Les Collabos, de Laurent Joly

Ce recueil a commencé sa vie comme une série d’articles parus dans Charlie Hebdo. Copieusement retravaillés pour leur publication en volume, les voici à l’usage de ceux qui, comme moi, ne lisaient plus Charlie au début des années 2010.


Son ambition est de proposer une galerie de portraits de treize personnages, qui ont tous, à un moment donné, joué un rôle important dans la collaboration parisienne. N’étant pas aux affaires, contrairement à sa cousine de Vichy, les divers clans parisiens s’offrent le luxe d’être plus virulents pendant l’essentiel de la guerre.

 

Nos antihéros sont des seconds couteaux, des hommes et des femmes de l’ombre qui évoluent derrière les premiers rôles que sont Doriot, Déat, Bucard et quelques autres. Vu d’ici, ce sont des fantoches qui allient « grotesque » et « nuisible » dans des dosages variables. C’est tout à fait juste… et cela ressort de la sagesse rétroactive, celle qui ne peut pas avoir tort parce qu’elle connaît la fin du film. Entre 40 et 44, ces gens jouissaient tous d’une miette de pouvoir, pouvaient se persuader et persuader autrui qu’ils étaient dans le camp du vainqueur, et certains étaient authentiquement dangereux.

 

Le lecteur découvrira donc, avec plus ou moins de gourmandise :

 

• un journaliste raté débauché par la Propagandastaffel pour animer les émissions en français de la radio allemande ;

• l’un de ses confrères de la presse écrite qui sortira de la guerre à peu près intact et fera une très belle carrière dans la presse d’après-guerre ;

• un troisième journaliste, éditorialiste à Radio-Paris, « pas assez intelligent pour être cynique » ;

• une avocate communiste qui poussera l’engagement jusqu’à aller travailler comme ouvrière en Allemagne ;

• un respectable cardinal académicien saisi sur le tard par le virus de l’anticommunisme ;

• un antisémite fanatique qui, ayant récupéré un bureau à l’Institut des Questions Juives, s’y accroche jusqu’au bout ;

• une ancienne cagoularde qui connaissait pas mal de secrets gênants et finira dans un canal, probablement assassinée par d’autres collaborateurs ;

• un ex-garagiste et ancien conseiller municipal parisien reconverti dans la politique et les escroqueries, que tout le monde surnomme « Topaze » tellement il est pagnolesque ;

• le très besogneux responsable de la production intellectuelle d’un micro-parti collaborationniste ;

• un authentique marquis septuagénaire et royaliste, arrivé à la collaboration par antisémitisme ;

• un autre aristocrate, plus jeune, qui sera l’un des tortionnaires de la Milice avant de se réfugier au Canada, où les catholiques du Québec se mobiliseront en sa faveur et lui éviteront l’extradition ;

• le capitaine de l’équipe de France de football de la première Coupe du Monde, reconverti dans le banditisme tendance Bony-Lafont ;

• un très riche entrepreneur devenu le bras droit de Doriot, qui survivra à son « frère » et continuera à faire du business après la guerre.


Chaque chapitre est accompagné d'une ou deux pages thématiques qui permettent de se fixer les idées sur tel ou tel parti, telle ou telle institution. Ce petit bouquin vite lu et sans prétention ramène notre bon ami « Ramirez, police française » à sa vraie place : celle d’une caricature, efficace mais réductrice.


Cinquante nuances d'Adolpho

Il conduit aussi à s’interroger sur la variété des parcours et des choix qui a conduit tout ce monde à la mort, à la prison ou à l’indignité nationale. Certains entrent dans la guerre farcis d’idées dangereuses, antisémitisme, antiparlementarisme et ainsi de suite. Parmi les autres, il y a des ambitieux, des cupides, des aigris… mais aussi des gens qui semblent avoir juste « raté un virage » sans même s’en apercevoir. 



L’époque incite à méditer sur ce genre de parcours, hélas.

 

Éditions Tallandier, Collection Texto, 8,50 €

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