Dan Simmons, l'oeuvre en dents de scie...
Si, sur ce blog, nous avions aimé Drood et porté Terreur au pinnacle, d'autres livres du même auteur, écrits avant ou après, nous avaient laissé un sentiment mitigé. The Abominable allait-il faire partie des bons ou des mauvais Simmons ?
Tout laissait présager du meilleur, différents éléments plaçant ce roman dans la filiation de Terreur. La couverture, d'une part, mais aussi le contenu. Le livre commence par un prologue dans lequel Simmons raconte sa rencontre avec un vieil alpiniste, alors qu'il rassemble du matériel sur le Pôle Sud pour écrire un roman qui deviendra en fait Terreur. Celui-ci lui lègue ses cahiers, dans lesquels il a consigné l'histoire d'une expédition himalayenne clandestine en 1925. Le thème des expéditions himalayennes fait bien sûr écho aux explorations britanniques des Pôles et ici aussi, Simmons parvient avec brio à restituer l'esprit à la fois aventureux et chauvin des grands hommes de cet Empire.
L'artifice littéraire utilisé - car l'alpiniste n'existe évidemment pas - permet de raconter comment un trio d'alpiniste rejoint l'Everest en 1925, sur les traces de l'expédition disparue de Mallory et Irvine. Leur but est de retrouver les corps des himalayistes disparus, ainsi que de ceux d'une autre expédition, elle aussi officieuse, qui la suivait. Ce prétexte justifie aussi le choix de la narration à la première personne. Mais là où le narrateur de Drood avait du piquant, celui d'Abominable en manque cruellement : en 1925, le vieil alpiniste n'est encore qu'un bon américain élevé au grain, frais émoulus de Harvard et parti, son diplôme en poche, escalader les Alpes.
Là, il y rencontre un jeune guide de Chamonix et un britannique vétéran de la Grande Guerre, ancien compagnon de cordée de George Mallory, qui après l'annonce de la mort de son ancien camarade sur les flancs de l'Everest, décide de tenter l'ascension en style alpin sans autorisation officielle. A l'inverse du gros beauf américain mal dégrossi et ignare qu'est le narrateur, ses compagnons de cordée, et les deux improbables qui les rejoindront plus tard (une Lady anglaise vivant en Inde et son confident, indien diplômé de médecine d'Oxford), sont des purs Mary-Sue. Je veux bien admettre que l'époque ni le lieu (les sommets de plus de 8000m avec des outils qu'on qualifierait aujourd'hui de préhistoriques) n'étaient pas propices à la médiocrité, celle-ci étant rapidement punie d'une des formes inventives de mort que la montagne réserve. Mais là, Simmons pousse le bouchon un peu loin. Tous sont des parangons de leur discipline, et leur imagination comme leurs capacités vont notamment leur permettre d'inventer des techniques d'escalade qui ne verront en fait pas le jour avant plusieurs années, voir décennies.
Cet artifice pourrait être pardonné si l'intrigue était à la hauteur, mais même pour quelqu'un piqué d'histoire de l'alpinisme - ce que, malgré mon engouement du moment, je ne suis pas - le livre manque sérieusement de rythme. La première partie serait certainement utile à tout rôliste préparant, par exemple, une grande campagne de l'Appel de Cthulhu (Les Masques de Nyarlathothep ou Par-delà les Montagnes Hallucinées) : documentée, elle raconte la préparation d'une expédition himalayenne, en omettant peu de détails logistiques. La seconde partie est l'expédition proprement dite, de la plantation en Inde jusqu'au Col Nord. Aussi attachée aux détails que l'était la première, elle est la plus réussie, et décrit avec précision les conditions périlleuses de la survie à aussi haute altitude. Malheureusement, elle échoue, comme la première, à camper des personnages intéressants ou vraisemblables, et il faut vraiment avoir envie de lire des histoires de tentes soufflées par le vent, de bouteilles d'oxygène récalcitrantes, et de doigts de pied gelés pour tenir le choc. Par comparaison, le manga Ascension dont je parlais il y a peu parvient davantage et avec une plus grande économie de moyens, à susciter la fascination pour ces paysages hostiles et gelés. Enfin, la 3e partie est un improbable "survival" décrivant une course-poursuite avec un groupe armé pour retrouver le McGuffin que l'un des explorateurs disparus portait sur lui.
Au final, on ne peut que saluer - une fois de plus - l'effort de documentation de Dan Simmons. Mais quitte à lire des histoires de crampons et de crevasses, on lui préférera les histoires à l'eau de rose d'un bon Frison-Roche des familles. Ou se reporter sur de vrais récits d'aventures, comme Annapurna de Maurice Herzog.
déçu je suis, j'attendais en effet une "suite" à l'admirable terreur...
RépondreSupprimerMerci Philippe, je vais donc pouvoir faire l’impasse sur celui-là. C’est dommage, la couverture me faisait rêver.
RépondreSupprimerMais j’ai quand même acheté Flashback à cause de Gromovar.
Bon ben, je passe donc.
RépondreSupprimerMince, je ne vais pas me précipiter pour l'acheter. Quel dommage !
RépondreSupprimerHeureusement que j'ai lu le livre avant de lire cet article.
RépondreSupprimerJe constate l'effet mouton. On se prive d'un très beau livre parce que quelqu'un a décrété qu'il n'était pas digne d'être lu.
Consternant.
Bien d'accord avec vous.
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