Le Second Empire est l’une de mes plus vieilles marottes. Hélas, la période ne fait pas tellement recette auprès des rôlistes.
La réédition prochaine de Château Falkenstein m’a amené à mettre le nez dans quelques ouvrages sur les années 1850 à 1870. Ils ont fait et défait le Second empire est à la fois le plus abordable et le plus exploitable du lot. Rédigé par un spécialiste de l’époque, il propose, en environ 400 pages, vingt-cinq biographies de personnages importants de ces deux décennies.
Chaque chapitre présente un PNJ presque clé en main pour Château Falkenstein. Oh, bien sûr, vous aurez un peu de montage à faire, la Nouvelle-Europe étant à la fois uchronique et saturée de magie et de dragons, mais cela rend l’exercice encore plus stimulant ! Certaines absences sont regrettables – celles de MM. Verne, Dumas et Offenbach me chagrinent particulièrement – mais c’est la loi du genre. Pour compenser, vous avez le droit de prolonger certaines existences qui, chez nous, se terminent
Vous y trouverez des informations sur la vie des premiers rôles – Napoléon III[1], Bismarck, Victoria, Cavour ou le pape Pie IX. Mais surtout quelque chose de bien plus utile : des gens qui ont été importants, voire très importants, mais qui sont plus ou moins sortis des mémoires.
Ces seconds rôles de la grande Histoire sont précieux pour un MJ : ils ont eu des vies intéressantes auxquelles on peut accrocher ce qu’on veut, ne sont pas assez connus pour que les pinailleurs se mettent à frétiller en entendant leur nom, et ils ont assez de surface sociale pour générer du jeu.
Prenons le duc de Morny, par exemple. Cerveau du coup d’État qui a transformé le prince Louis-Napoléon en empereur, président du Corps législatif, auteur dramatique, spéculateur amassant une fortune colossale à coups de délits d’initié… et ne laissant jamais Napoléon III oublier qu’il est son demi-frère. Entre nous, un type pareil peut s’acoquiner avec des dragons ou des faës Unseelies, au risque d’aller juste un peu trop loin…
Plus prosaïque ? Dans notre monde, Émile Ollivier, républicain modéré rallié à Napoléon III devient, début 1870, le chef de gouvernement d’un empire constitutionnel. Sept mois plus tard, il endosse la déclaration de guerre à la Prusse « d’un cœur léger » et sombre corps et biens avec le régime. Que serait-il devenu dans un monde où la guerre franco-prussienne est devenue une guerre froide ? Serait-il toujours le chef d’un gouvernement de centre-droit ?
Mais bien sûr, les jeux politiques d’un Empire parlementaire auraient également pu ramener un conservateur au pouvoir, par exemple Eugène Rouher, le redoutable Ministre d’État des années autoritaires, que l’on surnommait le « vice-empereur ». Rouher a été une puissance, mais qui se souvient de lui, à part les lecteurs de Zola qui ont croisé Son Excellence Eugène Rougon ?
Chez nous, l’évolution du régime entraîne le limogeage du préfet Haussmann, trop autoritaire, dans les premiers mois de 1870. En Nouvelle-Europe, préside-t-il encore aux destinées du département de la Seine ? Et si non, à quoi occupe-t-il sa retraite ?
Pour quitter la sphère politique, le savant préféré du couple impérial s’appelle Louis Pasteur. Quid du Pasteur du monde de Falkenstein ? Continue-t-il ses recherches en indépendant, ou travaille-t-il pour Napoléon III, et si oui, à quoi ? Une petite voix me souffle qu’il pourrait, par exemple, tenter de contrer un programme prussien de guerre bactériologique impulsé par le terrible Pr Schultze, d’Iéna.
Dans un tout autre registre, j’imagine assez bien George Sand lever le pied sur les études de mœurs paysannes, et écrire à la place des romans où il sera question des fées solognotes. Quant à Victor Hugo, l’exilé, je le vois assez bien passer du spiritisme à la pratique de la magie blanche… sans pour autant cesser d’écrire, même son œuvre a peut-être changé pour coller aux thèmes dominants de la Nouvelle-Europe. Des questions similaires se posent à propos de Viollet-le-Duc, dont la reconstruction de Pierrefonds est peut-être empreinte de géomancie…
Si vous préférez plus pittoresque, vous pouvez exhumer le vénérable maréchal Vaillant, antique gloire militaire qui a connu l’autre Napoléon. Il occupe, entre autres, le poste improbable de ministre des Beaux-Arts. Son collègue, le maréchal Bazaine, a laissé de très mauvais souvenirs dans notre monde, mais sans la guerre de 1870, il a sans doute gardé tout son prestige… en revanche, la collection d’ennemis qu’il s’est faite lors de la guerre du Mexique est peut-être plus virulente que chez nous. « Un maréchal de France retrouvé mort, le cœur arraché par un couteau d’obsidienne », ça ferait une bonne accroche de scénario, non ?
J’arrête là l’énumération, alors qu’il reste pas mal de monde à évoquer, mais je pense que vous avez compris l’idée. Dix euros cinquante, ce n’est pas bien cher payé pour un supplément, même si vous avez un peu de boulot d’assemblage.
Éditions Tallandier, collection Texto, 10,50 €
[1] Qui est un bon exemple de survie prolongée : en Nouvelle-Europe, il est encore en pleine forme dans les années 1870, alors que chez nous, il est mort, et de toute façon, à partir de 1867, il est trop malade pour tenir les rênes.
Après avoir fêté le 150e anniversaire de la Commune cette année, qui osera célébrer le 170e anniversaire du Coup d'Etat du 2 décembre 1851 ? :)
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