Cormac Fitzgeoffrey / La route d’Azraël

Fatigué ? Stressé ? Ça nous arrive à tous. Dans mon cas, un petit Robert Howard et ça repart. Et pourquoi ces deux-là en même temps ? Parce que le coup de mou a été un peu plus costaud que d'habitude, parce qu’ils étaient côte à côte sur mon étagère, et parce que grosso modo, ils parlent de la même chose : des aventures orientales situées entre 1021 et le début du XIIIsiècle.



Cormac FitzGeoffrey (années 30)

Épisode 51
Collection Fantastique/SF/Aventure, n°123 (1984)


Fils d’un chevalier normand et d’une Irlandaise, Cormac a connu une enfance difficile, au cours de laquelle il a « tué trois hommes avant de fêter ses douze ans ». Adulte, il s’est lancé dans les luttes entre chefs de clans irlandais et a énervé les mauvaises personnes. Grillé auprès de tout le monde, il décide d’aller se mettre au vert pile au moment où la Troisième croisade quitte l’Europe[1]. Et donc, en route pour l’Orient !

À y regarder de près, FitzGeoffrey est surtout un avatar de Conan, un grand costaud aux cheveux noirs et aux yeux bleus plus agile qu’il n’en a l’air. Il lui arrive même de jurer « par Crom » quand Howard ne fait pas gaffe.

Cormac a quand même une caractéristique qui le différencie de Conan : c’est un fou furieux. Conan n’a pas de problème avec la violence, mais ce n’est pas non plus sa seule réponse à la moindre contrariété. FitzGeoffrey fait partie de ces gens qui vous assomment si vous ne leur passez pas le sel assez vite, qui vous éventrent si vous leur marchez sur les pieds et qui massacrent toute votre famille si vous leur faites une queue de poisson.

Les trois nouvelles qui lui sont consacrées sont donc de sympathiques orgies d’ultraviolence rédigées par un Howard qui frôle l’autoparodie sans jamais y succomber. Quand il n'est pas en train de baffer et de bastonner, FitzGeoffrey trucide et pourfend. Les crânes éclatent, les sternums explosent. Les armures se déchirent comme si elles étaient en papier, le sang coule à plein seaux... et on s’amuse bien, parce que c’est écrit par un auteur de talent qui sait embarquer son lecteur.

Amis du réalisme historique, vous pouvez passer tout de suite votre chemin. Cormac évolue dans les années 1190 et Howard fait passer quelques personnages célèbres dans le champ de la caméra, mais le vrai propos de ces histoires est de décrire l’effet de la hache de guerre A lorsqu’elle entre en contact avec l’individu B. Oh, et tant qu’à faire, oubliez aussi l’idée qu’il puisse y avoir des personnages féminins dans d’autres rôles que ceux de victime ou d’ingénue. Howard savait en créer, mais là, il avait d’autres préoccupations, centrées autour des haches de guerre.

• Les aigles d’Outremernous montre un Cormac mécontent du sort de l’un de ses amis. Il commence par aller dessouder un voisin qui aurait pu aider son pote mais n’a pas bougé, puis décide de s’en prendre aux vrais responsables. Finalement, Saladin en personne intervient et arrête le bain de sang – une belle apparition, bien traitée, qui donne lieu à quelques passages un peu nuancés.

• Dans Le sang de Belshazzar, Cormac rejoint une bande de brigands dans l’espoir de réunir assez d’argent pour payer la rançon d’un autre ami[2]. Il se retrouve donc dans la forteresse du Boucher, un psychopathe qui n’aime pas les femmes et s’est entouré d’une collection trognes patibulaires comme personne n’ose plus en présenter. Déposez un héros explosif au milieu des luttes de pouvoir des lieutenants du Boucher. Rajoutez une gemme maudite et des sacrifices humains dans un temple souterrain garni de statues antiques. Secouez et servez chaud, dans le crâne d’un ennemi. Au-delà du premier degré, cette nouvelle est intéressante parce qu’elle montre à quel point le genre est une notion plastique : elle aurait pu être fantastique, mais le magazine auquel Howard la destinait s’intéressait à l’action avant tout. Et donc, à la place de l’indicible apparition que laissent entrevoir les premières pages, on se retrouve avec un combat final tarantinesque à souhait.

• La princesse esclave est plus courte, plus convenue, et a été terminée après la mort d’Howard par Richard Tierney, un « bon faiseur ». On voit arriver le coup de théâtre final de très loin, par-dessus les monceaux de cadavres, sans que ça nuise au plaisir de la lecture.

