J’ai un rapport ambigu
avec Trail of Cthulhu : j’ai
acheté le livre de base en VO, que j’ai trouvé fort beau et intéressant, mais
le système Gumshoe ne m’a pas emballé plus que ça à la lecture. Il y a
d’excellentes idées (comme le fait de pouvoir dépenser des points obtenus grâce
aux compétences pour obtenir des indices automatiquement, sans aléa), toutefois
je trouve ça encore trop compliqué pour pas grand-chose. Je ne doute pas que ça
tourne impeccablement à une table de jeu, mais ça ne me parle pas comme
système. Je n’ai donc jamais suivi la gamme, si ce n’est en lisant The Armitage Files, une sorte de
campagne Cthulhu en kit à la Ikéa dont la forme est extraordinaire. C’est un
ouvrage de JdR vraiment atypique, avec des PNJ adaptables qui peuvent devenir
des alliés ou des opposants en fonction des besoins du MJ. Une lecture
inspirante, vraiment.
En abordant Eternal Lies, j’avais envie de lire une
campagne classique pour Cthulhu. Je ne
cherchais pas une nouvelle façon d’organiser une histoire lovecraftienne mais
une belle exécution d’une recette bien connue. Et avec ces 400 pages, j’en ai
eu pour mon argent en matière de classicisme réalisé avec amour. L’action se
déroule en 1936, aux États-Unis, tandis qu’une riche héritière réunit les
investigateurs pour enquêter sur la vie de feu son père. Ce dernier était très
intéressé par l’occulte, disparaissait souvent sans s’expliquer, jusqu’à une
certaine nuit de 1924 où il a participé à quelque chose de suffisamment grave
pour en revenir tout chamboulé. Il n’a jamais voulu aborder ce qu’il a fait,
mais une chose est certaine : depuis cette nuit, il n’a plus été le même.
Maintenant qu’il est enterré, sa fille veut savoir ce par quoi son père est
passé. Et justement, depuis cette douzaine d’année, le survivant a reçu des
lettres de ce qui semble être un complice ou un compère. Ce témoin est encore
vivant, lui, et réside dans un asile (quand je vous dis que c’est classique),
où il va falloir lui tirer les vers du
nez, entre folie douce et médicamentation assommante. Évidemment, tout
ceci n’est que le déclencheur d’une vaste quête. Un danger rode. Des cultistes
sont sur la brèche. Quelque chose d’indicible attend que les astres soient à
nouveau alignés, comme de bien entendu.
Sans surprise, l’intrigue
se dévoile petit à petit, à coups d’indices qui poussent les investigateurs à
parcourir le monde pour affronter des dangers variés et exotiques. Je ne vais
pas vous spoiler, mais ils vont voir du pays. Et dans l’ordre de leur choix,
car les étapes sont indépendantes pour éviter le road railing trop apparent (alors que dans les faits, les passages sont
obligés, mais ça donne l’illusion du choix, ce qui n’est jamais mauvais). Et là
où Les Masques de Nyarlathotep
donnait l’impression d’être une répétition du schéma « On débarque dans un
pays, on trouve le culte local et on fait une descente en règle pile-poil (quel
hasard) quand ils sont en train d’invoquer un truc horrible », Eternal Lies est moins répétitif. Les
situations sont plus variées, on se retrouve avec des épisodes proposant une
belle palette de scènes. Aucune ne vous fera tomber en bas de votre chaise par
son approche innovante, mais vous n’aurez pas l’impression d’un copier/coller
avec juste un décor en carton-pâte qui change en arrière-plan.
