Midnight


Oui, bon, c'était prévisible : ma lecture du Dungeons & Dragons Starter Set a évidemment éveillé en moi des velléités de remettre sérieusement le couvert avec D&D. Et ils sont pas bézef, les univers de Donj' qui ont su me plaire. Il n'y en a même que deux : Birthright et Midnight. Le premier est vraiment dans l'air du temps car c'est un peu le Trône de Fer en plus high fantasy. Mon esprit de contradiction m'incite donc à craquer pour le second. Il faut dire que j'ai acheté l'intégrale à vil prix il y a quelques années suite aux critiques de Philippe dans Casus et que je n'ai jamais sérieusement lu la gamme depuis.

Quand on veut résumer rapidos Midnight, on dit que c'est une version du Seigneur des Anneaux où Sauron a gagné. Ce n'est pas si abusif que ça car on a effectivement affaire à un continent fantasy lambda avec des nains, des elfes, des halfelins, des gnomes et des humains. Un beau jour, les dieux déchoient le plus maléfique d'entre eux, qui se retrouve en punition sur ce continent. Manque de bol, cette chute déséquilibre tout et prive cet univers de son lien mystique avec ses dieux. Le déchu, nommé Izrador (aka l'Ombre du Nord, alias "Je suis le Seigneur des Ténèbres"), fait alors ce que font ces entités maléfiques dès qu'on laisse un peu de mou sur leur laisse : dominer le monde. Et manque de bol, il gagne. Avec son armée d'orques et ses dragons malfaisants, il fout une raclée aux humains, extermine les halfelins et convainc les gnomes de bosser pour lui. Il ne reste plus que les elfes cachés dans leur immense forêt et les nains réfugiés sous terre pour que sa victoire soit total.

Et donc pour changer, les joueurs évoluent sur un continent occupé par la Mal. Des villages boueux où il est interdit de posséder une arme, ou pire, un livre. La magie y est interdite et passible du bûcher. Des patrouilles d'orques sillonnent ces territoires occupés où pour survivre, il ne faut pas hésiter à dénoncer son voisin aux légats, les prêtres qui révèrent Izrador et dirigent désormais tout ce petit monde. Oui, ça ressemble beaucoup à l'occupation allemande avec des épées magiques. On remplace le parachutiste anglais caché dans la sous-pente de la maison par un archer elfe. C'est Un village français avec des sortilèges. Il est aisé d'imaginer ce monde car il suffit de prendre n'importe quelle histoire de la Résistance et de lui donner un vernis fantasy pour avoir un scénario tout prêt. Enfin, pas n'importe quelle histoire, l'ambiance désespéré s'accommode mal d'un Papy fait de la résistance, par exemple. Car les personnages vont en baver. Il y a peu d'auberges accueillantes. Les morts ont la fâcheuse tendance à se relever depuis qu'ils n'ont plus accès aux plans divins. Tout se fait à base de troc car les pièces d'or n'ont plus vraiment leur utilité. C'est assez pesant, comme ambiance. Il faut savoir ne pas trop avoir la main lourde car sinon il est aisé de tomber dans le misérabilisme du "Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir (hoho)"

Car les joueurs sont là pour incarner des héros, des vrais, c'est-à-dire des types qui vont débarquer dans un village occupé et faire des trucs dangereux qui vont effrayer les péquenots du coin qui auront peur (avec raison) des représailles de l'Ombre. Ils ne doivent donc attendre aucune reconnaissance éternelle. Et il y a peu de chances qu'ils deviennent des héros immaculés, car à trop combattre l'Ombre, on devient l'Ombre. C'est donc une étrange proposition ludique à faire aux joueurs : vous allez en bavez, vous n'aurez aucune gratitude, tout le monde va vous trahir, je ne vais pas vous filer plein d'objets magiques. Et pour finir, le coup de grâce : vous ne vaincrez pas Izrador. Non, sérieusement : il est hors de question de terminer la campagne en cassant la gueule au Seigneur des Ténèbres. Vous ferez peut-être reculer son ost ténébreuse jusqu'à qu'elle rentre dans les terres du nord, mais elle reviendra. Dans 100 ans, dans 1 000 ans, mais elle reviendra.

Midnight a les qualités et les défauts de ces univers encyclopédiques : on peut y raconter des histoires très différentes en fonction de l'angle d'attaque que l'on choisit. Incarner des elfes luttant contre les incendies déclenchés par les orques. Raconter le baroud d'honneur d'un clan nain assiégé depuis trop longtemps. Narrer les tribulations d'une famille de gnomes qui fait mine de collaborer avec l'Ombre pour mieux aider la résistance. Incarner un de ces humains qui fait des choses horribles sans que l'Ombre en soi la vraie responsable. Montrer le destin tragique des halfelins qui meurent de faim des dans mines au nord. L'avantage, c'est que l'Ombre règne sur le monde depuis 100 ans, donc les peuplades se sont oubliées les unes les autres. Les routes commerciales ne sont plus entretenues, on a brûlé les cartes. Il est donc possible de débuter dans une petite cité humaine avec des intrigues très locales où il faut ménager la chèvre et le choux avec les envoyés de l'Ombre, saboter les installations orques ou protéger un vieux grimoire ayant échappé aux autodafés. Puis par la suite, il faut faire fuir les PJ et les faire voyager dans tout le continent pour leur montrer que la situation n'est pas identique partout.

Des choses que je n'aime pas ? Les règles. Elle étaient initialement prévues pour D&D3. Elles compensent la dureté du décor de jeu en offrant plus de puissance aux joueurs. Des voies héroïques avec des pouvoirs supplémentaires, des armes magiques encore plus magiques... Je trouve qu'il y a là une escalade technique et de pouvoir qui nuit au jeu. J'ai l'impression qu'on essaye de faire passer la pilule de l'ambiance défavorable aux PJ en leur octroyant des petits plaisirs. L'autre chose, c'est qu'en dehors d'une campagne (La Couronne de l'Ombre, que l'éditeur français a eu la bonne idée d'ajouter à la traduction du livre de base), il n'y a pas grand chose de tout prêt à jouer à se mettre sous la dent. Il existe pleins de suppléments de contexte et des scénarios autonomes, mais rien qui ne raconte une histoire plus vaste, un vrai arc narratif. Ce n'est pas dramatique, mais ça empêche les MJ feignants de se lancer.

Bref, un univers pour D&D qui permet de raconter des choses vraiment différentes de d'habitude. Et pour les gens comme moi qui font une allergie aux monstres débiles de D&D (ouais, un ours-chouette. Et remi-ours derrière), il est tout à fait possible de mettre de côté tout le folklore débile du donjonverse en ne gardant que des loups inquiétants, des morts-vivants plus intelligents que des zombies, des nuées de corbeaux... Les scénarios font appel à ces différentes nuances de gris que j'aime quand je lis du Philip Kerr. C'est clairement pas fait pour rejouer Inglourious Basterds avec des épées vorpales, c'est plus l'approche La Traversée de Paris. La proverbiale cinquième colonne. Mais en tuant ds orques, qui jouent ici le rôle de stormtroopers médiévaux.

Qui pis est, Black Book Editions brade actuellement le livre de base (de plus de 400 pages) pour 5 euros. Et le PDF est au même tarif. Une affaire.

Commentaires

  1. Ben voila, commandé non pas un mais deux exemplaires (un pour moi et un pour mon pote qui maitrise aussi).

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    1. Cool. Moi je vais proposer Midnight à ma tablée à la rentrée.

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