Vampire: The Masquerade (5th Edition)


Vampire, le retour du fils de la vengeance 2. Bon, j'ai bien évidemment connu Vampire à sa première édition. Des cendres aux cendres. Éveil. Le Succubus... Nous n'étions que des adolescents, aussi il se pourrait que certaines thématiques du jeu nous soient passées des kilomètres au-dessus de la tête, je dis pas. La Bête, le pouvoir sclérosé, l'Humanité... Mazette, nous n'étions pas là pour ça. On cherchait la bonne combo entre Puissance et Célérité. J'ai le souvenir distinct du Conteur qui débute sa chronique avec la découverte d'un cadavre dans une allée. Des flics s'approchent, alors de peur d'être accusé, j'avais fait usage de ma télékinésie pour soulever le macchabée dans les airs, hors de portée de la police. Vous imaginez bien que la flaque de sang au sol et le sang qui continuait de goutter du cadavre en suspension au-dessus de la scène ont tout de suite mis la table à une vraie ambiance gothique torturée. O tempora, o mores... Mais bref, j'ai une relation nostalgique avec Vampire. À la fac, j'ai découvert la vraie manière de maîtriser Vampire avec la V2 : c'était dark, c'était torturé... et on mettait tout en Puissance et Célérité. J'ai écouté du Type O Negative, j'ai participé à des soirées de la Camarilla et puis je me suis lassé. La V3 m'est tombée des mains. La version Requiem m'a pris à rebrousse-poil (mais j'ai encore Fall of the Camarilla et Damnation City dans ma ludothèque, deux incontournables, m'est avis) et l'encyclopédique V20 était un compilation absurde du meilleur comme du pire... Autant dire que je n'étais plus client depuis longtemps.

Pourtant, tout comme D&D5 a su me rabibocher avec mes amours d'antan, cette 5e édition de Vampire a réussi un tour de force : jouer sur ma nostalgie tout en proposant une vraie mise à jour du jeu. Je ne vais bien sûr par lister toutes les avancées mais me contenter de vous parler de ce qui m'a marqué à la lecture.

Déjà, on se débarrasse du Sabbat et des plus vieux vampires. Tout ce petit monde a été appelé à l'autre bout du monde par des forces obscures afin de manigancer un énième complot ou de précipiter la fameuse fin du monde. On se retrouve donc avec des villes à reconquérir. La nature ayant horreur du vide, la Camarilla et les Anarchs ont tôt fait de prendre position pour dominer ces domaines, mais ça offre du territoire de jeu. Le Prince du coin s'est barré du jour au lendemain : que faites-vous ? La ville où vous étiez tricards depuis toujours à cause du Sabbat est à nouveau accessible : y allez-vous ? Il reste de vieux vampires pour cadenasser le pouvoir local, mais ils ne sont pas hors de portée des PJ comme l'était autrefois le Prince de la ville. Ça permet de mettre la pédale douce sur le côté t'es-une-merde-de-13e-génération sans pour autant mettre les PJ directement en charge de la ville. Ça offre de belles opportunités de jeu.

J'apprécie la dynamique entre la Camarilla conservatrice et les Anarchs qui n'en peuvent plus de ce système merdique. Certes, c'est un peu puéril cet éternel aspect Fuck you I won't do what your tell me mais ça me parle. Car Vampire a toujours été un jeu sur la rébellion de l'adolescent. Alors exit les croquemitaines du Sabbat, je suis content de retrouver la bonne vieille dichotomie entre les Anciens et les Modernes. C'est simple à comprendre, ça laisse place à plusieurs nuances, on s'imagine aisément incarner un vampire qui veut faire exploser la Camarilla de l'intérieur ou bien un Anarch désabusé qui se rend compte que le Grand Soir n'arrivera jamais. C'est évocateur. Bien sûr, l'opposition Camarilla/Anarch c'est pour le conflit intérieur, mais il faut également un adversaire extérieur. C'est là aussi le retour d'un grand classique : l'Inquisition. Mais pas juste la version catholique avec la Vraie Foi : on vit dans un monde hyperconnecté, donc certaines agences de renseignement savent que les vampires existent. En lisant le livre de base, on a l'impression que ces gens mènent une guerre d'éradication contre les caïnites (ce qui permet une fois de plus pour le MJ d'expliquer pourquoi l'échiquier politique local est soudainement ouvert aux PJ : quand l'antre d'un primogène de la ville est nettoyée avec une bombe au phosphore, le jeu des chaises musicales reprend) mais ça laisse la porte ouverte pour plein de situations intéressantes : on imagine bien que certains vampires renseignent les agences, que d'autres jouent les agents doubles, qu'il est possible d'échapper à la Mort Finale en rendant des services aux agences... Il y a moyen de piocher allègrement dans le champ de l'espionnage, ça ajoute de nombreuses possibilités de jeu. 

On peut désormais incarner des vampires des 14, 15 ou même 16e générations. Par contre, c'est pas la joie : leur sang n'est pas très puissant, et ils sont si mal aimés des autres vampires qu'ils mènent des vie de pariahs. J'avoue que je ne suis pas super emballé par cette opportunité. La 5e édition fait des efforts pour rendre le cadre politique de la ville plus accessible aux PJ, mais en créant des sous-vampires ont en revient à la même proposition de jeu écrasante. Ceci dit, ça fera de superbes PNJ et obligera les joueurs à faire des choix moraux intéressants s'ils croisent ce genre de vampires au sang dilué. Et j'imagine que certains joueurs adoreront raconter des histoires de survie à la marge de la société vampirique. Il en faut pour tous les goûts.