Du coup, je le savais
un peu à l’avance, c’est si traditionnel, comme campagne, que sa lecture finit
par vous étouffer lentement. Parce que ça ne se lit pas comme un roman :
ce sont 400 pages de conseils pour interpréter les PNJ, pour relancer l’intérêt
des joueurs, pour tisser un fil rouge à travers vos descriptions des vêtements…
C’est une approche admirable. On ne se retrouve pas à pouvoir maîtriser sans
préparation, quand même, mais le MJ est accompagné à chaque étape. Les indices
incontournables sont identifiés. Chaque PNJ possède trois détails pour le typer
(il se lèche les lèvres, il parle avec un accent trainant du sud, il touche
toujours son interlocuteur avec son index…). Tout coule de source, on est
jamais perdu dans l’intrigue ou le déroulé des scènes. C’est une très belle
exécution. D'autant qu'en plus, il y a une bande-sonore qui est proposée pour ajouter à l'ambiance.
Donc, non, je ne vais
pas me précipiter pour maîtriser Eternal
Lies. Pourtant, elle a toutes les qualités du monde : bien pensée,
bien réalisée… C’est juste qu’elle arrive après les autres, bien après. Et
forcément, s’il y a un jeu qui (à mes yeux) provoque une impression de déjà-joué,
c’est bien Cthulhu. Reste que c’est un modèle du genre. Si je devais lancer une
campagne à grand déploiement, que ce soit en mode pulp ou avec une approche
plus « réaliste », ça serait assurément celle-ci. Car franchement, ça
se joue tout seul, c’est du velours. Faut juste avoir une tablée de joueurs n’ayant
jamais attaqué un culte à la dynamite ou bien qui n’est pas effrayée par une
certaine orthodoxie lovecraftienne. C’est après tout une question de contrat
social.
Par contre, le Basic à
papa et le Gumshoe ne me convenant pas, resterait la question du moteur de jeu.
Dread propose une mécanique que je
trouve diaboliquement efficace : une tour de Jenga. Quand un PJ tente un
truc risqué (donc pas un simple jet de TOC), il fait bouger une pièce. S’il
tente une action vraiment risqué, il manipule deux pièces. La règle est simple :
le joueur qui fait tomber la tour perd son personnage. Pour toujours. Donc plus
la partie avance, plus la tour est chancelante, et plus les risques sont
élevés. Pas de bablah ou de règle pour gérer le stress : la pression
existe, mais elle s’applique au joueur, qui peut perdre son personnage s’il ne
fait pas attention.
Au fait, les Masques, tu as fini de le faire jouer ?
RépondreSupprimerNous avons arrêté au Caire, hélas. J'espère bien reprendre un jour, toutefois.
SupprimerJe prends note en tous cas de cette campagne, au cas où je voudrais faire rejouer du Cthulhu classique...
RépondreSupprimerEt tu vois ça comment, Cédric, d'utiliser Jenga pendant toute une campagne ? Est-ce que mécaniquement il n'y a pas l'impossibilité de finir ?
RépondreSupprimerÇa fonctionne très bien en one-shot, le coup du "Ça tombe, tu perds ton perso". Évidemment, en campagne, c'est une autre histoire.
SupprimerOn pourrait y aller par gradation : la première fois que tu fais tomber la tour, ton perso glisse d'un cran dans la folie, par exemple. La deuxième fois, il s'approche dangereusement, ça ne sent pas bon. Et à la troisième, c'est la bonne : t'es hors-jeu.
Ou alors, la chute de la tour te met hors-jeu juste pour le reste de la session de jeu. C'est moins drastique, c'est quand même handicapant, mais ce n'est pas frustrant.
Ou alors les deux : t'es hors-jeu pour le reste de la session, mais à la troisième fois, c'est définitif.
Pas très fun comme conséquence de sortir un joueur de la partie, je trouve...
RépondreSupprimerL’horreur fonctionne quand même mieux quand le joueur a vraiment peur de perdre son perso.
SupprimerJe ne suis pas fan des parties de Cthulhu classiques où toute la table y passe parce qu’ils ont pénétré dans une tombe sans posséder LA pierre de protection dont ils ne savaient rien mais qui est indispensable pour survivre à la malédiction locale, mais d’un autre côté, si les joueurs ont une immunité face à la mort ou la folie, c’est difficile de mettre la pression, narrativement.
Et mécaniquement, la tour de Jenga ne tombe pas après une heure de jeu, mais après 30 à 45 mouvements de pièces, soit à vue de nez, 2 à 3h de jeu.
