Mansions of Madness, vol. 1 & Dead Light and Other Dark Turns

Je traite ces deux suppléments ensemble parce qu’ils proposent grosso modo la même chose : des scénarios de longueur comparable, à la qualité assez homogène, s’adressant au même public évoluant entre le « plus vraiment débutant » et le « vieux pro couturé de cicatrices ».

 

 

Mansions of Madness, volume I : Behind Closed Doors

 

1990, nous étions jeunes et beaux
et les suppléments étaient moches

Mansions of Madness… attendez voir, ça me dit quelque chose. Ah, voilà. Un supplément publié par Chaosium en 1990. Cinq scénarios sur le thème des maisons mal fréquentées, réédités sous le même titre en 2007, accompagnés d’un sixième scénario.

 

Treize ans plus tard, voici donc un troisième Mansions of Madness. Ce n’est pas une réédition des deux précédents, juste un recyclage partiel. Ce recueil de 224 pages à couverture rigide contient cinq scénarios : deux reprises largement réécrites de son prédécesseur et trois inédits.

 


Mansions of Madness est positionné dans la gamme comme un supplément « intermédiaire », autrement dit comme un pont entre la boîte d’initiation, éventuellement complétée de livrets comme Doors to Darkness et Gateways to Terror, et le « vrai » Appel de Cthulhu. Je trouve l’intention intéressante, même si après toutes ces années à bouffer du calmar non-euclidien, je ne suis plus tellement en position de juger de sa pertinence ou de son efficacité.

 

Comme c’est de L’Appel de Cthulhu, ces demeures de l’épouvante ne sont pas exactement des maisons « hantées », en tout cas par des fantômes victoriens bien convenables. En revanche, elles sont très mal famées. Tout l’enjeu de ces scénarios est de comprendre par qui ou quoi sans y laisser sa peau, et éventuellement d’y mettre bon ordre.

 

• Mister Corbitt, de Shawn DeWolfe[1]est le plus explicitement orienté « débutants » des cinq. Un M. Bernard Corbitt, qui n’a rien à voir avec l’occupant de la Maison Corbitt de sinistre mémoire, vit dans le quartier des investigateurs. Ces derniers le considèrent comme un voisin sympathique, jusqu’au jour où ce brave homme distrait gaffe et leur montre un versant différent de son existence…

 

• The Crack’d and Croock’d Manse est un classique signé Mark Morrison. L’horreur tapie dans le manoir Fitzgerald fonctionne très bien, mais elle a comme principal défaut d’être… brutale. Cette maison-ci ne gradue pas ses effets, elle est inquiétante ou meurtrière. Par ailleurs, le scénario tout entier a un petit côté piège à cons, dans la mesure où les investigateurs sont explicitement priés par leur employeur de ne pas endommager la maison. Hélas, le résultat optimal de leurs investigations est un tas de gravats couverts de bave. Oups.


En 2020, c'est le contraire

• Écrit par Christopher Lackey, The Code est le premier inédit du recueil, et il est très amusant à lire. J’ai été joueur de grandeur-nature pendant des années. Une histoire où un savant modérément cinglé convoque ses amis pour leur faire part de la « découverte du siècle », avant de disparaître en les laissant se démerder comme ils peuvent avec une situation qui se dégrade d’heure en heure, ça me parle forcément. La mise en scène des manifestations paranormales est à la fois bien cadrée et amusante. Le seul risque est de voir un Gardien des arcanes trop ambitieux s’enfoncer dans des complications insolubles, mais il y a des conseils pour… hum, disons « les gérer », ou plus exactement les surcompliquer jusqu’au moment où elles cessent d’être importantes.

 

• The House of Memphis, de Gavin Inglis, nous parle des suites de la disparition du Grand Memphis, le célèbre magicien. Trois imbéciles qui essayaient de cambrioler son manoir se sont retrouvés à la morgue dans des circonstances pas claires. Les investigateurs sont engagés pour essayer de comprendre ce qui a bien pu se produire. L’idée d’un scénario dans le milieu des magiciens de music-hall est excellente, et le scénario est un vrai régal à lire. Il bénéficie à la fois d’une bonne intrigue, d’un casting assez riche et d’effets gradués qui permettent de faire monter l’ambiance. Il est également un peu plus modulaire que les précédents : deux employeurs au choix et une paire de fins possibles selon l’efficacité du groupe. Ah, et il propose une description de « magicien » comme profession jouable. Pourquoi pas ? Le magicien qui démasque les faux sorciers est une tradition qui remonte au XIXesiècle. Et puis, Lovecraft a travaillé pour Houdini.

