La Clé des Nuages


Dystopia est un petit éditeur qui se lance dans le jdr avec deux productions. Un lecteur vous a déjà parlé de la première ici même, il me revient de vous parler de la seconde, La Clé des nuages, "un jeu de rôle symboliste et poétique pour deux personnes" comme le dit crânement le sous-titre. Apparemment un peu moins ambitieux en termes de production que Bois Dormant, la Clé des nuages est un jeu sans MJ exclusivement centré sur la narration qui est loin d’être sans intérêt. 

Conditions de test, comme on dit : critique réalisée à partir d’un PDF gracieusement fournit par l’éditeur.

L'une des joueuses incarne le Mage, être singulier engagé dans une quête symbolique qui l'amène à explorer de mystérieuses ruines. L'autre joueuse est l'Image. Elle a pour rôle de décrire les ruines et les obstacles que rencontre le Mage. Le jeu ne propose aucune mécanique ludique, ses règles régulant exclusivement la narration.

Pour démarrer la partie, le Mage choisit sa quête, un talisman qui représente cette dernière et un artefact qui représente sa magie. L'Image détermine de son côté deux clés, des symboles tels qu'une forme ou un animal qui reviendront de manière récurrente dans le récit pour donner une cohérence à celui-ci.

La partie se déroule ensuite en trois temps répétés pour chaque salle ou secteur visité des ruines. Le Mage commence par décrire ce qu'il imagine trouver. L'Image décrit ce qu'il y trouve effectivement, ce qui peut être aussi proche ou aussi éloigné de ce qu’en attendait le Mage. Elle y ajoute une énigme ou un obstacle. Enfin, le Mage décrit comment il surmonte cet obstacle. Il n'y a pas de limite ou contrainte à cette description. Il ne s'agit donc pas de donner une explication strictement mécanique (tel que « j'utilise mes pouvoirs de lévitation pour surmonter l'éboulement ») mais comment, en affrontant cette adversité, il avance dans sa quête personnelle.

Pour aider les joueuses dans cette approche, l'exégèse se mêle étroitement au jeu lui-même. Dans le texte déjà, l'auteur explicitant divers choix de conceptions amenant à proposer quelques variantes. Dans la partie elle-même aussi puisque celle-ci se clôture par un debriefing qui permet à chacun d'expliciter ce qui doit l'être et identifier ce qui a fonctionné ou non.
Cela m’amène à deux commentaires. Le premier, c'est que ce mélange semble imposé par la forme singulière du jeu, très clairement inhabituelle pour les rôlistes de la vielle école qui n'auraient pas encore trempés dans ce type de production. Le second, c'est que ce mélange est rendu nécessaire aussi du fait de l'objectif même du jeu où la forme doit justement se lier au fond pour favoriser le symbolisme et la poésie mentionnées en sous-titre.
Au-delà des règles mêmes, l'ouvrage explore ainsi divers conseils, des règles (c’est-à-dire des formes narratives, vous l'aurez compris) optionnelles et des thématiques alternatives. L'une d'elle, la Clé des Songes, fait l'objet d'un développement plus important et figure tête-bêche de l'ouvrage. Elle ouvre le jeu à trois joueurs, deux rêveurs et le Songe, et explore non plus une quête mystique mais onirique.

Quoiqu'il en soit, ce travail explicatif montre à quel point les quelques principes du jeu aussi simples soient-ils sont l'aboutissement d'un travail d'affinage fin et précis. Le résultat est sans aucun doute parfaitement fonctionnel, même s'il ne s'adresse pas à tous les joueurs. Probablement pas aux joueurs d'ailleurs, la Clé des nuages tenant plus de l'expérience narrative que d'un jeu à proprement parler – ce qui est loin d’être une critique.

Le page du jeu sur le site de l'éditeur

Un exemple de partie en audio:


 

PS Hors sujet : je suis moi-même un joueur de vieille école un poil hermétique (et je le déplore) aux jeux narratifs. L’explicitation du travail de création sur la Clé des nuages dans une forme simple et efficace m’a ouvert les yeux sur plusieurs points de game design qui m’étaient jusqu’ici restés impénétrables. J’aurais probablement du mal à mettre en place une partie (comme je le dis plus haut, il ne s’adresse pas à tout le monde), mais j’ai trouvé le résultat néanmoins passionnant. Il nourrira sans aucun doute mes réflexions futures.

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