle se distingue par un ton légèrement distancié et une pointe d’humour, au service d’une solide érudition en matière d’armes à feu. J’ai beaucoup aimé.

• Walker, de Dave Gross, est un récit contemporain situé à Seattle, dont l’héroïne est flic et a vu des choses pas normales. Il y a des idées, le fond de paranoïa galopante n’est pas inintéressant, mais l’ensemble ne fonctionne pas bien.

• And I feel Fine, de Robin D. Laws, commence par la destruction de la civilisation. Piégé dans un parking effondré, notre héros parviendra-t-il à en sortir pour regagner sa maison de banlieue ? Je l’ai bien aimée, pour tout un tas de raisons. Du coup, je pardonne à l’anthologiste de s’être incrusté dans son livre.

• Welcome to Cthulhuville, de Larry DiTillio. Bon, j’avoue : si j’ai acheté cette anthologie, c’est à cause de ce nom sur la couverture. J’avais envie de voir ce que « M. Masques de Nyarlathotep » avait d’autre à raconter sur Cthulhu. Eh bien, il nous sert une sympathique histoire postapocalyptique où les grands prêtres de Nyarlathotep et Cthulhu se tirent la bourre. C’est réalisé avec compétence et beaucoup de métier, mais on évolue plus dans Cthulhu Warsque dans de l’horreur lovecraftienne.

• End of White, d’Ekaterina Sedia, nous invite à partager les angoisses d’un officier russe blanc replié dans un petit village de Crimée, qui attend avec angoisse l’arrivée des Bolcheviques sans se rendre compte que son environnement est un peu trop idyllique. Il ne faut pas en attendre des merveilles, mais elle fait le job.

Au bilan, nous avons là des histoires d’une qualité assez homogène, où les histoires les plus faibles ne sont pas catastrophiques, mais où les bonnes ne sont pas renversantes. Elle me laisse un peu sur ma faim, mais si toutes les anthologies lovecraftiennes étaient de ce niveau, ma vie serait plus agréable.


Swords v. Cthulhu



Pour cette seconde anthologie, Robin D. Laws laisse la place à Jesse Bullington et Molly Tanzer, et on recule dans le temps vers des époques historiques, oniriques ou mythiques, bref au temps où l’on s’expliquait encore à coups d’épées plutôt qu’avec des flingues. Les nouvelles y sont en moyenne plus courtes que dans le premier volume et comme sa grande sœur, Swords v. Cthulhunous est vendu comme un recueil d’histoires d’action, et même de « swift-bladed action ». La réalité est moins… tranchée.

• The Savage Angela in : The Beast in the Tunnels, de John Lagan. Que dire qui ne paraphrase pas le titre ? Armée d’une épée, Savage Angela s’aventure dans des tunnels pour tuer une Bête. Après un minimum de péripéties, elle la tue. Voilà, fin de l’histoire. C’est lisible et pas très long, mais ça ne va vraiment pas loin. Comme ouverture, on a connu plus séduisant.

• Non Omnis Moriar, de Michael Cisco, prolonge le « rêve romain » de Lovecraft. Que s’est-il passé après la disparition d’un tas de gens importants et d’un fort détachement militaire dans un coin perdu du nord de l’Hispanie ? Il s’est passé que les autorités ont envoyé des investi… des enquêteurs. La mise en place est très réussie, la montée en tension aussi, en revanche, la fin tombe un peu à plat, mais c’est surtout parce qu’on en aurait voulu davantage.

• The Lady of Shalott, de Carrie Vaughn, relève du cycle arthurien. Et donc, sire Lancelot se met en tête de sauver la Vierge de la Tour, laquelle n’a pas tellement envie qu’on l’arrache à sa captivité… mais sire Lancelot est obstiné comme c’est pas permis. On évolue plus dans le comique que dans l’horreur, et à certains moments, j’entendais claquer les noix de coco de Sacré Graal. Quand on a signé pour écouter les flûtes de la cour d’Azathoth, c’est déconcertant…

• Trepassers, d’Adam Scott Glancy, nous raconte une histoire qui m'est très familière, celle d’un groupe de soldats perdus dans les montagnes d’Asie centrale qui débouchent sur un plateau hostile et plein de cannibales. J’ai été fasciné par la manière dont Glancy arrange les mêmes briques que moi pour arriver à un résultat bien différent. Son histoire est plus courte et nerveuse que la mienne, et ses héros ont droit à la dynamite, eux, même si ça ne change pas grand-chose au résultat final.