Là-dessus, Cormac prend congé, laissant derrière lui l’envie d’aller fracasser un truc, n’importe lequel, mais comme il fait chaud et qu’il reste des pages, on enchaîne plutôt sur une autre nouvelle

• Le rôle du héros des Épées rouges de Cathay la Noireest tenu par un certain Godric de Villehard, un croisé un peu plus tardif qui a participé à la prise de Constantinople en 1204. Lancé dans les steppes à la recherche du royaume du Prêtre Jean, ce Godric arrive dans une petite ville bien tranquille, dotée d’un empereur dégénéré et d’une ravissante princesse. Godric est à peine acclimaté que Genghis Khan se pointe… Il en résulte un mélange entre la bataille du gouffre de Helm et Fort Alamo, au cours de laquelle « le sang et la cervelle coulent comme de l’eau ». J’aime bien, mais soyons clairs : je ne force personne à me suivre dans mes perversions.

Et comme tout recueil NéO contient un truc donc on se demande ce qu’il fait là, on conclut par

• Les morts se souviennent, une courte nouvelle fantastique/western qui se déroule en 1877 et qui pourrait donner la matière d’un petit scénario pour Down Darker Trails. Sans être le chef-d’œuvre annoncé par un préfacier un poil trop enthousiaste, c’est une bonne petite hantise.

Quel bilan pour ce recueil ? Plusieurs centaines de figurants massacrés, des cadavres éparpillés de la Syrie aux contreforts de l’Himalaya, un décor et des personnages qui sans excès de profondeur, mais purée, ça envoie !



La route d’Azraël

Épisode 52
Collection Fantastique/SF/Aventure, n°170 (1986)

Ces quatre nouvelles, plus historiques et dégagées de la contrainte du héros récurrent, sont plus ambitieuses et, pour être honnête, plus à mon goût.

• Des éperviers sur l’Égypte se passe au Caire en 1021, sous le règne du calife fou al-Hakim. Un Espagnol s’infiltre en ville pour Se Venger de l’un des conseillers du souverain. Complots, trahisons, déguisement, pas moins de deux courtisanes vénéneuses, un palais truffé d’entrées secrètes, des émeutes, des rivalités entre les grades nubiens et turcs… Cette longue nouvelle empile les péripéties avec l’habituelle frénésie howardienne, mais sans hésiter à marier tout ça avec un petit topo historique pas mal fichu. L’ensemble a assez de souffle pour un roman trois fois plus long. Un très bon cru.

• Sur les traces de Bohémond se déroule pendant la Première croisade. Un chevalier franc découvre que l’empereur de Byzance veut la peau du comte Bohémond et que pour l’obtenir, il n’a pas hésité à s’allier aux Turcs. Parviendra-t-il à sauver le comte[3] ? Ça galope un peu partout, il y a des quiproquos sur l’identité des uns et des autres et une bonne grosse bataille finale. Rien de mémorable, mais sur le moment, on tourne les pages sans rechigner.

• Les portes de l’empire nous ramène en Égypte, dans l’atmosphère empoisonnée de la cour des derniers califes fatimides. Le grand vizir et un émir syrien se livrent un duel feutré, mais un chevalier anglais va faire irruption dans leurs machinations. Surprise : au lieu d’être l’habituel paquet de muscles doté d’un sale caractère, messire Giles Hobson est un couard obèse, doté d’une tendance irrépressible à faire des blagues au pire moment possible. Contrairement aux autres héros howardiens, il se laisse ballotter par les événements au lieu de se frayer un chemin à la force de son épée. Du coup, cette nouvelle a un petit côté « frais » assez plaisant.

• La route d’Azraël nous ramène vers l’aventure avec un grand A. Non, plus grand que ça. En gras. Et souligné. Racontée à la première personne par Korsu Malik, un musulman, elle a pour héros son ami le chevalier franc Éric de Cogan. Celui-ci tente de sauver sa bien-aimée, promise à un harem sultanesque. Korsu est un poil plus réfléchi que le croisé, mais à eux deux, ils ne craignent personne… ou presque. C’est mouvementé, au point où à un moment donné, j’ai arrêté de suivre qui ils étripaient, mais la bataille finale vaut son pesant de besants – avec un deus ex machina si merveilleusement décalé qu’on a envie d’applaudir.

À choisir entre les deux recueils, si vous avez la chance de les trouver, prenez Cormac FitzGeoffrey si vous avez des envies d’ultraviolence reposante, et La route d’Azraël si vous cherchez quelque chose d’un peu plus varié et surtout de plus travaillé.


[1]Rendons à Howard un poil de vraisemblance historique : avec un CV à peine moins agité, Guy de Lusignan a réussi à devenir roi de Jérusalem.
[2]L’emploi d’ami du héros de pulp est pénible et dangereux.
[3]Qui deviendra bientôt Bohémond d’Antioche, cité byzantine reprise aux Turcs que ledit Bohémond omettra soigneusement de rendre à l’empereur. Comme quoi, celui-ci n’avait pas entièrement tort de ce méfier…

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