Rosewood Abbey


Dès que Montgascon est paru dans Casus Belli en 2022, des rôlistes avisés m'ont rapidement pointé qu'il existait un autre jeu dérivé de Brindlewood Bay qui se passait lui aussi dans un abbaye. Mais je me suis longtemps refusé à lire ce Rosewood Abbey car je ne voulais pas comparer mon jeu à celui écrit par Kalum. Et puis, la curiosité l'emportant, je me suis dit qu'il y avait un moyen de contourner ce blocage : je n'avais qu'à publier Montgascon pour me le sortir de la tête et ainsi pouvoir enfin lire Rosewood Abbey sans scrupule.

Ne vous attendez pas à une comparaison page par page : je donne mon ressenti global sur le jeu, c'est pas une étude comparée.

Déjà, c'est un petit livre au format poche qui se glisse très bien partout et peut donc se lire aisément dans le bus et le métro, et ça c'est une énorme qualité. Les 196 pages s'ouvrent toutefois sur une énorme arnaque : un replay de 88 pages qui n'est rien de moins qu'une retranscription d'une partie en ligne organisée par l'auteur. Je me suis dit in petto "Ça se pose là niveau gonflage artificiel du nombre de pages". C'est presque la moitié du bouquin, quoi, merde. Je me suis senti floué l'espace d'un instant... puis j'ai repensé à un truc : à chaque fois que j'ai acheté un jeu PbtA, j'ai systématiquement enchaîné ma lecture en allant voir un actual play sur YouTube histoire de constater comment ça marche en vrai autour d'une table, fusse-t-elle virtuelle. Donc ce replay en ouverture, loin d'être inutile, est en fait une version officielle de mes habitudes d'appropriation d'un jeu. Qui plus est, la restitution de cette partie de Rosewood Abbey semble très fidèle à ce qui s'est passé à la table de jeu : je me suis rapidement pris au jeu de ce compte-rendu. C'est souvent chiant à lire, les CR roleplay d'un barde semi-elfe niveau 3, mais là c'est pas ça : c'est une partie typique, avec des questions parfois un peu à côté de la plaque, des rires, le MJ qui fait son travail de facilitateur, des PJ qui apportent de l'eau au moulin narratif de la table de jeu... Je suis sorti de cette introduction en ayant une solide idée de l'atmosphère voulu par l'auteur car je l'ai vu/lu en action en train de maîtriser son jeu. C'est pas rien, ça donne des tas d'infos implicites, c'est tout sauf un gadget superflu.

Ensuite viennent les règles. Et c'est là que je me suis rendu compte assez rapidement que Kalum est un peu bête, comme garçon. Il aurait pu prendre simplement le texte de Brindlewood Bay et faire un ctrl+F pour remplacer les petites vieilles du décor original par ses moines à la Umberto Eco. Mais non, Kalum s'est emmerdé à écrire des règles légèrement différentes pour son univers. Ainsi il n'y pas de Conspiration (que moi j'ai simplement renommé en Hérésie) en fil rouge mais un système pour générer des rumeurs qui vont finir par provoquer la venue d'une délégation pour canoniser un PNJ ou bien l'excommunier. Il s'est vraiment creusé le ciboulot pour proposer bien plus qu'un reskin religieux.

Au chapitre des petits détails que je lui aurais bien piqué, il y a les manœuvres de jour et de nuit, qui dans le livre de base, permettent de dire fictionnellement que ce qui se passe la nuit est plus risquée que le jour, évidemment. Et bien Kalum fait un distinguo différent et très élégant : il y la manœuvre pieuse (qui regroupe tout ce qui passe dans l'enceinte de l'abbaye) et la manœuvre profane (qui  gère tout ce qui se déroule à l'extérieur). Je trouve ça très malin, comme approche. Niveau manœuvre individuelle, il a opté pour des saints patrons qui collent plus aux héros télévisuels de Brindlewood Bay que mes occupations dans Montgascon, mais j'avoue que j'aime bien l'idée de sélectionner un saint tutélaire, ça te met dans l'ambiance.

Au final, malgré la similitude du pitch, je n'ai pas l'impression que les deux jeux se marchent sur les pieds. Déjà, Rosewood Abbey est plus masculin par défaut là où j'ai opté pour une approche plus féminine. C'est loin d'être purement cosmétique, à mes yeux. Ensuite, à ma grande surprise, Rosewood Abbey ne propose pas de résoudre des meurtres mais plutôt des mystères. Et la différence est importante. Dans le jeu de Kalum, il y a un aspect très intellectuel : les moines sont des érudits avant tout.  Ça se voit dans les trois mystères proposés dans le livre. Alors qu'à Montgascon, j'ai plus mis l'accent sur la vie quotidienne et l'aspect réconfortant de la  sororité. Les meurtres sont des prétextes pour découvrir le décor. Je pense que mes cinq enquêtes et l'Hérésie par défaut de Montgascon offrent une expérience très différente de Rosewood Abbey. Pas mieux, pas pire : différente. J'ai l'impression que le jeu de Kalum est plus sérieux là où, comme d'habitude, je ne peux m'empêcher de ricaner. Autre truc : ses moines viennent de pays différents alors que je décris des sœurs qui viennent toutes du Dauphiné, ça a une influence sur l'atmosphère.

Bref, c'est un jeu totalement différent et à la fois très semblable. Moi je suis resté très collé au jeu de base, Kalum propose lui un jeu qui a été bien plus mûri que le mien. C'est vraiment marrant, ça démontre bien qu'un même pitch peut donner des jeux ayant des personnalités très variées. Je ne peux que vous conseiller d'acheter Rosewood Abbey, c'est un jeu épatant.

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