Ça veut dire que le joueur dont le personnage est mis hors-jeu est sans doute frustré de foirer si près du but, mais ce n’est pas non plus un coup de pute.
Un dernier point : les joueurs voient l'état de la tour. Ils savent qu'elle est de plus en plus poucrave. C'est _EUX_ qui décident de prendre des risques _quand même_.
SupprimerA partir de là, si leur perso crève, c'est qu'ils ont choisi de prendre trop de risque et se plaignent rarement. Bien au contraire, dans chaque partie j'ai un joueur qui a volontairement effondré la tour, sacrifiant son perso dans un instant de gloire pour acheter du temps aux autres.
Je suppose que c'est l'ineluctabilité de la chose qui me dérange...
RépondreSupprimerCette inéluctabilité est pourtant justement typiquement lovecraftienne ! :-)
SupprimerC'est la folie qui est inéluctable chez HP, pas la mort. Non, mais je veux pas m'étendre là-dessus, d'autant que Cédric ne nous a pas (encore) fait de critique sur Dread, mais j'avoue que les effets in-game de la mécanique choisie ne me plaisent pas a priori.
SupprimerJ'ai dis que tu perdais ton perso pour toujours, pas qu'il mourrait. Donc il peut quitter la campagne par désespoir, parce qu'il craque nerveusement, parce qu'il a trouvé une meilleure raison de vivre ou bien parce qu'il est handicapé...
SupprimerLe truc, c'est de ne faire tirer des pièces du Jenga que pour les actions risquées. Donc pas sur de la banale collecte d'info mais dans les situations tendues. Forcément, l'ambiance que ça induit n'est pas pulp.
Je n'en doute pas. La prochaine fois que tu viendras à Shanghai, tu me feras jouer à Dread, et je jugerais sur pièces (au sens propre comme au sens figuré ;-))
SupprimerRendez-vous est pris.
SupprimerPutain de site qui a bouffé mon commentaire...
RépondreSupprimerJe suis en train de faire jouer cette campagne avec Coc (je n'aime pas gumshoe). J'aime bien l'histoire, l'enquête bien poussée avec plein de fausse piste.
C'est la première fois que je fais jouer une campagne Pelgrane, j'ai été un peu surpris de la quantité de détails de cette campagne, c'est parfois vraiment sur décrit. Avec une écriture plus classique elle ne ferait pas 400p mais 150 ou 200 maximum. Certaines péripéties sont vraiment sur-développée ce qui les rends ridicule, par exemple les joueurs savent qu'un objet est stocké à un endroit, qd ils y arrivent le batiment a fermé des années avant, pour résoudre cet évènement sans importance et sans conséquences (en plus si les joueurs ne le récupèrent pas c'est un peu mort) ça leur prends 6 pages... en plus il y a un plan fourni au cas où les PJs veuillent attaquer un building fédéral (et vu le moment où ça arrive les PJs ne peuvent vraiment pas en être là) alors qu'il n'y a quasiment aucun plan dans tout le reste de l'acte.
Bref tous ces détails rendent la campagne très riche avec beaucoup de possibilités pour arriver aux informations, mais à cause de ça la préparation est vraiment très longue et laborieuse pour moi, j'ai pourtant une bonne mémoire pour ce genre de choses mais je ne crois pas avoir jamais passé autant de temps à chaque séance pour être prêt et que ça soit fluide. Et je ne vous parle même pas de la fin de l'acte 1 qui va être très compliqué vu le nombre de possibilités de voyage vous avez intérêt à finir l'acte 1 à la fin d'une séance (les joueurs ne peuvent pas faire ce choix avant la toute fin).
Malgré ça tout se passe bien, on devrait finir dimanche l'acte 1 (4e séance courte 14h-19h), j'ai 5 Pjs je n'aurais pas du accepter le 5e, trop d'enquête.
Ce passage avec la banque est effectivement symptomatique du luxe de détails dont souffre parfois cette campagne.
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