We Own This City


Après le départ de David Simon du Baltimore Sun, d'autres journalistes ont bien évidemment couvert la vie criminelle de Baltimore. Parmi les confrères de Simon se trouve Justin Fenton, lu aussi du Sun. Et We Own This City est une longue enquête qu'il a mené sur les agissements illégaux d'un flic du BPD : le sergent Wayne Jenkins. Ce bouquin est une véritable plongée dans l'impunité policière américaine. Au départ, la situation est vraiment merdique dans les rues : plus de 300 homicides par an, beaucoup trop d'armes à feu en circulation... Alors dans une logique de gestion des chiffres (que David Simon avait déjà dénoncé dans The Wire via le programme CompStat), les huiles du département de police ont décidé de créer une unité dédiée au retrait des armes à feu en circulation dans la rue. Ces agents, qui travaillent en civil, agissent dans les faits comme les pires clichés de la BAC française : ils arrêtent les gens au faciès, pour de fausse raison et leur foutent la pression. On a ainsi le témoignage d'un gars qui s'est fait arrêter plus de 30 fois sans jamais recevoir un PV ni rien. C'est juste qu'il est Noir et qu'il vit dans le mauvais quartier. Et on ne va pas se mentir : les résultats sont là. Cette unité spécialisée réussit effectivement à retirer des flingues de la rue. Mais à quel prix... Dans ces quartiers, plus personne n'a confiance au BPD. Et au tribunal, ces saisies ne débouchent que rarement sur des condamnations car il suffit aux avocats de la défense de gratter un peu pour découvrir que rien n'a été fait selon les règles de l'art. Mais les hauts gradés sont heureux : leurs cow-boys font le sale boulot et obtiennent des résultats. Les sacro-saintes statistiques le prouvent : ça fonctionne.

Sauf que... Dès qu'on regarde les méthodes de Jenkins et ses collègues de plus près, ça sent rapidement la merde. Ils mentent sous serment, placent des fausses preuves sur les lieux du crime, utilisent des faux flingues pour faire croire que le suspect était armé, font des fouilles avant d'avoir un mandat... Et à leurs yeux, ils font ce qu'il faut pour obtenir les résultats exigés par les patrons. Et quand ils se mettent à voler l'argent des dealers, à confier la drogue saisie à d'autres dealers pour faire des bénéfices, il y a une sorte de dissonance cognitive dans leur cerveau qui leur permet de justifier tout cela du point de vue moral. Ils finissent par provoquer un accident de la route et ne même pas s'arrêter pour voir s'il y a des victimes. Ils sont au-dessus de tout ça.

Le bouquin regorge de moment où la hiérarchie les félicite pour ces saisies spectaculaires, car eux, c'est des bonhommes, des vrais, ils vont bien au-delà des attentes. Ils prennent des risques. Ils en ont. Bref, c'est tout ce qu'il y a de plus détestable dans ce rapport malsain et toxique à une police brutale qui estime n'avoir de compte à rendre à personne. Et les Affaires internes tentent tout du long de faire tomber ces ripoux, mais ils sont malins et sont très souvent couverts par leur hiérarchie. Ainsi, on apprend que Jenkins se fait payer du temps supplémentaire alors même qu'il est en vacances dans un autre état. Mais hey, c'est comme ça, on a toujours agit de la sorte au BPD : on est une grande famille, on s'entraide, quoi.

C'est de l'or en barre pour D3TROIT, car même si on ne suit pas le travail des Affaires internes de l'intérieur, on voit comment ce service essaye de les faire tomber. Il faudra que les fédéraux s'en mêlent pour qu'on puisse finalement les faire comparaître devant un juge. Et c'est ça le plus étonnant, dans cette enquête : ces flics ne payent que rarement le prix. Les accusations ne tiennent pas le coup, le chef du BPD diminue les sanctions, il y a des vices de procédure... Il y a un long passage sur la mort d'un homme à l'arrière d'un van de police. Tout les flics qui ont participé à cette tragédie vont s'en sortir indemne juridiquement, c'est effarant.

Bref, c'est un livre sur une sorte de The Shield tout ce qu'il y a de plus réel. C'est dégueulasse, mais c'est fait avec beaucoup de brio et ça se lit comme un polar. Et comme David Simon n'est pas la moitié d'un con, il a produit une adaptation de cette histoire pour HBO, avec John Bernthal (connu pour avoir incarné The Punisher sur Netflix) dans le rôle de Wayne Jenkins. Attendez-vous à grincer des dents quand vous allez assister à leurs magouilles, car c'est enrageant de les voir évoluer dans un contexte professionnel qui glorifie ce genre de comportements. Évidemment, tous les flics ne sont pas de Wayne Jenkins, mais l'enquête vous fait croiser des policiers pas foncièrement mauvais qui se retrouvent à devoir accepter de toucher de l'argent sale pour se faire accepter dans leur unité. Parce que le sentiment d'appartenance est hélas très humain.

Bref, en livre ou en série télé : We Own This City. De quoi alimenter le petit ACAB qui sommeille en chacun de nous.

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