Je l'avoue, c'est d'abord la couverture et la reliure de l'ouvrage qui m'ont accroché l'oeil en librairie. Car j'aime les livres aussi comme des objets, et quitte à passer quelques dizaines d'heures en leur compagnie, autant apprécier le poids dans les mains, la texture du papier, la mise en page du texte.
J'avais entendu parler de l'auteur, RF Kuang, notamment chez Gromovar, mais sans que cela me donne une féroce envie de m'y plonger. Malgré un gros a priori favorable car contrairement à ce que pense Bob, avoir d'avantage de voix en Fantasy et SF que celles des vieux mâles blancs occidentaux ne peut que faire du bien au genre. Qui plus est, le thème de la colonisation qui semble traverser son oeuvre me touche pour une raison que je ne saurais expliquer rationnellement. A ma connaissance, personne dans ma famille ne l'a subie, ni n'en a profité plus qu'en étant simplement né du côté des colonisateurs.
Enfin, la période victorienne, le thème du pouvoir du langage et de la traduction, les souvenirs plaisants de ma lecture de Jonathan Strange & Mr Norrell, la ville d'Oxford qu'on trouvait déjà chez Philip Pullman, et l'espoir de trouver quelque chose des Lois de l'attration (Ellis) ou le Maître des illusions (Tartt), des drames se situant en milieu universitaire, ont achevé de me convaincre de m'y plonger.
Dans une version parallèle de notre univers, l'institut Babel, dont la tour domine les collèges d'Oxford, entraîne des linguistes à écrire dans des barres d'argent des paires de mots dans différentes langues, dont le sens est proche mais différent. Cet écart de sens permet à la barre d'avoir un effet magique proche de l'usage des mots utilisés : guérir plus rapidement, assurer la sécurité d'un attelage, faciliter l'écoulement des eaux usées, ... C'est grâce à cette magie et à sa maîtrise des langues que l'empire britannique domine le monde. Afin de continuer à soutenir son développement, elle cherche à maîtriser de nouvelles langues, et accueille au sein de l'institut Babel des orphelins venant de ses colonies.
Le personnage principal, Robin Swift, est l'un de ceux-là : recueilli enfant en Chine, éduqué par un tuteur sévère dans l'isolement de la campagne anglaise, il arrive à Oxford seul, avec pour tout bagage une culture académique classique et comme seul héritage de son origine la maîtrise du chinois. Il y découvre l'attrait des études universitaires, la chaleur d'un groupe d'amis comme lui déracinés, et la vie de privilèges des rois du campus que sont les linguistes de l'institut. Il comprend rapidement cependant que Babel a pour but le maintien et l'extension du pouvoir des classes dominantes, à la fois au Royaume-uni où l'institut nourrit la transformation industrielle, et à l'étranger où il sert les intérêts commerciaux et expansionnistes anglais. (Le thème des guerres de l'opium, déjà le sujet des premiers romans de l'autrice, refait surface). Mais dans le même temps, les études académiques, la camaraderie, les privilèges dont il jouit forment un monde dont il ne souhaite pas s'extraire. Cette polarité, la relation d'amour et d'haine que l'on peut entretenir, cette dépendance envers quelque chose qui vous détruit (tiens, une analogie avec l'opium) constitue la tension centrale du récit.
L'idée astucieuse du pouvoir des traductions et de l'étymologie (le "système de magie" cher à tout praticien du Fantasy Bingo), le thème de la colonisation et de l'impérialisme, le décor fascinant d'une Oxford décadente, la tension centrale qui nourrit le récit, tout aurait dû faire de Babel une lecture passionnante. Cependant, elle n'a été qu'agréable - ce qui est déjà beaucoup - et ce pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, la fadeur et l'indécision du personnage principal, même si elle est expliquée par le récit et que son indécision sert sa construction, n'incitent pas à l'empathie. Ensuite, un rapport curieux au temps et aux événements, trop rapidement décrits pour que l'on s'immerge, et trop détaillés pour que l'intrigue progresse à un rythme satisfaisant : Babel est trop court pour un cycle de type "école de sorcellerie", et trop long pour ce qu'il veut raconter. Les personnages secondaires - même le cercle d'amis de Robin - peinent à prendre une véritable ampleur, et aucun n'atteint, par exemple, la présence du groupe de condisciples dans le Maître des illusions que je citais plus haut.
Enfin, je n'ai pas été conquis par le style lui-même. "Avant d’avoir terminé leur thé, ils étaient tous quasi amoureux les uns des autres – pas encore tout à fait, car le véritable amour demande du temps et des souvenirs, mais ils en étaient aussi près que pouvait les conduire une première impression." Comme le montre cet extrait qui va un peu trop vite en besogne, trop souvent, on se prend à regretter que l'auteur n'ait pas choisi d'appliquer d'avantage le "Show, Don't tell". A cela s'ajoute un curieux usage des notes de page : tantôt nodules pseudo-historiques, tantôt commentaires du narrateur omniscient, tantôt éléments de background qui auraient gagnés à être exposés par des personnages dans des dialogues.
Moins visiblement roman prétexte que Poppy wars, si j'en crois la critique de Gromovar citée plus haut, Babel m'a quand même donné l'impression d'une idée brillante et d'un thème puissant moyennement exécutés.
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