• The Dan no Uchi Horror, de Remy Nakamura, est un repackaging compétent de l’Abomination de Dunwichavec une samouraï, des onis et un peu de sexe lesbien pour combattre l’impression de déjà-lu qui ne tarde pas à hanter le lecteur.

• St-Baboloki’s Hymn for Lost Girls, de L. Lark, se déroule dans une Afrique mythologisée, avec un monstre qui parle, un « saint » qui n’en est sûrement pas un… Cette nouvelle bizarre n’est pas follement cthulhienne, mais l’auteur réussit à créer une ambiance. Il faut faire un petit effort pour rentrer dedans, mais si l’on y parvient, elle se laisse lire agréablement.

• The Children of Yig, de John Hornor Jacobs, nous raconte l’histoire d’une bande de Vikings venus piller un bout de côte, qui finit par avoir des ennuis ophidiens. Elle n’est pas mal, mais deux erreurs historiques me l’ont gâchée : les drakkars n’ont pas de cale (or, cette cale joue un grand rôle dans l’histoire) et surtout, ils n’explosent pas quand on tire des flèches enflammées dessus…

• The Dreamers of Alamoï, de Jeremiah Tolbert, est une bonne histoire qui pourrait (ou pas) se dérouler par-delà le mur du Sommeil, où un non-rêvant est chargé de mettre un terme aux inquiétantes activités d’une bande de rêveurs… En dire davantage serait la gâcher, mais faites-moi confiance, c’est l’un des points forts du recueil.

• Two Suns over Zululand, de Ben Steward, nous raconte comment une bande de guerriers zoulous tente de récupérer un puissant fétiche maudit au milieu d’une bataille contre les Anglais. Pour le coup, il y a de l’action, des fusillades et des grands coups de lance et des monstres en pagaille. On en sort repu, mais pas marqué.

• A Circle That Ever Returneth In, d’Orrin Grey, est une curiosité sur laquelle plane les ombres de Fritz Lieber et de Lankhmar[1]. Je dis « curiosité » parce que c’est une « nouvelle dont vous êtes le héros », avec des choix en fin de paragraphe qui vous renvoient page X si vous décidez de suivre la magicienne et page Y si vous préférez suivre la voleuse… Et en plus, elle est plaisante à lire, quoi qu’un peu répétitive si vous essayez de suivre toutes les branches (il n’y en a que trois, ce n’est pas non plus surhumain).

• Ordo Virtutum, de Wendy N. Wagner, nous fait suivre l’affrontement entre Hildegarde de Bingen, tout juste abbesse et pas encore sainte, et un abominable sorcier cthulhien qui pourrait aussi bien être un nécromancien, un sataniste ou un adepte de Nurgle. Pour ne rien arranger, les pouvoirs célestes assurent la victoire d’Hildegarde, ce qui suffit à me faire lâcher l’affaire…

• Red Sails, Dark Moon, d’Andrew S. Fuller, est une histoire des Contrées du rêve tout à fait assumée, avec une narratrice amnésique, encore du sexe lesbien et une spectaculaire guerre privée menée par une terrible pirate contre les galères noires de Leng. Elle a du souffle, une chute amère… Je l’ai beaucoup aimée.

• The Thief in the Sand, de M. K. Sauer, est orientalisante, étrange et finalement pas terrible. Pour moi, c’est un loupé, mais quelqu’una dû l’aimer, sinon elle ne serait pas là.

• Without Within, de Jonathan L. Howard, est une excursion dans les années 1640, en pleine guerre civile britannique. Elle ne se fixe pas de grandes ambitions, mais réussit assez bien à divertir le lecteur. Pas tellement à le terrifier, en revanche.

