My work is not yet done, de Thomas Ligotti (2010)




En fait, ce petit bouquin renferme un cheval et deux alouettes. Le cheval, c’est My work is not yet done, une novella de 150 pages, et les deux alouettes sont une paire de nouvelles d’une vingtaine de pages, I have a special plan for this world et The Nightmare Network.

Leur thématique commune est d’être des Tales of Corporate Horror, des récits d’horreur au bureau.

Pour évacuer les moins encombrantes d’abord :
The Nightmare Network est un récit court et bizarre dans lequel nous suivons une entreprise sur une longue période, sans doute plusieurs siècles, des tâtonnements de ses débuts à sa déliquescence finale en passant par une phase où elle ressemble bougrement à un dieu – et pas à un dieu sympathique.
• I have a special plan for this world se déroule dans une grande ville à moitié abandonnée, pleine de bâtiments en ruine, périodiquement envahie par une brume jaune dans laquelle se cachent des assassins (ou pire). Dans le cadre de l’inévitable plan de rénovation urbaine, une petite boîte sans intérêt s’y installe. En l’espace de quelques semaines, tous ses managers sont victimes de la brume et son p.-d.-g. annonce soudain un gigantesque plan d’expansion… La chute n’est pas totalement convaincante, mais ce court texte dégouline d’ambiance pour une version fantastique de Detroit… ou de D3.

Nous avons là deux nouvelles bien sympathiques, mais si ce n’était que pour elles, j’hésiterais à vous recommander le recueil. Sauf qu’il y a My work is not yet done, qui est un chef-d’œuvre – un chef-d’œuvre de méchanceté, mais un chef-d’œuvre quand même.

Donc, je vous présente Frank Dominio, middle manager dans une entreprise dont on ne saura jamais trop ce qu’elle fait. Obsessionnel et psychorigide, il est sans doute compétent, mais il fait profil bas et ne veut pas progresser dans sa hiérarchie. Ses lundis sont dévorés par d’interminables et stériles réunions avec le reste des cadres moyens de son département et leur manager commun. Un jour, Frank a une idée. Bonne ou mauvaise, peu importe. Mais il fait l’erreur d’en parler au cours de l’une de ces réunions. En l’ouvrant, il s’est exclu du groupe. Ses collègues et son chef entreprennent de le pousser dehors, et sa vie devient un enfer. Les soixante et quelques pages qui détaillent la manière dont Frank, soumis à de discrètes tortures mentales, est manipulé et poussé à « démissionner » sont un modèle de méchanceté et d’humour noir. Le pire étant que ces manœuvres donnent l’impression d’avoir été observées in situ, et qu’elles se trouvent un cran en dessous du véritable harcèlement à l’œuvre dans certaines grosses entreprises.

Il va de soi qu’une fois éjecté, Frank entreprend de Se Venger, avec des majuscules et un sérieux coup de pouce surnaturel. On bascule brusquement de la comédie noire au film d’horreur grotesque – au sens premier du terme, qui tend plus vers le « dérangeant » que le « ridicule ». Frank se découvre une âme de bourreau, extermine ses ex-collègues avec brio et cabotine à chaque fois qu’il peut, tel un Vincent Price qui aurait troqué les films de la Hammer contre un environnement à base de petits bureaux, de cloisons trop fines et de photocopieuses… (À la lecture, Frank était juste une silhouette neutre. Maintenant que j’y repense, je me dis que Nathan Fillion pourrait faire un Frank intéressant quand il en aura marre de jouer dans Castle.)

Au bout du compte, Frank découvre quelques petites choses intéressantes sur la nature de l’humanité et sur le problème du mal…

Des tas de gens sérieux, dont Stephen King, vantent les mérites de Thomas Ligotti et le hissent sur un piédestal étiqueté « successeur d’H. P. Lovecraft ». À la seule lecture de My work is not yet done, je n’irai pas jusque-là. En revanche, j’ai clairement envie d’en lire d’autres et de me faire une opinion à partir d’un échantillon de textes plus large.


En attendant, je conseille la lecture de la première partie de My work is not yet done à tous les psychologues du travail, spécialistes du burn-out ou salariés qui ont eu la malchance d’être aux prises avec un manager pervers…

Commentaires

  1. Monsieur Lhomme, je ne sais si je dois vous remercier ou non, mais ma bibliothèque me dit de vous dire que ça commence à faire lourd (sans compter vos propres écrits). ;)

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  2. Allez, un poche de moins de 200 pages, ça ne pèse rien et ça se glisse n'importe où...

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