 

• The Nintheenth Hole, de Stuart Boon, nous emmène en Écosse. Un riche Américain y a pris sa retraite avec l’ambition de restaurer un manoir et un terrain de golf. Vous allez rire, il a disparu au cours d’une tournée d’inspection du chantier du golf. Devinez qui va devoir arpenter les greens à sa recherche ? Comme The Code, ce scénario louche un peu plus vers la science étrange que vers l’occultisme, mais c’est loin d’être un défaut. En revanche, il m’a moins plu, sans doute parce qu’il fait la part un peu plus belle à l’exploration et qu’il utilise des monstres classiques du Mythe (dont un que je range dans la boîte « à n’utiliser sous aucun prétexte à moins d’axer tout le scénario autour », et qui est réduit ici au rang de monstre errant).

 

Au bout du compte, on a là cinq scénarios de qualité, tous susceptibles de donner une ou deux séances amusantes, et sans doute pas trop difficiles à prendre en main par un Gardien peu expérimenté. Ceci posé, on ne va pas se mentir. Lues ou jouées dans la continuité, ces cinq histoires ont un petit côté répétitif, tendance « les Stéphane Plaza de l’horrible ».

 

En effet, tous suivent une formule du genre :

 

• Briefing : le propriétaire de la maison Quicraint a disparu, retrouvez-le. 
• Développement 1 : une petite enquête où les investigateurs interagissent avec des PNJ typés.

• Développement 2 : la visite d’une grande baraque où se produisent des manifestations étranges et où des aides de jeu conduisent à la Révélation.

• Révélation : un truc du genre « Ah mince, la maison a mangé son propriétaire. »

• Conclusion : découverte de la solution, fuite éperdue, explosion ou incendie, au choix.

 

En revanche, utilisés comme interlude avec des scénarios urbains, exotiques ou ce que vous voulez, ils devraient remarquablement bien fonctionner.

 

À titre personnel, je donne la palme à The House of Memphis suivi de The Code. J’ai aussi une petite faiblesse pour Crack’d and Croock’d Manse, mais c’est la faiblesse du tueur en série pour une très belle tronçonneuse : ce scénario est atrocement dangereux.

 

Comme ce Mansion of Madness porte « volume I » en sous-titre, il ne nous reste plus qu’à attendre sereinement le volume II et peut-être le volume III : il reste quatre scénarios à recycler du Mansions of Madness de 2007, et la gamme contient quelques autres scénarios sur le sujet qui mériteraient d’être réédités, à commencer par l’antique Maison hantée de Keith Herber, dont je conserve un souvenir ému depuis la fin des années 80…

 

 

Un recueil de scénarios de 224 pages, disponible sur le site de Chaosium. Prix : environ 17 € en version .pdf et 36 € en version papier. La version papier inclut le .pdf.

 

À noter : la version .pdf est accompagnée d’un pack d’aides de jeu et d’un fichier contenant six prétirés prêts à l’emploi. Ils sont plaisants à lire, même si leur adéquation aux scénarios n’est pas flagrante. (Une femme pilote d’avion qui participe à des shows aériens ? Vous êtes sûrs qu’elle a une bonne raison d’aller fourrer son nez dans la hantise de la maison Quicraint ?)

 

 

Dead Light and Other Dark Turn

 

Dead Light a commencé sa vie en 2015, sous la forme d’un livret de 32 pages ne contenant que le scénario éponyme. Il a été réédité fin 2019 accompagné d’un second scénario, Saturnine Chalice, l’ensemble formant un livret de 88 pages, 60 de texte et le reste d’aides de jeu/index/bios des auteurs[2]/pubs). Contrairement à la majorité de la gamme, c’est du noir et blanc à couverture souple, avec un papier épais, mais pas glacé. Mais bon, qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, comme dit le gars qui prend l’autoroute à contresens avec 3 g dans le sang.