• Daughter of the Drifiting, de Jason Heller, est… bizarre. Elle nous envoie dans un monde postapocalyptique, voire post-post-post-apo, vu que plus rien ne ressemble à notre civilisation. On y découvre les tourments d’une narratrice qu’un Grand Ancien a choisie comme fourreau pour son épée. Il y a de belles images, un peu de psychologie et beaucoup de violence, y compris sexuelle. Elle ne sera pas du goût de tout le monde. Je l’ai trouvée intéressante sans vraiment y adhérer, peut-être parce qu’elle aurait mieux fonctionné dans un continuum moorcockien avec des Seigneurs du Chaos plutôt que des Grands Anciens.

• The Matter of Aude, de Natania Barron, se déroule sous Charlemagne, ou plus exactement dans le contexte de la Chanson de Roland. Aude, sœur d’Olivier et fiancée de Roland, se déguise en moinillon afin d’accompagner l’armée en Espagne, où son frère doit affronter le terrible géant Fierabras… L’auteur colle aux « faits » de la Chanson, tout en réarrangeant les protagonistes à sa guise et en dévoilant « la véritable histoire ». Le résultat est sympa sans plus.

• The Living, Vengeant Stars, d’E. Catherine Tobler, relève de l’heroic-fantasy. Et donc, un « homme noir » recrute une bande de super guerrières d’élite pour aller dézinguer les Grands Anciens. On se doute au bout d’une demi-seconde de l’identité du commanditaire… et donc, les drôles de dames de Nyarly tronçonnent une partie substantielle du Malleus Monstrorumavant de se casser les dents sur trop gros pour elles. Je peux sans hésiter lui coller un coup de tampon « Pas pour moi ».

• The Agonaut, de Carlos Orsi, se passe à bord d’un vaisseau barbaresque aux prises avec un navire de l’ordre de Malte, mais ça pourrait être n’importe quoi, n’importe où. Second loupé franc de cette anthologie après The Thief in the Sand.

• Of all possible worlds, d’Eneasz Brodi, nous raconte les malheurs d’un esclave juif chargé de procurer des bêtes pour les jeux du cirque. Elle contient une embarrassante scène de viol homosexuel, mais à part ça, il ne m’en reste plus grand-chose quarante-huit heures après l’avoir lue.

• The Final Gift of Zhuge Liang, de Laurie Tom, nous balade dans la Chine des Royaumes combattants. L’arrière-plan historique tient la route, l’arrière-plan cthulhien est un minimum travaillé, et l’ensemble compose une histoire sympathique, sans beaucoup de prétention, mais qui se laisse lire.

• The King of Lapland’s Daughter, de Nathan Carson, se déroule à une époque indécise, dans un coin de Laponie où la monarchie vacille, où un monstre rôde, et où la fille du roi part à la recherche d’un magicien pour arranger tout ça. Elle n’est pas tout à fait humoristique, mais pas parfaitement sérieuse non plus, et elle m’a bien plu.

• Bow Down Before the Snail King, de Caleb Wilson, est une histoire de fantasyavec une petite vibe Numénera pas désagréable, qui ne terrifiera que les cochléophobes[2], mais ouvre des perspectives intrigantes.

Dans l’ensemble, Swords v. Cthulhuest un peu plus inégal que Shotguns v. Cthulhu, avec des histoires qui se détachent vraiment, en bien ou en mal. Non Omnis Moriar, TrepassersThe Dreamers of Alamoï et Red Sails, Dark Moon sortent clairement du lot. Ce n’est pas l’anthologie du siècle qu’il faut absolument avoir lue, mais dans l’océan de médiocrité qu’est la littérature lovecraftienne, elle reste une bonne surprise.


[1]Avec un très léger coup de lime sur le numéro de série.
[2]J’avais dit dans le billet sur Cathulhuque je le placerai, sinon j’aurais juste dit « escargophobe », comme tout le monde. Enfin, comme tout le monde qui a l’occasion de parler d’une phobie des escargots, ce qui n’arrive pas forcément tous les jours.

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