Le gnome rouge, de Frank Belknap Long (1946)

Épisode 51

 

Numéro 86 de la collection SF/Fantastique/Aventure (1983)

 

 

Le Gnome rouge est un recueil de nouvelles fantastiques avec des pointes de SF ici et là, écrites par F.B. Long à la fin des années 30 ou dans la première moitié des années 40.




Comme nous l’avons vu dans un précédent billet, Long a appartenu au premier cercle des disciples de Lovecraft, mais il a continué sa carrière après la mort de son ami. Comme Robert Bloch, et plus vite que lui, Long s’est dégagé de l’ombre encombrante de l’homme de Providence. On sent encore un peu sa présence par moments, mais Long s’est débarrassé des réflexes lovecraftiens qui subsistent chez de nombreux autres disciples (les références aux livres maudits, les noms de Grands anciens semés comme de petits cailloux, etc.)

 

Neuf nouvelles se partagent les 185 pages de recueil. Elles sont accompagnées d’une préface qui, hélas, se limite à un résumé enthousiaste… des Chiens de Tindalos. Décidément, il est difficile d’y échapper ! La traduction de Jacques Parsons est dans son jus, plutôt agréable, mais pas d’une grande modernité non plus (elle date probablement de la première moitié des années 1970, la première édition française du Gnome rouge, chez Marabout, étant de 1975).

 

Ces bases posées, en route pour la revue de détail :

 

• La mort surgie des eaux se passe dans une Amérique centrale bien poisseuse, et exploite le thème extrêmement classique de l’indigène qui se venge des Blancs qui lui ont fait du tort. Pas désagréable à lire, elle ne passerait probablement pas le barrage des sensitivity readers modernes.

 

• Le recenseur est une histoire d’univers parallèle où un brave type voit débarquer chez lui un agent du recensement… étrange. C’est l’une des deux plus science-fictives du lot, mais le héros et sa fiancée morflent tellement qu’on peut presque la caser dans l’horreur.

 

• La sangsue de l’océan nous parle d’un navire coincé dans un lagon occupé par un tas de bave tentaculaire qui a une idée précise de ce qu’il faut faire des marins : un déjeuner. Elle se lit agréablement, rentre sans la moindre difficulté dans la case de l’oncle Cthulhu, mais elle aurait aussi pu être rédigée par W.H. Hogdson bien avant la Première guerre mondiale, ou par Jean Ray du fond de ses brumes gantoises. Même et surtout quand il s’agit de monstres, il existe des évolutions parallèles.

 

• Cela va être votre tour raconte les malheurs d’un pauvre type qui n’arrive pas à garder ses emplois successifs, parce qu’il a tendance à oublier un détail important, toujours le même. Cette toute petite histoire remplit agréablement sa dizaine de pages, n’est absolument pas mémorable, et aurait sans doute gagné à être plus ramassée. Fredric Brown en aurait fait une short story de deux pages percutante à souhait.

 

• Une faille dans le temps s’ouvre sur un mystère amusant : les tortues des Galapagos d’un zoo commencent à reculer dans le temps. Elles ne seront pas les seules, et bien entendu, les effets du rajeunissement s’avèrent beaucoup plus dévastateurs chez les humains que chez des reptiles archicentenaires. L’ensemble louche un peu vers Charles Fort, ce qui, pour moi, est un compliment.

 

• Les réfugiés nous parle d’une jolie Irlandaise fraîchement installée aux États-Unis. Malheureusement pour son fiancé, elle a été accompagnée par une colonie de lutins farceurs. Il s’ensuit un petit bizutage surnaturel ni très sérieux, ni très méchant, et c’est parfait comme ça. Trente ans après et alors que j’avais oublié toutes les autres nouvelles, celle-ci m’est revenue lorsque je l’ai commencée. Comme quoi, elle a un petit quelque chose…

 

• Un pas dans mon jardin est sans doute l’histoire la plus ambitieuse du recueil. Elle commence par une scène de banlieue américaine, où l’on suit un gentil mari qui rentre dans sa jolie maison pour y retrouver sa charmante épouse… et bien sûr, tout dérape. Je n’en dirai pas plus, elle mérite qu’on ne la déflore pas, sachez juste que c’est probablement la meilleure histoire du recueil.

 

• Les vilaines bêtes nous fait découvrir une ferme perdue au milieu d’une grande forêt hostile. Ce drame à trois personnages met en scène un adolescent légèrement retardé, sa mère et sa peau de vache de beau-père. Sans oublier les grenouilles, et les créatures qui rôdent dans les bois. Il n’y manque que le nom de « Dunwich » jeté au détour d’une phrase pour qu’on puisse l’annexer au mythe de Cthulhu, mais si on me disait qu’elle se passe dans le Maine du côté de Castle Rock, je dirai tout autant « amen ». Après tout, personne ne demande ses papiers au grand méchant loup.

 

• Le gnome rouge conclut le recueil par une seconde note de science-fiction. Desservie par un enrobage d’explications scientifiques qui ont beaucoup vieilli, elle présente un « premier contact » un brin étrange…

 

Au bout du compte, mon palmarès personnel se compose d’Un pas dans mon jardin, assez loin devant les autres, et des Réfugiés parce qu’en plus d’être amusante, elle a un petit quelque chose. La troisième place revient à Une faille dans le tempsLa sangsue de l’océan et Les vilaines bêtes sont également très bien, dans la catégorie « Cthulhu n’y est pas mais vous pouvez l’y mettre sans effort ». Le reste est un peu plus convenu ou a moins bien vieilli.

 

L’un de mes objectifs en exhumant ce recueil de ma pile à lire était de voir comment Long s’en tirait une fois sorti de l’ombre de Lovecraft. La réponse est « pas trop mal, mais sans génie ». Alors certes, on ne peut pas se nourrir exclusivement de textes géniaux, mais je ne vous le conseille que si vous aimez les récits d’horreur ou de SF vintage. Si c’est le cas, sachez qu’on trouve des exemplaires du Gnome rouge pour une poignée d’euros sur eBay ou Amazon, pour ne rien dire des bouquinistes.

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