 

Justement, la thématique de ce mini-recueil est « un voyage interrompu ». Les investigateurs vont d’un point A à un point B pour des raisons sans importance. Sur le chemin, ils se retrouvent embringués dans une histoire qui va leur compliquer la vie si tout va bien, et l’abréger dans le cas contraire. L’avantage de ce type d’approche, c’est qu’« à la recherche d’un raccourci que jamais ils ne trouvèrent », ça colle à absolument tout le monde… à condition d’arriver à faire tenir le « tout le monde » en question dans les confins étroits d’une voiture.

 

• Dead Light, d’Alan Blight. « Il pleut. Il fait nuit. Vous roulez dans une épaisse forêt. Soudain, au milieu de la route, une inconnue se précipite vers votre voiture en hurlant. Que faites-vous ? » Ce genre d’accroche a le mérite de l’efficacité ! Elle débouche sur un petit scénario bien carré, avec quelques cadavres, un petit bout d’intrigue policière, et sans doute un huis clos dans une station-service assiégée par un monstre incompréhensible à souhait. C’est tout simple, sans fioritures, ça donne juste assez de mou aux joueurs et au Gardien pour qu’on ne soit pas dans un scénario d’initiation complètement balisé… Bref, c’est du très bon travail.

 

• Saturnine Chalice, de Brian Sanderson, nous fait le coup de la panne. « Oups, plus d’essence. Heureusement, nous ne sommes pas très loin de cette grande maison sur la colline où ils pourront sûrement nous laisser appeler une dépanneuse. » Ouais, bien sûr… Les investigateurs arrivent chez des gens charmants et désireux d’aider, et puis ça dérape. Doucement d’abord, puis… puis, j’ai trouvé certaines scènes authentiquement flippantes, notamment celle du dîner. Ce scénario cthulhise un « authentique » rituel magique, ce qui permettra aux personnages d’utiliser enfin cette fichue compétence d’Occultisme qui ne sert pas à grand-chose d’habitude. (Mais bien sûr, ce truc qui fait « coin coin » et qui a un bec n’est pas un canard, c’est un ornithorynque non-euclidien déguisé.) La narration fait aussi appel à un peu de décodage, exercice que je déteste mais qui peut être résolu par des jets d’Idée.

 

Pour les joueurs, trouver la bonne résolution sera compliqué, alors que tout les oriente vers une mauvaise solution facile, tentante et à portée de main. Pour moi, cela limite son utilité comme scénario pour débutants, surtout qu’il présente quelques occasions très tentantes pour un Gardien tenté par l’abus de pouvoir, une maladie de jeunesse commune à beaucoup de meneurs de jeu. Cela n’enlève rien à ses qualités, attention, il faudra juste le manier en veillant à ce que les joueurs s’amusent.

 

• Six Scenarios Seeds, en moyenne d’une colonne chacune, complètent la pagination utile, avant de passer aux aides de jeu. Sous ce format très réduit, certains de ces mini-synopsis s’offrent le luxe de présenter quelques informations historiques du type « de quand date le premier motel ? » Comme toujours avec ce genre d’inspis, une ou deux m’ont donné à penser, et le reste m’a laissé froid.

 

La quatrième de couverture spécifie que ces scénarios sont utilisables à la fois avec la boîte d’initiation et les règles de Call of Cthulhu proprement dites. Personnellement, je pense que Dead Light remplit mieux cet objectif queSaturnine Chalice, plus ouvert. En revanche, Saturnine Chalice a davantage de profondeur et plus de potentiel. Quoi qu’il en soit, ce sont deux bons scénarios, efficaces et susceptibles de donner chacun une ou deux bonnes séances.

 

 

Un recueil de scénarios de 88 pages, disponible sur le site de Chaosium. Prix : environ 5,95 € en version .pdf et 12,90 € en version papier. La version papier inclut le .pdf. 

 

À noter : le fichier .pdf des aides de jeu contient aussi six personnages prétirés prêts à l’emploi.



[1]Tous ont également bénéficié de l’intervention de la directrice éditoriale de la gamme, Lynne Hardy.

[2]Où l’on découvre avec tristesse qu’Alan Blight, l’auteur de Dead Light, nous a quittés en 2017.

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