Legend in the Mist


Legend in the Mist (LitM) est un jeu de rôles medfan dit rustique qui est pour le moment uniquement disponible en PDF (la version papier devrait être livrée en juin 2026) qui prend la forme de deux livres : un pour les joueuses et l'autre pour le MJ. Comme le mot rustique l'indique, on n'est pas là pour raconter des histoires de high fantasy mais bien pour jouer des héros campagnards qui vivent des enjeux locaux. Ça ne veut pas dire que les PJ ne peuvent pas être destinés à réaliser de grandes choses, mais la proposition ludique est assez terre à terre : on incarne des bougres qui vont faire dans le pittoresque. L'accent est mis sur les voyages, la communauté, le danger de proximité. À l'instar des deux couvertures, l'ambiance est chaleureuse et chatoyante.

Le jeu débute par un tutoriel prenant la forme d'une BD de 50 pages qui nous présente les bases du système de jeu à l'occasion d'une histoire simple. La mécanique centrale est la suivante : votre personnage et le décor sont décrit sous la forme de traits (tags) qui sont des adjectifs ou de courts descriptifs. Ainsi, on n'a pas 18/100 en Force, dans ce jeu, on a un trait qui s'intitule "Gros biscoteaux", par exemple. Et si le MJ dit que ce soir, c'est une nuit sans lune, et ben paf, la scène possède un trait "Nuit sans lune" qui va pouvoir être utilisé positivement pour se cacher mais qui va devenir un obstacle si on veut voir ce qui se passe. Et quand un personnage tente une action risquée, et bien on fait la somme des traits positifs, à laquelle on retranche les traits négatifs. Le résultat de cette petite opération est appelé Pouvoir (Power). Ainsi, si mon personnage veut négocier avec une marchand, je regarde ses traits "Maquignon" et "Beau parleur" (donc 1 + 1) et ceux du marchand comme "Précautionneux" (donc -1), ce qui me donne un Pouvoir de 1 + 1 - 1 = 1. Il convient ensuite de jeter et additionner 2d6 et d'ajouter le score de Pouvoir au jet. Si on obtient 10+ ou bien un double 6 aux dés, c'est une réussite. Si on obtient 7 à 9, c'est un "oui, mais...". Et si on obtient un 6- ou bien un double 1 aux dés, c'est un échec. Bien sûr, ça c'est la mécanique de base, et il existe des options plus complexes pour acheter des effets en cas de réussite sur son jet. On peut ainsi créer un nouveau trait, diminuer/augmenter un statut temporaire, poser une question au MJ... Mais l'essentiel du moteur de jeu repose sur cette base extrêmement simple : on compte ses traits, on jette 2d6 et on fait une simple addition. Votre personnage n'est défini par aucun autre score chiffré : pas de point de vie, pas de modificateur d'initiative, pas de points d'armure. Même les armes n'offrent pas de différence mécanique.

Je sais ce que vous vous dites "C'est bien sympa, les jeux avec des traits, mais j'ai toujours du mal à en imaginer". Et bien LitM a pensé à vous : il propose des clichés (tropes) medfan prêts-à-jouer. Il suffit de choisir quatre regroupements de traits appelés thèmes pour créer son alter ego. Et pour faciliter encore plus la création de personnage, il y a déjà 30 grands classiques du JdR qui sont proposés : dans la catégorie des villageois, on nous propose le forgeron suant, le poivrot et la commère. Dans la section des combattants on retrouve l'aspirant écuyer, le bretteur et le mercenaire... Si vous voulez sortir des sentiers battus, il vous suffit d'amalgamer les thèmes proposés pour vous customiser un perso en quelques minutes. Et si vous n'aimez pas ces traits pré-mâchés, le jeu vous propose tout une série de questions pour vous aider à créer vos propres thèmes. Dernier détail : le groupe des PJ, appelé Communauté (Fellowship), possède lui aussi des traits que tous les personnages peuvent utiliser.