Gros changement dans les règles : le sang n'est plus géré avec une réserve de points. Non, désormais la Fain du vampire est symbolisé par des dés (aucun s'il est plein et jusqu'à 5 dés s'il est affamé) qui remplacent les dés classiques que vous jetez quand vous lancez (Caractéristique + Compétence) d10. Et ces dés de Faim risquent de fortement teinter vos réussites ou échecs en fonction de la situation. On peut réussir son action mais ne pas pouvoir s'empêcher de se nourrir au passage, ce qui peut compliquer les choses. Ces dés de Faim s'accumulent en faisant des actions qui nécessitent du sang. À chaque fois qu'on se réveille, qu'on utilise certains pouvoirs ou qu'on essaye de soigner ses blessures, on jette un d10 : si on obtient entre 1 et 5, notre Fain augmente de 1. C'est vraiment une bonne mécanique, la Faim se fait ainsi vraiment sentir car il faut apprendre à en gérer les risques. C'est moins des comptes d'épicier comme avant, la Faim est physiquement représentée par ses dés dont on craint l'accumulation.

Autre nouveauté : le sang qu'on boit des humains ou des animaux apportent des bonus. Un +1 dans une compétence, un niveau dans un pouvoir... Ça ne dure que jusqu'au moment où vous allez à nouveau vous nourrir, mais ça pousse mécaniquement à un truc génial : à se comporter vraiment comme un prédateur. Ainsi si on veut obtenir un certain type de bonus, on doit identifier une proie qui soit dans le bon état d'esprit (car le bonus dépend de son humeur) ou alors se débrouiller pour modifier les états d'âme de la sa proie en la manipulant. Il y a des outils pour décrire le sang bu, ça donne vraiment du caractère au vitae, ce qui manquait jusque là alors que le fait de sa délecter du sang était supposé être le plaisir le plus intégral de la vie de vampire. Là encore, c'est une belle trouvaille qui participe à l'ambiance recherchée. Au passage, lors de la création de personnage, on choisit également son style de prédation (le séducteur, celui qui se nourrit que sur des proies endormies, celui qui a absolument besoin du consentement de sa victime...) ce qui a un impact sur sa feuille de perso.

Les illustrations sont variées, mais il y en a des kitsch (à l'image de cette couverture). Les photos sont belles, mais j'ai plus de mal avec les illustrations qui montrent à quoi ressemblent les 7 clans de base. Elles ne sont pas vilaines, mais il y a un manque criant de diversité corporelle. Pourtant ils ont fait des efforts sur la parité et la couleur de peau, mais on reste dans des corps anorexiques et très jeunes. Je comprends que certains clans sont obsédés avec ces critères, mais boudiou que ça manque de vampire normcore avec un corps de papa. Je sais, le vampirisme est avant tout une esthétique, on les imagine habillés à la mode, donc avec des corps surnaturels, mais dans le livre de base il y a une surabondance de vampires sexualisées ou du moins glamourisés. Je sais que ça va sonner Vieux Con, mais Tim Bradstreet réussissait à les rendre sexy sans les sexualiser. Enfin, c'est mon impression, je suis peut-être à côté de la plaque. Les illustrations peuvent montrer comment les humains les perçoivent quand ils sont sous l'emprise de leurs pouvoirs mentaux. Mais bon, une vampire avec de la brioche ça ne ferait pas de mal. À moins qu'on explique que le sang vampirique fasse fondre les graisses, hein. En même temps, il y a aussi une personne âgée photographiée en gros plan, il doit y avoir un équilibre si on compare toutes les illustrations.

Mais sinon, c'est le même bon vieux Vampire des familles : on jette sa brouette de d10 comme dans le temps. Sauf que désormais le seuil de difficulté ne fait pas varier le nombre à obtenir sur les d10 puisque c'est désormais fixe : il faut obtenir 6 et plus, point barre. Par contre, il faut obtenir un certain nombre de succès pour réussir. Dans les excellents conseils qui sont donnés, on en a un qui prime : les bastons ne devraient pas durer plus de trois rounds. Il en aura fallu, du temps, pour qu'on formalise enfin cette idée. Pif paf pouf, et on passe à autre chose. Vampire n'est pas un jeu d'attrition, donc on se fait plaisir en claquant du sang pour gonfler ses biscoteaux et en activant Célérité, mais on ne va pas non plus y passer la soirée. La création de personnage introduit également un outil incontournable des JdR qui mettent la politique et l'influence au centre du jeu : une carte relationnelle.

Au final, c'est le changement dans la continuité. Je suis constamment dans du déjà-lu avec mes bons vieux clans stéréotypés, mon organisation politique d'antan, les pouvoirs qui n'ont pas changé et tout ce qui fait le charme du jeu. Mais il y a suffisamment d'apports plus modernes pour me donner l'impression que Vampire ne s'est certes pas réinventé mais qu'il a été joliment pimpé. Ça correspond vraiment à ma manière de maîtriser, je suis bien équipé par ce livre de base pour replonger dans mes vieilles lubies sans pour autant avoir l'impression que le bouquin sente la boule à mites. Je n'ai qu'une seule envie : me laisser tenter. La victime est si belle, et le crime est si gai. J'ai été assez convaincu par cette nouvelle édition pour l'acheter en papier et même acheter plusieurs suppléments de la gamme afin de continuer cette étrange voyage entre nostalgie et contemporanéité ludique.

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