Dune, aventures dans l'Imperium

 


C'est assez étonnant de voir comment une œuvre pourtant classique de la geekosphère a pu être aussi peu présente dans le milieu rôliste – jusqu’à peu, elle n’a connu qu’une seule adaptation dont la durée de vie a été éclaire (le seul livre de base sur un tirage limité). La sortie très attendue de la nouvelle adaptation filmique signée Villeneuve (miam!) a remis bon ordre dans tout ça et c'est donc enfin que voici un jdr Dune qui débarque sur nos étals. C'est chez Modidphius que ça se passe et ce n'est pas une surprise, tant l'éditeur grand-breton s'est goinfré de licences AAA - Conan, Fallout, Star Trek, Dishonored, Skyrim, et d’autres encore, n'en jetez plus la coupe est pleine!

Avantage certain sur la forme: le bouquin est superbe. Une très belle maquette ni trop chargée ni trop aérée, des illustrations magnifiques (la direction artistique est encore une fois formidable de cohérence), un bouquin parfaitement organisé. Rajoutons que la traduction d'Arkhane Asylum, qui nous fait le plaisir de localiser ça chez nous, est solide comme à son habitude. Cerise sur le gâteau des collectionneurs, la VF a même droit à trois versions collector comme pour la VO, aux couleurs des maisons Atréides, Harkonnen et Corrino respectivement. Le tout est sorti directement en boutique sans passer par un financement participatif: le succès de ce bouquin devait couler de source, il faut croire.

Trêve de diversions, direction l’an 10191 P.G. Et pour y arriver, il faut commencer par un historique lourd comme le baron Harkonnen et aussi utile qu'un radiateur sur Arrakis. Ça n'occupe heureusement qu'une place raisonnable. Pour le reste, on retrouve une bonne synthèse de la technologie, des factions (CHOM, Guilde, Bene Gesserit...) et un tour d'horizon des planètes de l’Imperium. Dune se taille sans surprise la part du lion, mais on reste sur le terrain bien balisé par les bouquins - c'est à dire, tout en ellipses (Cédric en parle très bien dans son billet Relire Dune 23 ans plus tard).


Quelques éléments de vie courante transpirent bien des descriptions, notamment celles d'Arrakeen et Carthag, mais c'est très peu en vérité. Cela dit, c'était assez attendu pour une adaptation de ce type et donc pas spécialement décevant. Le premier supplément sera entièrement centré sur Arrakis, espérons qu'il améliore les choses de ce côté. Il reste de toutes façons bien assez d'informations pour en tirer un peu de matière ludique, qu'elle fusse une simple description d'ambiance ou un bout d’intrigue.

Ce qui nous amène à l’approche retenue par le jeu : les PJ appartiennent tous à une maison noble dont ils assurent les intérêts. Les règles démarrent d’ailleurs non pas par la création de personnage, mais par la création de cette maison. C’est court mais assez complet et fournit plusieurs ficelles: le groupe n’a plus qu’à tirer celles qui l’intéresse. A titre personnel, j’aurais bien aimé un peu plus d’éléments pour faire vivre et évoluer cette maison, mais il parait que ça viendra dans un prochain supplément.

Pour le reste, revoilà le 2d20 habituel de l'éditeur. Enfin habituel... rappelons en effet qu'il ne s'agit pas d'un système générique et que chacune de ses itérations est adaptée à son contexte. En l'occurrence, il s'éloigne fort à propos des lourdeurs mécaniques des premières versions (celles, quasiment identiques pour le coup, de Mutant Chronicles 3 et de Conan Adventures in an Age Undreamed of). On jette donc toujours 2d20, parfois plus, chaque résultat en dessous d'un seuil donne une réussite - parfois deux. Les réussites au-delà de la difficulté permettent de déclencher tout un tas d’effets supplémentaires, techniques ou narratifs.

Dans cette version, le seuil se calcul en addition l’une des cinq compétences (très larges et qu'il est possible de spécialiser) à, non pas une caractéristique, mais un principe moral – parmi cinq (devoir, domination, foi, justice et vérité). Les plus élevées sont associées à une maxime, qui, si elle est applicable, octroie des bonus supplémentaires.
Les joueurs auront ainsi tendance à faire agir leur personnage en accord avec leurs principes les plus fort. Comme toutes les approches ne sont pas adaptées à toutes les situations, le travail de groupe et une bonne répartition des rôles est naturellement encouragé.

Cette base simple est complétée par un système de conflits qui permet de résoudre les duels, les escarmouches, les batailles mais aussi l'espionnage et les intrigues politiques. Chaque conflit, quelque soit sa nature, est cartographié en quelques grandes zones (physique, comme l'endroit où se déroule un combat, ou imaginaire comme une cartographie des relations pour les intrigues). Chaque zone est par ailleurs associée à un ou des atouts. La gestion du conflit consiste à se déplacer entre les zones, réduire les atouts avant de pouvoir finalement s’attaquer plus frontalement son objectif une fois les obstacles qui l’entoure mises à mal.

Cela semble assez complexe écrit comme ça, mais il n'en est rien, bien au contraire. La partie technique est bien cadrée mais très simple et favorise les aspects narratifs : le jeu ne se veut absolument pas simulationniste. Il n’est ainsi pas question de découper l’action en round de précisément X secondes ni de savoir combien de mètres votre personnage peut précisément parcourir dans ce lapse de temps. Un seul jet suffit pour savoir si vous arrivez à attirer les gardes dans telle zone ; l’atout défensif correspondant est déplacé dans une autre zone laissant le champ libre au reste du groupe. Ou encore pour savoir si vous arrivez à répandre telle rumeur qui vous donneront un avantage lors de négociations avec une maison rivale.

Dans le même ordre d’idée, les PJ n’ont pas de points de vie. Les modalités d'une défaite (mort? capture?) sont dictées par l'histoire uniquement. C'est un compromis très intéressant et très équilibré entre système traditionnel et système narratif pur.

Côté MJ, on trouve quelques conseils trop génériques pour m'intéresser, d'autres spécifiques aux thématiques de Dune beaucoup plus intéressants. Le catalogue de PNJ qui suit est mi-figue mi-raisin. Les personnages issus de la saga sont peu intéressants - ils sont bien trop haut niveau pour être exploitables dans une campagne. Tout le contraire des archétypes qui suivent. En plus de fournir des caractéristiques techniques prêtes à l'emploi, chaque archétype s’accompagne de trois exemples de personnages et même d’une accroche scénaristique.

Cerise sur un gâteau déjà bien gros, le livre de base propose un scénario d'introduction. Il est d'assez bonne facture, même s'il ramène inévitablement les PJ sur Arrakis et met en scène tout aussi inévitablement plusieurs classiques de l'univers (Fremens, épice, ver...).

Alors certes, le bouquin n'est pas parfait. L'historique et les write-up de personnages issus de la saga font du fan service plus que du jdr, là où il aurait été plus intéressant de combler les trous (nombreux) des bouquins sur la vie courante dans cet univers. Mais il y a néanmoins déjà beaucoup de matière, le tout servi par un système un peu déroutant mais très intéressant. C'est plus qu'il n'en faut pour réveiller le dormeur ludique qui sommeille en moi !

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