Autre détail : chaque thème se caractérise également par une quête (Quest) qui est un simple objectif qui motive le PJ ainsi qu'un défaut (weakness) que le MJ va pouvoir se faire un plaisir d'invoquer pour mettre le personnage dans la panade. Mais en activant ce point faible, le MJ va également permettre au PJ de progresser. Les thèmes (ces regroupements de traits) sont loin d'être seulement des descriptifs physiques : ils peuvent montrer votre dévotion envers quelqu'un ou un idéal, définir votre passé, évoquer votre race/espèce/communauté, expliquer votre personnalité, lister vos compétences, mettre de l'avant un devoir qui vous anime, démontrer votre influence sociale ou politique, mettre en scène un pouvoir étrange que vous maîtrisez, décrire un artefact mystérieux que vous possédez... Il est également possible de déterminer que vous êtes une créature surnaturelle, que vous êtes destiné à quelque chose de grandiose, que vous maîtrisez la magie ou que vous êtes accompagné par un compagnon magique, humain ou animal... Ce système de traits classés par thème est vraiment très flexible et ne nécessite aucun calcul. Il n'y a pas de pré-requis, on bricole son personnage en sélectionnant des traits qui définissent simplement notre alter ego.
 
Et donc le drama et le combat se gèrent de la même manière. Soit le MJ décrit les conséquences logiques d'une action évidente ("Tu tentes de t'envoler du pigeonnier ? Ok, tu fais donc une chute spectaculaire..."), soit il demande un simple jet de Pouvoir pour obtenir une réponse Oui/Oui, mais.../Non, soit il propose un jet de Pouvoir plus détaillé où la joueuse va pouvoir créer des nouveaux traits temporaires à son adversaire pour finir par la vaincre... Cette mécanique unifiée ne connaît pas de sous-système, tout suit la même logique. On ne perd pas de points de vie, on se voit infliger un trait "longue estafilade 4". Bon, là je reste en surface, il existe des règles complémentaires qui permettent de bloquer temporairement un trait pour obtenir un bonus de +3 en Pouvoir (il sera possible de débloquer ce trait en se reposant, évidemment). Il existe aussi des règles de Puissance (Might) pour gérer les gros écarts entre un PJ et son adversaire (genre si votre gardien de troupeau se retrouve face à un dragon, il faut un peu que ça se sente mécaniquement. Car j'ai oublié de dire un truc : le MJ ne jette jamais les dés.

Le premier livre se termine sur la description plus détaillée de huit formes de magie, car c'est toujours un élément délicat des univers medfan. Mais là encore, les principes déclinés concernent la narration et la mise en scène de la magie, il n'est pas question de créer un sous-système pour lancer des sorts ou graver des runes. Tout se règle par des traits, comme le reste du jeu.

Le second livre est destiné au MJ et donne des tas de conseils pour mener des scénarios avec LitM et organiser une campagne. En particulier, il liste des tas de lieux iconiques des univers medfan en indiquant à chaque fois différents challenges auxquels les PJ peuvent être confrontés et bien sûr en donnant les profils des monstres ou PNJ qu'il est possible d'y rencontrer. On trouve également des règles pour jouer en solo ou bien pour se passer du MJ en utilisant un Oracle pour générer des péripéties. Mais l'essentiel de la logique de ce livre est de s'appuyer sur les quêtes définies dans les thèmes des PJ pour tout simplement explorer les propositions d'intrigues que les joueuses ont imaginé lors de la création de personnage.

