En fait, ce petit bouquin
renferme un cheval et deux alouettes. Le cheval, c’est My work is not yet done, une novella de 150 pages, et les deux
alouettes sont une paire de nouvelles d’une vingtaine de pages, I have a special plan for this world et The Nightmare Network.
Leur thématique commune est
d’être des Tales of Corporate Horror,
des récits d’horreur au bureau.
Pour évacuer les moins
encombrantes d’abord :
• The Nightmare Network est un récit court et bizarre dans lequel
nous suivons une entreprise sur une longue période, sans doute plusieurs siècles,
des tâtonnements de ses débuts à sa déliquescence finale en passant par une
phase où elle ressemble bougrement à un dieu – et pas à un dieu sympathique.
• I have a special plan for this world se déroule dans une grande
ville à moitié abandonnée, pleine de bâtiments en ruine, périodiquement envahie
par une brume jaune dans laquelle se cachent des assassins (ou pire). Dans le
cadre de l’inévitable plan de rénovation urbaine, une petite boîte sans intérêt
s’y installe. En l’espace de quelques semaines, tous ses managers sont victimes
de la brume et son p.-d.-g. annonce soudain un gigantesque plan d’expansion… La
chute n’est pas totalement convaincante, mais ce court texte dégouline
d’ambiance pour une version fantastique de Detroit… ou de D3.
Nous avons là deux nouvelles
bien sympathiques, mais si ce n’était que pour elles, j’hésiterais à vous
recommander le recueil. Sauf qu’il y a My
work is not yet done, qui est un chef-d’œuvre – un chef-d’œuvre de
méchanceté, mais un chef-d’œuvre quand même.
Donc, je vous présente Frank
Dominio, middle manager dans une
entreprise dont on ne saura jamais trop ce qu’elle fait. Obsessionnel et
psychorigide, il est sans doute compétent, mais il fait profil bas et ne veut
pas progresser dans sa hiérarchie. Ses lundis sont dévorés par d’interminables et
stériles réunions avec le reste des cadres moyens de son département et leur
manager commun. Un jour, Frank a une idée. Bonne ou mauvaise, peu importe. Mais
il fait l’erreur d’en parler au cours de l’une de ces réunions. En l’ouvrant,
il s’est exclu du groupe. Ses collègues et son chef entreprennent de le pousser
dehors, et sa vie devient un enfer. Les soixante et quelques pages qui
détaillent la manière dont Frank, soumis à de discrètes tortures mentales, est manipulé
et poussé à « démissionner » sont un modèle de méchanceté et d’humour
noir. Le pire étant que ces manœuvres donnent l’impression d’avoir été
observées in situ, et qu’elles se
trouvent un cran en dessous du véritable harcèlement à l’œuvre dans certaines
grosses entreprises.
Il va de soi qu’une fois éjecté,
Frank entreprend de Se Venger, avec des majuscules et un sérieux coup de pouce
surnaturel. On bascule brusquement de la comédie noire au film d’horreur
grotesque – au sens premier du terme, qui tend plus vers le « dérangeant »
que le « ridicule ». Frank se découvre une âme de bourreau, extermine
ses ex-collègues avec brio et cabotine à chaque fois qu’il peut, tel un Vincent
Price qui aurait troqué les films de la Hammer contre un environnement à base
de petits bureaux, de cloisons trop fines et de photocopieuses… (À la lecture, Frank
était juste une silhouette neutre. Maintenant que j’y repense, je me dis que
Nathan Fillion pourrait faire un Frank intéressant quand il en aura marre de
jouer dans Castle.)
Au bout du compte, Frank
découvre quelques petites choses intéressantes sur la nature de l’humanité et
sur le problème du mal…
Des tas de gens sérieux, dont
Stephen King, vantent les mérites de Thomas Ligotti et le hissent sur un
piédestal étiqueté « successeur d’H. P. Lovecraft ». À la seule lecture
de My work is not yet done, je n’irai
pas jusque-là. En revanche, j’ai clairement envie d’en lire d’autres et de me
faire une opinion à partir d’un échantillon de textes plus large.
En attendant, je conseille la
lecture de la première partie de My work
is not yet done à tous les psychologues du travail, spécialistes du
burn-out ou salariés qui ont eu la malchance d’être aux prises avec un manager
pervers…
Monsieur Lhomme, je ne sais si je dois vous remercier ou non, mais ma bibliothèque me dit de vous dire que ça commence à faire lourd (sans compter vos propres écrits). ;)
RépondreSupprimerAllez, un poche de moins de 200 pages, ça ne pèse rien et ça se glisse n'importe où...
RépondreSupprimerJe le note.
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