Au final, LitM est une version très simplifiée des jeux Propulsés par l'Apocalypse (PbtA). La joueuse ne se retrouve pas dès le débuts avec des Moves étranges à gérer : comme tout passe par des traits, c'est limpide. Pas de score à calculer, une mécanique de jeu unifiée : c'est une sorte de Graal pour moi qui déteste les mécanique complexes. La grande flexibilité de LitM fait qu'il est aisé d'adapter à la volée n'importe quel univers medfan de sa ludothèque puisqu'il suffit d'adopter les bons traits pour retranscrire l'ambiance voulue. C'est très libérateur. Autre truc qui différencie LitM des autres jeux PbtA traditionnels : en cas de résultats 6-, le jeu ne nous incite pas à frapper en dessous de la ceinture du PJ. C'est peut-être moi qui interprétait mal les règles d'Urban Shadows ou Dungeon World, par exemple, mais nos parties étaient souvent une longue succession d'échecs qui entraînait des catastrophes. C'était parfois comique, mais ça finissait par lasser ma table de jeu qui avait peur de lancer les dés tellement les chances étaient grandes que tout foire. Là, le jeu met moins l'accent sur la progression par l'échec (fail forward). Les conséquences existent bel et bien, mais ils ont mis la pédale douce sur cet aspect de la narration.

Après, on ne peut pas être surpris que j'apprécie LitM puisque j'avais adopté une approche similaire dans Wastburg en mettant les traits au centre du jeu et en faisant tout pour éliminer les scores chiffrés. Mais ce jeu va bien plus loin que ce que j'avais articulé dans Wastburg, c'est une forme vraiment aboutie d'une logique narrative qui s'affranchie de plein de scories simulo-comptables. Ici, pas d'exception à la règle : la logique mécanique devrait facilement être maîtrisée par les PJ dès la première séance. Il n'y a même pas une monnaie narrative ou des jetons de destin à gérer : tout commence et tout finit par des traits. Et on met tout ça en scène par la narration.

On ne va pas se le cacher : ce qui fait aussi le charme de LitM, c'est son ambiance rurale et rustique. C'était quelque chose que j'avais déjà apprécié dans Beyond the Wall, mais créer une communauté et imaginer ses environs, c'est éminemment inspirant. Il y a bien plus de tension narrative quand un mystère frappe le village qu'on a passé des heures à faire vivre via des PNJ savoureux. À la lecture de LitM, on a envie de faire vivre des aventures à des hobbits dans la Comté, on se prend à vouloir faire enfin jouer la campagne Pax Elfica, il se dégage de ce jeu un mélange réussi en le cozy et l'aventure. De la même manière qu'Abstract Dungeon m'a permis de faire jouer dans plein d'univers sans réapprendre à chaque fois une mécanique différente, LitM propose une logique qu'il est aisé d'adopter dans d'autres contextes. Il y a plusieurs jeux de ma ludothèque qui prennent la poussière car je n'ai pas le courage de me fader leurs règles absconses, mais je pense avoir trouvé un système assez universel pour adapter à la volée des univers que j'apprécie.

Et comme LitM est l'aboutissement des expériences de l'éditeur Son of Oak avec City of Mist, je vais devoir me pencher sur ce précédent jeu que j'avais vu passer mais sans véritablement m'y intéresser. L'ambiance Noir et mythologique est vraiment aux antipodes de la rusticité de LitM, je suis très curieux de voir d'où ils sont partis pour pondre un jeu pareil. En attendant la version papier de LitM, je suis curieux de leur décor "Hearts of Ravensdale" qui met en pratique tout ce qui est théorisé dans les deux livres de base. 

Pour vous donner une idée des mécaniques de base de LitM et de l'incroyable atmosphère graphique proposée par l'artiste Daniel Pinal à travers ses illustrations qui magnifient les idées du jeu, je ne peux que vous conseiller d'aller gratuitement télécharger la BD tutoriel de 50 pages sur DriveThruRPG : non seulement c'est une leçon de game design, mais vous saurez immédiatement si vous LitM est fait pour vous. Moi, je ronge mon frein en attendant la livraison de la version papier en juin et je me retiens fortement pour ne pas annoncer à mes joueurs de Star Trek Adventures qu'on va changer de règles en plein milieu de la campagne car je n'en peux plus des "Oui mais avec ce talent, tu jettes un 3e d20 si c'est un jet de défense".

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